Côte d’Ivoire : à chacun sa « petite »

Ce n’est pas nouveau ni spécifiquement ivoirien, mais à Abidjan ou à Yamoussoukro, ils sont de plus en plus nombreux à s’afficher avec de jeunes maîtresses. Et à leur ouvrir leur portefeuille.

Les « petites » sont souvent issues de milieux défavorisés. © Glez

Les « petites » sont souvent issues de milieux défavorisés. © Glez

Publié le 11 février 2013 Lecture : 3 minutes.

Gilbert est serveur dans un hôtel du Plateau, à Abidjan. Tous les matins, sanglé dans son bel uniforme, il côtoie une clientèle aussi internationale qu’aisée. Lui n’est pas riche, mais s’en sort plutôt bien. Assez pour avoir, lui aussi, « une petite ». « Comme tous les hommes en Côte d’Ivoire ! » lance-t-il, presque gêné que l’on puisse imaginer qu’il n’en ait pas.

« Petite » est une expression nouchie (argot ivoirien) qui signifie « jeune amante » – la relation avec une petite se différenciant de celle avec un « deuxième bureau », qui implique souvent durée et stabilité. « Employé par un homme, le terme désigne une femme plus jeune avec laquelle il entretient une relation brève, empreinte de légèreté, explique Michelle Tanon-Lora, enseignante-chercheuse à l’université Félix-Houphouët-Boigny. Pour la petite, cet homme plus âgé est un "gourou", un "vié père" ou encore un "bèzoin". »

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Gaston, 42 ans, est journaliste au sein d’un grand quotidien ivoirien. Pour lui, « politiciens, hommes d’affaires, policiers ou journalistes : tous ont des petites. C’est d’une banalité, et pas qu’en Côte d’Ivoire ! Mais ce qui est vraiment nouveau, c’est que le phénomène s’étend, surtout au sein des couches les plus aisées de la population, et qu’il est de plus en plus visible ». D’ailleurs, Gaston aussi a une « petite », pour qui il dépense entre 80 000 et 100 000 F CFA par mois (entre 122 et 152 euros). « Tout dépend de ses exigences du moment, raconte-t-il. Et encore, nous, nous restons à Abidjan. Il y a des hommes qui préfèrent installer leur petite plus loin, à Grand-Bassam, à Yamoussoukro ou même à Man. Dans ces cas-là, la facture grimpe ! »

Avec l’émergence d’une classe moyenne, de plus en plus d’hommes peuvent consacrer des sommes rondelettes à une relation extraconjugale.

Avec l’émergence d’une classe moyenne, de plus en plus d’hommes peuvent consacrer des sommes rondelettes à une relation extraconjugale. Payer des cadeaux ou sorties à une petite est un luxe que beaucoup peuvent désormais s’offrir. Et dans les rues d’Abidjan, elles sont reconnaissables entre mille : vêtements de marques, bijoux dernier cri et parfois même voitures, sportives de préférence… L’attirail bling-bling par excellence.

"Ce sont ses jetons qui m’intéressent"

Souvent issues de milieux défavorisés, les petites ont la vingtaine et un niveau d’instruction qui peut aller de l’illettrisme aux études supérieures. Mathy, 22 ans, est sans emploi. Hôtesse d’accueil lorsqu’elle parvient à décrocher une mission, elle est en ce moment la petite d’un homme plus âgé. Très directe, elle explique qu’elle « le gère, mais [n’est] pas du tout fan de lui. Ce sont ses jetons qui m’intéressent. Il me donne à chaque fois des billets de 10 000 F CFA, puis on sort ensemble. On va chez le glacier, dans des bars, etc. ».

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Emelyne, elle, a 20 ans. Étudiante en communication, elle entretient depuis plusieurs mois une relation avec un homme marié de 40 ans. « Avec certains, surtout lorsqu’ils ne sont pas à leur avantage physiquement, c’est un échange de bons procédés. Avec d’autres, qui sont conscients de leur pouvoir de séduction et surtout d’achat, c’est plus difficile. Ils se disent qu’ils peuvent avoir toutes les femmes et mettent fin aux relations rapidement. » Mais Emelyne tient à clarifier un point : « Ce n’est pas de la prostitution. Il ne s’agit pas de rapports tarifés, mais d’une relation suivie entre une jeune fille et un homme aisé beaucoup plus âgé. »

Pour Michelle Tanon-Lora, le phénomène des petites illustre surtout une « crise des valeurs ». « Certes, la précarité dans laquelle vivent ces jeunes filles, qui trouvent dans ce type de relation un moyen de subvenir à leurs besoins, comme s’acheter des vêtements, manger ou faire la fête, explique en grande partie le phénomène. Mais il y a aussi l’appât du gain facile », admet-elle. Michelle Tanon-Lora est encore plus sévère à l’égard des hommes volages. Tout en rappelant que tous les Ivoiriens n’ont pas leur petite, elle estime qu’ils « ont trouvé là une parade infaillible pour satisfaire leur libido à moindre coût, car entretenir une maîtresse d’âge mûr implique plus de responsabilités et de dépenses. »

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Les valeurs… Un point sur lequel Gilbert, le serveur, n’est pas d’accord du tout. « Quel mal y a-t-il à cela ? Interroge-t-il. Tout le monde le fait, tout le monde le sait. L’essentiel, c’est de ne pas se faire prendre. »

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Haby Kiakaté, envoyée spéciale

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