Union européenne : Cameron largue les amarres
Pour des raisons de politique intérieure, le Premier ministre britannique veut renégocier l’appartenance de son pays à l’UE. Certains l’accusent déjà de jouer les apprentis sorciers.
Pour comprendre les rapports mouvementés du Royaume-Uni et de l’Europe, il faut revenir à un document signé le 19 juin 1983 à Stuttgart. Ce jour-là, les dix chefs d’État ou de gouvernement des États membres apposaient leur paraphe au bas d’une « déclaration solennelle sur l’Union européenne ». C’est dans ce document qu’on trouve deux expressions qui sont devenues emblématiques des débats qui font rage depuis trente ans outre-Manche. Il s’agit des mots « une union toujours plus étroite » et « identité européenne », qui apparaissent dès le premier paragraphe : « Les chefs d’État ou de gouvernement confirment leur engagement de progresser dans la voie d’une union toujours plus étroite entre les peuples et les États membres […], en se fondant sur la conscience d’une communauté de destin et sur la volonté d’affirmer l’identité européenne. »
Pour la plupart des Britanniques, fiers de leur insularité et de leurs particularismes, il n’y a tout simplement pas d’identité européenne. Quand ils prennent le ferry à Douvres ou l’Eurostar à Londres, il n’est pas rare de les entendre dire : « Je vais en Europe. » L’Europe, c’est les autres… Mais c’est surtout « une union toujours plus étroite » qui ne passe pas. Ces mots, qui constituent en eux-mêmes un programme politique, posent le problème suivant : où doit s’arrêter l’intégration européenne ? Pris au pied de la lettre, ils signifient que l’objectif ultime est la constitution d’un seul État ou, au minimum, d’une fédération qui aurait toutes les apparences d’un État, comme la Russie ou la Suisse : un exécutif, un Parlement, une monnaie unique, etc.
Une telle perspective est inacceptable pour la majorité des Britanniques. Lorsque le Royaume-Uni est entré dans ce qui était alors la Communauté économique européenne (CEE), en 1973, c’était pour avoir un accès privilégié au gigantesque marché commun qui était en train de se constituer. Il s’agissait d’économie, pas de politique et encore moins de philosophie. « L’Angleterre est une nation de boutiquiers », déclara un jour Napoléon. Les Anglais prirent cela comme un compliment. On en est encore là.
Ce qui se passe aujourd’hui à Londres, et qui compliquera ses rapports avec Bruxelles pendant encore plusieurs années, s’inscrit donc dans une longue tradition d’opposition britannique à l’intégration européenne, de refus permanent de cette « union toujours plus étroite », au nom d’un principe simple : nous sommes entrés dans un marché commun pour faire des affaires, pour vendre et acheter, pas pour devenir « européens ».
Feuilleton
Le nouvel épisode de cet interminable feuilleton où s’illustra en son temps Margaret Thatcher s’est joué le 23 janvier. Ce jour-là, le Premier ministre David Cameron prononce enfin le grand discours annoncé depuis des semaines. Il s’agit de définir sa position vis-à-vis de l’Europe. En gros, Cameron déclare qu’il souhaite rester dans l’Union européenne, mais en se dédouanant de certaines obligations (par le biais d’« options de retrait ») et à condition que l’Union soit réformée sur la base de cinq principes : compétitivité, flexibilité, pouvoir redescendant vers les États membres, responsabilité démocratique et justice. Bien entendu, toute évolution vers le fédéralisme constituerait un casus belli. Cerise sur le gâteau, Cameron conclut en annonçant un référendum d’ici à la fin de 2017 – s’il gagne les prochaines législatives prévues au plus tard en 2015 : « Quand nous aurons négocié un nouvel accord, nous offrirons aux Britanniques un référendum avec un choix très simple : rester au sein de l’UE sur cette nouvelle base ou en sortir complètement. »
Esquive
Dans l’après-midi, la séance du Parlement est houleuse. Ed Miliband, le chef de file de l’opposition travailliste, ne cesse de poser une question en apparence très simple : Cameron a annoncé qu’il allait tenir un référendum ; votera-t-il lui-même « oui » ou « non » ? En politicien consommé, Cameron esquive, se contentant de marteler son mantra : « Je veux que la Grande-Bretagne fasse partie d’une Union européenne réformée. » Miliband insiste : si les réformes que le Premier ministre souhaite sont rejetées par ses partenaires européens – si une seule de ces réformes est rejetée -, appellera-t-il à sortir de l’Union ? Là non plus, pas de réponse.
