Maroc : la méthode Driss Lachgar

Après l’élection des instances du parti, qui lui sont largement inféodées, le premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires est très contesté en interne.

Driss Lachgar, Premier secrétaire de l’USFP. © J.A

Driss Lachgar, Premier secrétaire de l’USFP. © J.A

Publié le 14 février 2013 Lecture : 4 minutes.

L’accueil réservé à Driss Lachgar, nouveau premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), ne pouvait être plus hostile. Dès les résultats connus, au soir du 16 décembre 2012, les premiers messages de félicitations ont été éclipsés par les protestations. Certains proches du finaliste perdant, Ahmed Zaïdi, dénonçaient des « fraudes », et une poignée de militants, dont certains très médiatiques, quittaient le parti. Le congrès avait duré trois jours, au cours desquels la famille ittihadie a surtout affiché ses clans et ses divisions. Après avoir évincé, au premier tour, deux barons du parti, Fathallah Oualalou (ministre des Finances de 1998 à 2007 et actuel maire de Rabat) et Habib El Malki (ministre de l’Agriculture 1998 à 2000, puis de l’Éducation de 2002 à 2007), Driss Lachgar et Ahmed Zaïdi se sont retrouvés au second tour. Le premier a été ministre de 2010 à 2012, et le second, chef du groupe parlementaire, poste qu’il occupe encore aujourd’hui. Même s’ils ne sont pas des jeunots, aucun des deux n’a participé au gouvernement d’alternance où figuraient de nombreux opposants « historiques » à Hassan II. Zaïdi et Lachgar ont longtemps tracé leur voie dans l’ombre des zaïms –  les leaders -, avant de prendre leur revanche. Ils se sont surtout livré une bataille féroce. Zaïdi a pu compter sur les élus, qui le soutiennent en majorité, et Lachgar, passé par tous les échelons du militantisme, sur le vaste réseau d’appuis qu’il a su tisser dans les régions.

Congrès bâclé

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Que ce soit pendant le congrès ou à l’occasion des anicroches qui l’ont suivi, les lignes politiques paraissent jouer un rôle secondaire. L’USFP peine visiblement à gérer les ambitions personnelles. « On ne peut pas parler de véritables courants au sein de l’USFP, admet un membre de la direction actuelle. Nous sommes en présence d’écuries, et Lachgar travaille depuis longtemps à entretenir la sienne. » Au point de placer son fils et sa fille au sein de la nouvelle commission administrative du parti, élue près de un mois après le congrès. Une commission qui revêt une importance stratégique, puisqu’elle élit le bureau politique. Dans les deux instances, Lachgar et ses alliés ont fait un tabac, profitant pleinement de la prime au vainqueur.

Lachgar, passé par tous les échelons du militantisme, dispose d’un vaste réseau d’appuis dans les régions.

En face, les partisans de Zaïdi ne peuvent que déplorer cette atteinte au « droit à la différence ». Ceux-là mêmes plaidaient pourtant pour la mise en place d’un bureau politique exécutif fonctionnant comme l’équipe de travail du Premier secrétaire, mais à l’époque ils croyaient la partie facile. Un proverbe marocain dit « sois lion et mange-moi ». Réuni le 28 janvier au domicile d’un ancien ministre, le clan Zaïdi revendique la majorité des membres du groupe parlementaire, mais ne peut visiblement pas aller au bout de sa menace de dissidence. La nouvelle Constitution interdit strictement la transhumance politique, et son article 61 dispose que « tout membre de l’une des deux Chambres qui renonce à l’appartenance politique au nom de laquelle il s’est porté candidat aux élections ou au groupe ou groupement parlementaire auquel il appartient est déchu de son mandat ». Une règle plutôt dissuasive. À minima, les membres de ce groupe se sont engagés à défendre leur autonomie vis-à-vis du premier secrétaire. « Ce serait totalement contraire à l’éthique du travail parlementaire », tonne un membre du bureau politique actuel. Par ailleurs, les critiques portant sur les fraudes et les pressions « externes » lors du congrès (Zaïdi n’en dira pas plus) semblent s’être tues depuis que le premier secrétaire a été reçu en audience par le roi Mohammed VI, le 3 janvier.

Populiste ?

Plus généralement, la fin de l’année 2012 semble avoir sonné le glas d’une époque dans les principaux partis politiques marocains. Pour le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), ce fut l’année de l’entrée au gouvernement. Son secrétaire général, Abdelilah Benkirane, a d’ailleurs été réélu haut la main à la tête du parti, qu’il avait conquis en 2008. Pour l’Istiqlal, la féroce compétition entre l’apparatchik Hamid Chabat et l’héritier Abdelouahed El Fassi a tourné à l’avantage du premier, qui se prévaut, depuis, de sa légitimité « démocratique » pour chercher noise à son allié gouvernemental, Abdelilah Benkirane. La bataille de ces deux-là occupe depuis de nombreuses semaines la chronique politique.

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Dans ce contexte, la victoire de Driss Lachgar à l’issue du 9e congrès de l’USFP fait presque figure d’anecdote. Il y a ceux qui y voient une confirmation de la vague populiste qui emporterait la politique marocaine depuis l’émergence du Mouvement du 20 février. D’aucuns sont cependant soulagés de noter que le Printemps arabe a eu sur les fondements de l’État et la structure techno-gouvernementale des effets moins ravageurs qu’en Tunisie et surtout qu’en Égypte et en Libye. Une analyse qui prospère sur le thème du « prix à payer » pour une transition démocratique. Les partis marocains auraient les leaders qu’ils méritent. Fermez le ban. Une autre approche consiste à voir les nouveaux chefs de parti comme les reflets d’une trivialisation des carrières militantes, scellant « la fin de l’ère des zaïms », comme l’écrivent pompeusement les commentateurs. Après les grands hommes, respectivement Khatib (PJD), Allal El Fassi et Boucetta (Istiqlal), Bouabid et Youssoufi (USFP), la succession serait de toute façon décevante. Cette vision nostalgique, qui cède à l’idéalisme, est peut-être le plus insidieux des maux politiques marocains.

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