Guerre au Mali : le plus dur est à venir

Que faire maintenant que les grandes villes du Nord-Mali ont été libérées ? Comment éliminer les islamistes armés ? Un mois après le début de l’intervention française, il y a toujours beaucoup de questions… Et peu de réponses.

L’armée malienne a dû intervenir à Gao, le 29 janvier. © Jerome Delay/Sipa

L’armée malienne a dû intervenir à Gao, le 29 janvier. © Jerome Delay/Sipa

Christophe Boisbouvier

Publié le 11 février 2013 Lecture : 5 minutes.

Comment venir à bout des jihadistes ? Après la prise des trois villes du Nord, Gao, Tombouctou et Kidal, il reste un défi : chasser les groupes armés du désert malien et notamment du massif du Tigharghar, dans l’Adrar des Ifoghas, au nord de Kidal. De bonne source, c’est là que sont détenus plusieurs otages français. Pour venir à bout de ces rebelles, il y a deux stratégies : les éradiquer ou les diviser. Comme Alger dans les années 1990, Bamako a choisi la première option. Le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, dit ne pas faire de différence entre le groupe islamiste Ansar Eddine, dirigé par Iyad Ag Ghali, et les dissidents du Mouvement islamique de l’Azawad (MIA), lancé tout récemment par Alghabass Ag Intalla, le fils de l’amenokal (le chef traditionnel) de la région de Kidal. « [Les hommes du MIA] portent un masque. C’est parce que la peur a changé de camp qu’ils essaient d’échapper à leurs responsabilités », affirme le chef de l’État malien.

En revanche, le Burkina Faso et la France estiment que ces éléments dissidents peuvent être utiles pour neutraliser Ansar Eddine et Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Il y a deux mois, ce sont eux justement qui avaient représenté Ansar Eddine aux négociations de Ouagadougou avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). « Ces discussions ont porté, insiste Blaise Compaoré, le président burkinabè. Les radicaux sont allés à la guerre, mais une partie saine pense aujourd’hui qu’il faut le dialogue politique pour résoudre la crise au Mali. »

S’il est un point sur lequel tout le monde est d’accord, c’est l’importance des bases arrière.

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Visiblement, les Français sont sur la même longueur d’onde. Tout laisse penser que le MIA était prévenu de leur arrivée à Kidal, le 30 janvier, et qu’il a laissé faire. « À Kidal, nous sommes dans une situation particulière et nous faisons en sorte d’avoir des relations de bonne intelligence avec les Touaregs », avoue le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Logique. Pour les troupes françaises, les membres du MIA peuvent être des informateurs précieux sur leurs frères d’Ansar Eddine. D’autant que leurs chefs respectifs appartiennent à la même tribu noble des Ifoghas. Ag Intalla sait beaucoup de choses sur Ag Ghali…

Bases arrière

S’il est un point sur lequel tout le monde est d’accord, c’est l’importance des bases arrière. « Si l’Algérie et la Mauritanie jouent le jeu et ferment vraiment leurs frontières, Ansar Eddine sera coincé dans le Tigharghar et on le sortira de là », lance un officier de l’état-major malien. Selon lui, les hommes d’Ag Ghali ont longtemps bénéficié de l’aide de l’Algérie, qui croyait ainsi les contrôler. « Il y a encore quelques semaines, les combattants d’Iyad ont reçu d’Alger du renseignement et des armes individuelles », ajoute-t-il. Par ailleurs, début janvier, des témoins ont vu arriver à Gao et à Tombouctou plusieurs convois de camions transportant des fûts de 200 litres de carburant en provenance de Bordj Badji Mokhtar, à la frontière algérienne. Si la source se tarit, les stratèges de Bamako et Paris pensent que les groupes armés du Nord-Mali ne tiendront pas longtemps. À moins qu’ils tentent une sortie par le Niger et la Libye, à l’est. D’où la nécessité de renforcer l’armée nigérienne et de déployer une partie du contingent tchadien à la frontière Mali-Niger.

