Union africaine : la leçon malienne

Unanimes, les chefs d’État du continent ont salué, lors du sommet de l’UA (27 et 28 janvier), l’intervention militaire française au Mali. Mais celle-ci démontre aussi leur incapacité à régler leurs problèmes seuls. Et relance la question d’une force d’interposition africaine.

Dioncounda Traoré, le président malien et Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française. © AFP

Dioncounda Traoré, le président malien et Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française. © AFP

Publié le 11 février 2013 Lecture : 6 minutes.

« Shame on us ! » Dans les couloirs du centre de conférence de l’Union africaine (UA), un diplomate ouest-africain s’épanche sur l’épaule de l’un de ses pairs. Il est, bien sûr, question de l’intervention tardive des armées africaines au Mali et de la lenteur de leur déploiement sur le terrain. « Les dirigeants applaudissent la France, mais ils pensent que l’Afrique aurait dû stopper les rebelles au Sahel et en Centrafrique », confie Ramtane Lamamra, commissaire de l’UA à la Paix et à la Sécurité. Cinquante ans après les indépendances et alors que l’organisation fête cette année la renaissance africaine, on vit mal le fait d’appeler l’ancienne puissance coloniale pour jouer les gendarmes alors que le continent a montré sa capacité à agir au Soudan, en Somalie et aux Comores.

Cette guerre sahélienne et les autres crises africaines ont animé les débats du sommet des chefs d’État et la conférence des donateurs pour le Mali qui a suivi. La nouvelle présidente de la Commission, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, a bien essayé de remettre les projets d’intégration, de développement économique et d’émancipation des femmes au centre des discussions. Mais les esprits étaient ailleurs… Dans les suites présidentielles du Sheraton, les images de France 24 montrant la reprise de Gao, Tombouctou, puis Ansongo, passaient en boucle.

la suite après cette publicité

"Sans les Français, les islamistes seraient à Bamako"

La France, qui a envoyé plusieurs émissaires à Addis-Abeba (Laurent Fabius, le chef de la diplomatie, Thomas Melonio, conseiller Afrique de l’Élysée…), a pu tester sa popularité. Parmi les vingt-cinq chefs d’État ou ministres qui se sont exprimés sur le rapport du Conseil de paix et de sécurité, on n’a pas entendu une seule voix discordante. Du Béninois Boni Yayi à l’Ivoirien Alassane Ouattara, en passant par Dlamini-Zuma ou encore par le Premier ministre éthiopien, Hailemariam Desalegn, tous ont salué l’intervention. « Sans les Français, les islamistes seraient à Bamako et menaceraient toutes les capitales de la région », a rappelé Macky Sall, le président sénégalais. Dans les couloirs, on a aussi vanté la prompte action du Maroc, pourtant non membre de l’organisation. Le royaume, qui présidait le Conseil de sécurité en décembre 2012, a permis l’adoption en urgence de la résolution 2085, sésame demandé par François Hollande pour déclencher les opérations. « On était prêt depuis le mois d’octobre, confie un chef d’État ouest-africain. Dès le début du mois de décembre, nous avions requis l’appui aérien de la France, qui réservait sa réponse, craignant un enlisement dans un "sahelistan" et des représailles contre les communautés touareg et arabe. »

Les seuls à exprimer des réserves ont été les pays au nord du Sahara.

En fait, les seuls à exprimer des réserves ont été les pays au nord du Sahara. L’Algérie a adressé un message de fermeté aux terroristes, une semaine après l’attaque du site gazier d’In Amenas. Plus à l’est, on s’inquiète des conséquences de la guerre et des réactions des opinions publiques, surtout de celles des militants islamistes. « Cette intervention va déstabiliser nos pays et disséminer de nouvelles poches terroristes dans cette partie du continent », explique sous le couvert de l’anonymat un membre de la délégation égyptienne. Des réserves partagées par les Libyens et les Tunisiens que les dirigeants ouest-africains se sont efforcés de dissiper.

