Médias : au Mali, circulez, y a rien à voir !

Dans le conflit malien, pour le moins complexe, les télévisions travaillent avec peu d’images et un accès limité à l’information. Résultat mitigé.

Les reporters, le 25 janvier 2013, à Sévaré. © AFP/Fred Dufour

Les reporters, le 25 janvier 2013, à Sévaré. © AFP/Fred Dufour

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 9 février 2013 Lecture : 7 minutes.

Trois semaines après le début de l’intervention française sur le sol malien, le 11 janvier, l’opinion publique reste sur sa faim en matière d’information, car on ne voit plus grand-chose au journal télévisé de 20 heures. Un conflit à huis clos sans image, ni ennemi, ni contexte. Le flou total. La couverture par les médias français de la guerre au Mali, de ses enjeux historiques, politiques et humains ne déroge pas au bon mot de l’écrivain britannique Gilbert Keith Chesterton : « Le journalisme consiste pour une large part à dire "Lord Jones est mort" à des gens qui ne savaient même pas que Lord Jones existait. »

Le terrain, disent les confrères, est verrouillé. « Les autorités militaires françaises et maliennes gardent à distance les journalistes. C’est la règle en temps de guerre », constate Ambroise Pierre, responsable Afrique de l’ONG Reporters sans frontières. Un véritable cauchemar pour les journalistes sur le terrain et dans les rédactions.

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Dans les premiers jours de la guerre, les télévisions françaises, si friandes de séquences vidéo pour nourrir leur storytelling, ont dû improviser, sans disposer d’éléments de reportage. « Ces images nous ont été fournies par l’armée française », s’excuse la voix off. À l’écran, pas de combats, à peine quelques vues furtives d’avions de chasse dans un hangar ou sur un bout de piste. Ni date ni localisation… La Grande Muette mérite son surnom. Du coup, les rédactions ont commencé par bricoler leurs premiers sujets avec une débauche d’images de synthèse et de cartes satellitaires : quand ils ne peuvent pas décrire et témoigner, les médias se contentent parfois de mimer la réalité. Et les reportages des envoyés spéciaux se déclinent et se répètent jusqu’à l’ennui.

Rafale et bidasse

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Scène 1 : la joie des Maliens. Dès le week-end du 12 janvier, les drapeaux français envahissent Bamako et les écrans de télévision. Des « Vive la France ! », « Merci François Hollande ! » mille fois rabâchés. Et cette rumeur, impossible à illustrer et qui en rappelle des précédentes : des nouveau-nés que l’on prénomme Hollande.

Scène 2 : le Rafale. Fierté de l’armée de l’air française, l’appareil survole un terrain désertique. L’image la plus utilisée est celle d’un ravitaillement aérien, opération toujours spectaculaire. Des plans plus lents ou fixes permettent d’apprécier l’équipement français : blindés, avions.

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Scène 3 : le bidasse se prépare. À l’arrivée des soldats français à Bamako, dès la descente de l’avion, les caméras sont là. « Boots on the ground », dit l’expression anglo-saxonne. Sans enjeu informatif, ces images semblent tolérées par l’armée.

Nouveauté de cette intervention française, elle se fait contre un ennemi aussi insaisissable qu’invisible. Les aléas d’une guerre dite asymétrique, qui est vécue exclusivement du côté des armées française et malienne – quoique cette dernière occupe le second rôle. « C’est la première fois que je ne peux pas passer d’un camp à l’autre », témoigne le photoreporter Michaël Zumstein dans l’hebdomadaire Télérama. Même en Syrie, où le conflit a fait de nombreuses victimes parmi les journalistes, il est encore possible de voir et de raconter la guerre vue des deux camps ennemis. Au Mali, la troupe barre le front aux correspondants, obligés de ruser pour contourner les check-points.

Depuis Paris, le Quai d’Orsay invite les journalistes à respecter les consignes de sécurité. Vétéran des théâtres de guerre (Rwanda, RD Congo, Afghanistan, Irak, Libye), le reporter Jean-Paul Mari s’agace des entraves mises à son travail au nom de la sécurité : « Peut-être faut-il reconnaître à ceux qui font ce métier depuis cinq, dix, vingt, trente ans une certaine capacité à ne pas faire n’importe quoi. Une responsabilité, voire une compétence dans l’exercice de leur métier. » Prétendre couvrir une guerre avec pour seules « billes » les communiqués du gouvernement français, des images contrôlées par l’armée et de maigres micro-trottoirs, c’est un peu court à l’ère de l’info en continu.