Plus eurosceptique que Margaret Thatcher, il fallait le faire !
Ce débat tronqué illustre la position inconfortable dans laquelle se trouve Cameron. Son gouvernement est issu d’une coalition entre conservateurs, traditionnellement eurosceptiques, et libéraux démocrates, plutôt europhiles. Et il sent dans sa nuque le souffle de l’United Kingdom Independence Party (Ukip). Comme tous les partis bâtis autour d’une seule idée, en l’occurrence le rejet pur et simple de l’Union européenne, l’Ukip est redoutable dès que cette idée est dans l’air. Après quelques succès dans des élections partielles récentes, son chef, Nigel Farage, a annoncé que son objectif était de devenir la troisième force politique du pays, ce qui le rendrait « incontournable » dans la mise en place d’une coalition. Cette perspective cauchemardesque explique pourquoi Cameron a pris le risque de proposer lui-même un référendum sur l’Europe.
Et si le non l’emportait ? Le Royaume-Uni, à supposer qu’il existe encore (l’Écosse est secouée depuis quelques années par des velléités indépendantistes), pourrait-il quitter l’Union européenne sans drame existentiel, sans catastrophe économique ? La plupart des eurosceptiques répondent par l’affirmative en citant l’exemple de la Norvège. Le riche « émirat » pétrolier de Scandinavie n’est pas membre de l’Union européenne mais il a accès au marché unique à travers l’Espace économique européen. Et ils enfoncent le clou : la Norvège n’est-elle pas première dans le classement mondial du « développement humain » ? Ne profite-t-elle pas des avantages commerciaux du marché unique sans les inconvénients de l’union « toujours plus étroite » ?
D’autres eurosceptiques citent un précédent peu connu : après un référendum où 53 % de ses habitants se prononcèrent pour le retrait de la CEE (essentiellement pour des raisons liées à la pêche), le Groenland quitta la Communauté en 1985. Ce territoire est aujourd’hui juridiquement rattaché à l’Europe en tant qu’« associé à l’Union européenne ». Pourquoi pas un statut analogue pour le Royaume-Uni ?
C’est oublier que les Norvégiens ne sont que cinq millions – ne parlons pas des Groenlandais, qui, tous ensemble, ne rempliraient pas un stade de football… Un Royaume-Uni s’affranchissant des règles communes et transformé en porte-avions où les firmes du monde entier viendraient fabriquer des produits pour les écouler en Europe constituerait un problème d’une autre magnitude. De Gaulle opposa à deux reprises, en 1963 et en 1967, son veto à l’accession à la CEE du Royaume-Uni, qu’il considérait comme le cheval de Troie des Américains. Demain, ce serait le cheval de Troie du monde entier, avec une monnaie que le Royaume-Uni pourrait manipuler à sa guise…
On n’en est pas encore là. En attendant, le discours de Cameron a semé la consternation dans certaines capitales européennes. « On ne peut pas faire l’Europe à la carte », a immédiatement déclaré le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Martin Schulz, le président du Parlement européen, n’a pas mâché ses mots : « David Cameron ressemble de plus en plus à un apprenti sorcier. »
Trente ans après la « déclaration solennelle » de Stuttgart qu’une certaine Maggie Thatcher avait pourtant signée, l’apprenti sorcier s’est donné une nouvelle dimension. Plus eurosceptique que la Dame de fer, il fallait le faire.
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