Médias français : les 7 vies de Bernard Tapie
Homme d’affaires à succès et ministre… Puis patron de l’Olympique de Marseille… Puis emprisonné et ruiné… Puis amuseur public… Puis en guerre contre le Crédit Lyonnais… Le voici patron de presse. Vertige !
Bernard Tapie, 70 ans, est un homme malicieux, qui choisit le nom de ses yachts avec un soin extrême. Après le Phocéa, du temps où, égérie d’un François Mitterrand en fin de règne, il convoitait la mairie de Marseille, il est aujourd’hui l’heureux propriétaire d’un petit bijou de 76 m battant pavillon mannois (île de Man), le Reborn (« renaissant », en anglais).
Comment il est (re)devenu riche
L’affaire remonte à vingt ans. En 1992, Bernard Tapie souhaite revendre l’équipementier sportif Adidas, qu’il a relancé, et confie l’opération au Crédit Lyonnais (CL). Montant de sa plus-value : 200 millions de francs (30,5 millions d’euros). Loin de se cantonner à son rôle de conseil, la banque, dans le dos de son client, obtient, à son seul profit, 2 milliards de plus. Fou de rage, Tapie tente d’obtenir réparation et, en septembre 2005, obtient gain de cause : le CL est condamné par la Cour d’appel à lui verser 135 millions d’euros. Décision annulée par la cour de cassation en 2006.
Les pouvoirs publics (Nicolas Sarkozy a entre-temps été élu président de la République) décident alors de résoudre le litige par le biais d’un arbitrage privé, jugé moins risqué. Résultat : une transaction d’un montant de 403 millions d’euros (il lui en restera 200 après déduction de ses dettes bancaires et fiscales).
La justice s’intéresse aujourd’hui à l’arbitrage lui-même. En cause : les supposées pressions exercées par Sarkozy en faveur de Tapie, qui, lui, ne risque plus grand-chose. Et certainement pas de perdre son magot. Trois juges d’instruction ont perquisitionné aux domiciles de Tapie, de Stéphane Richard, actuel PDG de France Télécom et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, ministre des Finances entre 2007 et 2011, et des trois arbitres, dont Pierre Mazeaud, l’ancien président du Conseil constitutionnel. Une enquête pour « abus de pouvoir » a été diligentée. M.B.Y.
Les montagnes russes, c’est l’histoire de sa vie : des (très) hauts, suivis de (très) bas (ou l’inverse), et toujours, quand on le croit au fond de l’abîme, le retour, la renaissance, la résurrection. Tour à tour vendeur de télés, chanteur, animateur, homme d’affaires, président du club de football le plus titré et le plus populaire de France (l’Olympique de Marseille), député, puis ministre, il est l’icône d’une France qui, partie de rien, accède au sommet. Cette vertigineuse ascension sera suivie d’une chute qui ne le sera pas moins : faillite, huissiers, condamnations en pagaille (abus de biens sociaux, abus de confiance, fraude fiscale, faux et usage de faux, corruption et subornation de témoin), et, pour finir, prison. Il passera dix mois en détention, dans des conditions pas vraiment VIP.
Son principal atout ? Son bagout. Il vendrait de la charcuterie corse à des salafistes.
Bagout
Mais l’homme a deux qualités majeures. D’une part, sa gouaille et son bagout : il serait capable de vendre un panier de charcuterie corse à un salafiste. D’autre part, son énergie hors du commun. « Bernard ? Coulez-le, enchaîné, au plus profond de la fosse des Mariannes, il se débrouillera toujours pour refaire surface », s’amuse l’un de ses vieux amis.
À sa sortie de prison, énième défi, il devient acteur : cinéma, télévision, théâtre… Chaque fois, le succès est au rendez-vous. Il tournera d’ailleurs, en septembre, un film à Hollywood. Nouveau virage aujourd’hui, il devient patron de presse. Un comble pour celui qui n’a jamais porté les journalistes dans son coeur, les a souvent insultés, parfois frappés.
Pour quelque 25 millions d’euros chacun, Bernard Tapie et la famille Hersant (dont Philippe, fils de Robert) se retrouvent à la tête du Groupe Hersant Média (GHM) après une opération de reprise d’une entreprise en difficulté comme Tapie en a le secret. Face à la menace de cessation de paiement brandie par les dirigeants de GHM, les banques ont en effet accepté d’abandonner 165 millions d’euros de créances (sur une dette globale de 215 millions). Les Hersant sauvent leur groupe, et Tapie, à la tête de 50 % du capital, réalise une très belle opération. Dans la corbeille de la mariée : Corse-Matin (le plus rentable), La Provence, le quotidien phare de Marseille, Nice-Matin et Var-Matin, mais aussi les ultramarins France-Antilles et Les Nouvelles calédoniennes. Des titres hégémoniques sur leurs territoires respectifs, propriétaires de biens immobiliers importants (dont leurs sièges) et comptant au total environ 4 000 salariés pour un chiffre d’affaires estimé à 220 millions d’euros et un résultat brut d’exploitation de 12 millions d’euros. Chapeau l’artiste ! Il a demandé à son ami Patrick Le Lay, ancien patron de la chaîne privée TF1, de l’aider en procédant à un vaste audit de l’ensemble des publications du groupe.
Reste que le retour de Tapie dans la région de ses premières amours – qui provoqua aussi sa descente après l’affaire VA-OM – suscite des inquiétudes. Ses adversaires politiques, et ils sont légion, le soupçonnent de vouloir conquérir Marseille et sa mairie en 2014. Il s’en défend farouchement, jure sur la tête de ses enfants et de Dominique, son épouse, qu’on ne l’y reprendra plus… Le doute subsiste.
Les journalistes, eux, s’interrogent sur sa capacité à gérer un tel groupe, sur sa volonté de respecter l’éthique et la déontologie de la profession. Il est vrai que Tapie patron de presse, c’est un peu comme Nicolas Sarkozy enseignant le yoga ! Cela semble antinomique, mais, avec lui, c’est toujours la même histoire : il ne connaissait rien au monde des affaires et de la finance, à celui du cyclisme ou du football, à la politique ou au métier d’acteur avant d’y réussir brillamment. Mieux vaut donc ne pas parier sur son échec. Surtout s’il a enfin appris à respecter les lignes rouges et à se faire discret.
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