Un ennemi absent

Des combats, les télé­spectateurs ne verront que ce que l’armée veut bien diffuser. C’est-à-dire rien. Après quelques menaçants communiqués, les jihadistes ont brusquement disparu des médias. Contre qui se battent les militaires français ? Contre « les terroristes », martèle François Hollande, briefé par l’ex-journaliste Claude Sérillon et repris en écho par son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Bien commode, ce terme générique aux accents bushiens permet d’englober les différents groupes armés qui occupent le Nord-Mali. Car les journalistes des médias généralistes, surtout ceux de la radio et de la télévision, n’ont pas le temps ni même l’envie d’entrer dans les détails.

Du coup, on apprendra seulement que, « tels des renards », les jihadistes frappent et disparaissent. Après avoir dramatisé leur résistance à Konna (« Ils sont armés lourdement ») et leur attaque contre Diabali (« Ils avancent vers le sud »), on suggère aujourd’hui deux hypothèses pour tenter d’expliquer cette apparente absence d’ennemi, relève le journaliste Daniel Schneidermann, fondateur du site de décryptage des médias Arrêt sur images. Soit ils se sont fondus dans la population (« On se rase la barbe, on adopte un boubou civil »), soit ils se sont réfugiés dans leurs sanctuaires (« Il va falloir aller les déloger »).

Moment paroxystique du malaise journalistique, la prise d’otages du site gazier d’In Amenas, dans le sud-est de l’Algérie, a donné lieu à un déferlement de théories, notamment sur les plateaux des chaînes d’information en continu. On peut blâmer encore le black-out médiatique des forces algériennes. Mais au lieu de chercher à saisir le contexte et de faire le tri parmi les bribes d’informations qui déferlent, éparses et difficiles à recouper, l’emballement du direct et de la « dernière actu » prend le dessus. Faut-il accuser, avec Blaise Magnin et Henri Maler sur le site acrimed.org (Action Critique Médias), les journaux télévisés – ceux de TF1 en particulier – de pratiquer un journalisme « d’accompagnement et de remplissage » ? Les deux universitaires décryptent la dépendance des médias au bon vouloir de l’armée française, l’absence d’analyse sur la politique malienne, la place donnée au pittoresque et à l’anecdote au détriment du contexte.

Choix sémantiques

Évident et gênant, le premier parti pris est patriotique. Le journalisme « cocorico » des premières heures de l’intervention française a donné la tonalité du traitement médiatique. Sur la chaîne iTélé, l’enthousiasme est palpable dans ce commentaire en direct d’un journaliste : « On frappe vite, on frappe fort. » La formulation renforce l’identification avec « nos soldats », expression employée par BFM TV. Ces choix sémantiques font débat dans toutes les salles de rédaction et peuvent d’ailleurs changer : « On nous a demandé de ne plus employer l’appellation de terroristes », explique Martine Laroche-Joubert, grand reporter à France 2. Difficile malgré tout d’éviter les maladresses, comme quand une consoeur annonce, le 30 janvier sur une autre chaîne, que « l’armée française a reconquis Kidal ».

Les offensives militaires, dont rien n’est trahi à l’avance, rythment le traitement audiovisuel. Sur France 2, lundi 28 janvier, la « libération » de Tombouctou fait l’ouverture du journal de 20 heures. À l’entrée de la ville, l’envoyé spécial montre, comme vestige du joug jihadiste, un panneau indiquant : « La porte de l’application de la charia vous souhaite la bienvenue. » « Tout un symbole », commente le journaliste, sans plus d’explications. Deux jours plus tôt, la prise de Gao, autre bastion des combattants islamistes, donnait lieu à un reportage d’une minute et quarante secondes avec le maire de la ville. L’information arrivait en huitième position, après… la course à la voile du Vendée Globe (deux sujets), la pilule contraceptive Diane 35, la surveillance des employés, le meurtre d’une joggeuse à Nîmes (dans le sud du pays), la neige et le verglas en Île-de-France, la manifestation du lendemain pour le mariage homosexuel et les violences en Égypte. 

Ce qu’en dit la Grande muette

Le colonel Thierry Burkhard est formel : il n’y a pas de black-out organisé par l’armée. « Les journalistes réclament des images de combats qui n’ont pas eu lieu ! Les affrontements au sol ont été très rares, à peine quelques coups de feu pour prendre le pont de Gao », explique le porte-parole de l’état-major. Sur le terrain, l’armée dispose de trois équipes de militaires-reporters portant Famas mais dont « la première arme reste la caméra ». Leurs images sont diffusées par l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense : deux à trois heures de vidéos et près de 200 photos en vingt jours d’opération. Le colonel ne nie pas vouloir maîtriser la communication : « On ne donne pas d’infos qui trahiraient nos plans et mettraient nos hommes en péril », argumente-t-il, rappelant que plus de 200 journalistes de 80 médias ont été embarqués par l’armée de terre. « Et si l’armée malienne empêche les autres de passer, on n’y peut rien, même si on leur a dit que c’était contreproductif en terme de com’. »

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