Que faire des chefs jihadistes ? Si les émirs d’Aqmi, notamment Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar, sont localisés, ils risquent leur vie. Mais si le leader d’Ansar Eddine est cerné, il pourrait connaître un sort différent. Soucieux de ne pas en faire un martyr, les Maliens souhaitent qu’Iyad Ag Ghali soit jugé. À Bamako ? Non. Au Mali, la peine de mort existe toujours, et une condamnation d’Ag Ghali à la peine capitale ne serait pas du meilleur effet.

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Fouille d’une voiture sur la route de Gao, près de Sévaré, le 27 janvier.

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© Jerome Delay/AP/Sipa

Le cas est donc compliqué. Jusqu’à preuve du contraire, l’individu n’est ni un illuminé du jihad ni un terroriste. Dans une vie antérieure, il a été diplomate ou négociateur dans des affaires de libération d’otages. Mais il pourrait être poursuivi pour le massacre d’Aguelhok (plusieurs dizaines de soldats maliens froidement exécutés en janvier 2012), ou pour les exactions commises ces derniers mois à Gao et à Tombouctou. Il n’est donc pas exclu que la justice internationale s’intéresse à lui. En juillet 2012, après les graves crimes perpétrés dans le Nord, les autorités maliennes ont demandé l’entrée en action de la Cour pénale internationale (CPI). Le 16 janvier, la procureure de la Cour, Fatou Bensouda, a annoncé l’ouverture d’une enquête.

Comment empêcher que la guerre recommence le jour où les troupes françaises et africaines repartiront ? Il faut d’abord reconstruire l’armée malienne. Avec l’aide des donateurs qui se sont réunis à Addis-Abeba, le 29 janvier, Bamako espère pouvoir exécuter une loi de programmation militaire ambitieuse : 900 milliards de F CFA (1,37 milliard d’euros) sur cinq ans. Mais surtout, il faut trouver une solution politique à la question du Nord. Un État fédéral ? Dioncounda Traoré n’y croit pas : « Le Mali est un et indivisible. » Une large autonomie du Nord ? « Ce n’est pas parce que cette région pose problème qu’elle doit avoir des privilèges, répond-il. Le Mali est une mosaïque de minorités. » Le président malien préfère parler de décentralisation.

Bel optimisme

Le 29 janvier, les députés maliens ont voté à l’unanimité une « feuille de route » pour l’après-guerre. Elle prévoit notamment la mise en place d’une commission de réconciliation nationale qui, selon Dioncounda Traoré, « va déterminer ce qu’il faut négocier et avec qui ». Pour l’instant, le seul interlocuteur que reconnaît Bamako, c’est le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Le problème, c’est qu’il ne représente plus grand-chose sur le terrain militaire. Le président malien ajoute : « Cette commission va s’approprier ces négociations. » Sous-entendu : fini la mainmise de Blaise Compaoré, le médiateur de la Cedeao.

Il reste la question essentielle de la démocratie. Est-ce pour faire plaisir aux donateurs ? Le jour de la conférence d’Addis-Abeba, Dioncounda Traoré a annoncé sur place que la présidentielle pourrait se tenir sur tout le territoire malien avant le 31 juillet prochain. Y croit-il lui-même ? « La préparation des élections est très fortement avancée », dit-il, en rappelant qu’il ne sera pas candidat lui-même. Bel optimisme de la part d’un chef d’État dont la résidence a encore été encerclée pendant quelques heures par des hommes armés, le soir du 10 janvier dernier. Le chef des putschistes du 21 mars, le capitaine Sanogo, peut-il encore jouer les trouble-fête ? « Non, lui-même est débordé par sa base et par des sous-officiers comme l’adjudant-chef Seiba, répond l’officier d’état-major cité plus haut. Et derrière ces militaires factieux, il y a le député Oumar Mariko et les politiciens de la Copam [Coordination des organisations patriotiques du Mali]. » Certes, tant que les troupes africaines et françaises camperont à Bamako, on voit mal comment les militaires de Kati pourraient sévir. Mais depuis l’intervention française du 11 janvier, le Mali est en suspension. Hors temps, hors sol. Attention au retour à la réalité.

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