Jordanie : monarchie en sursis
Au lieu de sceller la volonté de changement affichée par le roi de Jordanie, les élections du 23 janvier sont apparues comme une nouvelle tentative de perpétuer un système arrivé en bout de course.
Autosatisfecit des autorités jordaniennes : les législatives du 23 janvier, premier test électoral dans le royaume depuis le déclenchement du Printemps arabe, se sont parfaitement déroulées, et la victoire des loyalistes a confirmé l’aptitude du roi Abdallah II à conduire le changement. La nouvelle Commission électorale indépendante a annoncé une participation de 56 %, contre 52 % au scrutin de 2010, un succès qui a démontré l’adhésion populaire au « programme de réformes évolutif » que la monarchie met en oeuvre depuis 2011.
Mais les Frères musulmans, principal groupe de l’opposition, ne l’ont pas entendu de cette oreille. « Les chiffres annoncés par le gouvernement ne sont pas exacts », ont-ils déclaré dans un communiqué, dénonçant « plusieurs irrégularités, dont l’achat de voix et le recours à de fausses cartes d’électeur ». Émanation locale de la confrérie, le Front d’action islamique (FAI) ne comptera aucun représentant parmi les 150 élus de la nouvelle chambre basse : avec le Front de réforme national (FRN, gauche), il avait décidé le boycott du scrutin, accusant la nouvelle loi électorale de favoriser les partisans du régime, et dénonçant la corruption et l’absence de réelles réformes.
Et de l’avis presque unanime des observateurs, le roi a raté là sa meilleure et peut-être dernière occasion de prouver sa volonté de démocratisation. Dans l’oeil du cyclone qui a emporté les régimes tunisien, égyptien, yéménite et libyen et qui broie depuis vingt-deux mois la Syrie, le royaume hachémite a néanmoins connu, en 2011 et en 2012, d’importants mouvements de contestation politique et sociale. Mais si quelques rares téméraires s’étaient enhardis à vouloir « dégager le régime », la plupart des manifestants espéraient de leur souverain la fin de la corruption et du clientélisme, qui gangrènent le sommet de l’État, et un Parlement plus représentatif qui désignerait le chef du gouvernement, jusqu’à présent nommé par le roi.
Anémie politique
« Depuis le début, nous avons vécu le Printemps arabe comme une opportunité », déclarait Abdallah II au début de janvier. Mais ses réformes en demi-teinte n’ont guère convaincu. La création d’un Conseil constitutionnel et d’une Commission électorale indépendante n’a eu jusqu’à présent que peu d’impact sur la gouvernance du royaume. La nouvelle loi électorale, qui devait renforcer le multipartisme en attribuant vingt-sept sièges à des listes nationales, n’a pas eu l’effet annoncé, notables et chefs de tribu locaux s’emparant in fine de la plupart de ces sièges.
Tout semble indiquer que le Palais cherche à jouer la montre en promulguant de vuages réformes.
Tout semble indiquer que le Palais, peu enclin à lâcher du lest, cherche à jouer la montre en promulguant de vagues réformes dont il semble contrôler à son bénéfice les effets. « La patience est mère de toutes les vertus », semble conseiller le souverain à ses compatriotes lorsqu’il prévoit « plusieurs cycles parlementaires » pour que soit pleinement mis en place un système de gouvernement parlementaire. « Le gouvernement et le Parlement jouent le rôle de fusible, explique Jalal al-Husseini, politologue français basé à Amman. À chaque dégradation de la situation, le roi se joint par ses critiques à l’opposition et fait sauter le gouvernement. Ce système perpétue une anémie politique qui renforce sa position. »
La carte maîtresse du monarque : se poser en garant de la stabilité, à la tête d’un royaume partagé entre Jordaniens-Palestiniens et Jordaniens de souche, écartelé entre l’Irak tourmenté, la Syrie en guerre et la Cisjordanie occupée. Pour Husseini, « l’essentiel en Jordanie ce n’est pas la démocratie et les droits de l’homme, mais la stabilité d’un pays au coeur des turbulences régionales et en proie à de nombreux clivages internes ». Une stabilité sociale et politique que la situation économique très dégradée pourrait remettre en question, suscitant une révolte fatale dans une région déshéritée, comme à Sidi Bouzid la Tunisienne ou à Deraa, en Syrie…
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