Hailemariam Desalegn, l’homme tranquille

Il y a six mois encore, Hailemariam Desalegn n’était que le discret adjoint du tout-puissant Mélès Zenawi, le Premier ministre éthiopien décédé en août 2012 auquel il a succédé. Desalegn, ingénieur et universitaire de 47 ans, a pris la tête de ce grand pays qui compte plus de 83 millions d’habitants et s’affirme désormais comme une puissance économique et militaire régionale. La forte personnalité de Mélès Zenawi étant difficile à faire oublier, son successeur veut rassurer les Éthiopiens en inscrivant son action dans la continuité, mais aussi les investisseurs étrangers en leur montrant que le pays demeure stable et bien gouverné. Reste que son ascension fulgurante ne s’arrête pas là. Par un étonnant hasard de calendrier, il a été intronisé, le 27 janvier, président en exercice de l’Union africaine, prenant ainsi la suite du Béninois Boni Yayi. « Il apprend vite », se réjouit-on dans les couloirs de l’organisation. Ses premières rencontres avec Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission, se sont bien passées. « Il est efficace et pragmatique. Il devrait travailler main dans la main avec elle », se félicite un fonctionnaire tombé sous le charme. P.A. et G.D.

la suite après cette publicité

« Parce que la peur a changé de camp, voici que des voix crient à la croisade contre l’islam, s’est offusqué Dioncounda Traoré, le président par intérim du Mali. Mais qu’on nous dise pourquoi personne ne nous a entendus quand notre pays, qui est musulman à 95 %, a eu besoin de la compassion et de la solidarité de ses frères en islam. » Chaudement félicité après un discours emprunt d’émotion, le président malien est reparti légitimé par la communauté internationale. À l’inverse, le capitaine Sanogo apparaît comme le grand perdant. « Depuis l’arrivée des Français, les putschistes du 21 mars [2012, NDLR] sont neutralisés », explique un conseiller du palais de Koulouba à Bamako. La nouvelle feuille de route prévoit aussi la mise en place d’un nouvel état-major de l’armée.

la suite après cette publicité

Leadership

Si la France, contestée pour son intervention en Libye, a retrouvé aura et influence dans son ancien pré carré francophone, de nouvelles puissances africaines souhaitent assurer leur leadership. « Nous sommes intervenus en Centrafrique pour préserver nos intérêts », a avoué en toute franchise le président sud-africain Jacob Zuma. Ce qui a eu le don d’irriter les chefs d’État d’Afrique centrale, qui ont déployé une force conjointe pour faire ce travail.

Autre puissance montante, l’Angola cherche à imposer sa vision de la sortie de crise en Guinée-Bissau. « Cela ne sert à rien d’aller trop vite aux élections, explique Georges Chikoti, ministre angolais des Relations extérieures. Il faut d’abord mettre en place un gouvernement d’ouverture et travailler à la réforme de l’armée. » Le président nigérian, Goodluck Jonathan, l’a rappelé à l’ordre en plaidant pour le respect de la feuille de route de la Cedeao, qui prévoit le scrutin présidentiel en mai 2013. Deux exemples illustrant les guerres d’influence à venir entre les francophones alliés au Nigeria et les pourfendeurs de la Françafrique emmenés par l’Afrique du Sud et l’Angola.

L’idée de forces d’interposition régionales et d’une force en attente de l’UA, composée de 5 000 hommes solidement équipés, a été remise au goût du jour.

En dépit de ces divergences, un sujet a fait consensus. « La question de la défense nationale et collective doit revenir au coeur de nos politiques », a notamment plaidé le président sénégalais. La majorité des armées africaines ont tout juste le niveau pour lutter contre des rébellions nationales et assurer les opérations de maintien de la paix. Elles n’ont pas de possibilité de projection sur d’autres théâtres face à des groupes puissamment armés. Il leur faudrait des Mirage ou des F16 pour remplacer des appareils ukrainiens ou russes de troisième ou quatrième génération, souvent défaillants et coûtant cher en entretien. Du coup, l’idée de forces d’interposition régionales et d’une force en attente de l’UA, composée de 5 000 hommes solidement équipés, a été remise au goût du jour. « L’Afrique doit trouver la volonté politique de mobiliser les ressources requises », a souligné Paul Kagamé, le chef d’État rwandais. Une manière de se débarrasser de ce sentiment de honte qui semblait habiter les participants au début du sommet.

________

Par Pascal Airault et Georges Dougueli, envoyés spéciaux

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Les forces françaises et maliennes sont aux portes de Tombouctou. © Sipa

Guerre au Mali : l’Afrique sous le choc

Contenus partenaires