Idir : « L’Algérie n’est pas un État de droit, mais elle progresse »

Ses fans n’y croyaient plus ! Vingt ans après « Les Chasseurs de lumières », l’artiste kabyle Idir sort un album solo intimiste. Il ose même s’aventurer du côté de Beethoven… et des Who.

Le chanteur se produira à l’Olympia de Paris les 4 et 5 février. © Vincent Fournier / J.A.

Le chanteur se produira à l’Olympia de Paris les 4 et 5 février. © Vincent Fournier / J.A.

FARID-ALILAT_2024

Publié le 28 janvier 2013 Lecture : 6 minutes.

Il a « l’Algérie dans le coeur et un village kabyle dans la tête ». Mais s’il remplit l’Olympia ou le Zénith à Paris, les stades en Tunisie ou au Maroc, Idir – Hamid Cheriet de son vrai nom – n’a plus chanté dans son pays depuis 1979. Alors faute de se produire devant ses compatriotes, ce natif d’un village perché sur les monts du Djurdjura, en Kabylie, n’a jamais cessé d’évoquer son Algérie dans ses albums. Et le tout nouvel Adrar Inu (« Ma montagne »), qui sortira le 4 février, ne dérogera pas à la règle. Enregistré dans sa maison de la banlieue parisienne, ce nouvel opus est un retour aux sources, une oeuvre intimiste, la plus personnelle et la moins festive de son répertoire, conçue dans la douleur. À un point tel que ce géologue de formation a failli mettre un terme à sa carrière, ayant perdu celle qui fut son fil d’Ariane depuis son premier album en 1975 et à laquelle il rend hommage : sa mère, décédée le 18 mars 2012 à l’âge de 96 ans. « C’était une poète et elle m’a beaucoup appris, confie, à 64 ans, Idir. Le manque, la douleur de perdre une mère est quelque chose d’universel que je voulais partager. »

JEUNE AFRIQUE : Votre dernier album solo, Les Chasseurs de lumières, remonte à 1993. Est-ce que cette longue absence est due à un manque d’inspiration ?

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IDIR : L’inspiration existe toujours. Si la chanson était une vocation, je ferais un album tous les deux ans. En plus de trente-cinq années de métier, j’ai réalisé quatre albums solo. J’ai l’impression d’avoir tout dit. J’ai chanté l’immigration, les droits de l’homme, la démocratie, l’injustice, la culture berbère, nos traditions, la nostalgie, l’entraide. Avec Les Chasseurs de lumières, j’ai joué au sociologue parce que, chez les Kabyles, la chanson légitime la langue. J’essaie modestement de transmettre une langue, un patrimoine et une culture… Bref, je crois avoir fait le tour des thèmes qui me sont chers.

Ce nouvel album a pour titre Adrar Inu (« Ma montagne »). Un retour aux fondamentaux ?

Je devais livrer un dernier disque à Sony et je subissais des pressions pour le faire. À un moment, j’avais même l’intention d’arrêter la musique. Parce qu’il me semblait ne pas pouvoir apporter quelque chose d’original. Mais au final, cet album est sans doute le plus personnel de mon parcours.

Il est tellement intimiste que vous chantez une oraison funèbre en hommage à votre mère, quitte à « blasphémer » en demandant à Dieu d’ouvrir sa tombe pour revoir son visage…

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Cette chanson, je l’ai enregistrée à 2 heures du matin avec le preneur de son. Nous étions seuls dans le studio. Même les musiciens qui ont travaillé avec moi n’étaient pas au courant de cet enregistrement. Je l’avais gardé pour moi et je ne voulais pas que les autres le sachent. C’est un moment intime entre un fils et sa mère.

Ma mère était une poète et elle m’a appris d’anciens poèmes dont je me suis inspiré par la suite.

Votre mère a-t-elle compté dans votre parcours artistique ?

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C’est grâce à elle et à ma grand-mère que j’ai pu prendre conscience et connaissance de tous les éléments constitutifs de notre culture. Le militantisme est venu après. Ma mère était une poète et elle m’a appris d’anciens poèmes dont je me suis inspiré par la suite. Dans notre société, la mère n’est pas simplement l’autre moitié du couple, elle est le socle sur lequel se construit la famille, et c’est d’autant plus vrai que le père est souvent absent, pris par d’autres tâches. La femme fait office de mère et de père.

Une adaptation d’un air britannique du XVIIe siècle (Scarborough Fair), une reprise d’un tube des Who [disponible uniquement en téléchargement], un morceau de Beethoven. Idir n’est plus un chanteur kabyle ?

Je chante en kabyle, mais j’ai voulu élargir le spectre de mon répertoire musical en m’ouvrant à d’autres sonorités. Il n’est pas bon de confiner la chanson kabyle dans un seul registre, un seul créneau. Avec cette langue, on peut tout chanter, il suffit d’y mettre de l’âme, de l’intelligence, des couleurs et de la diversité.

Vous vivez en France, mais on a l’impression que cet album a été écrit dans un village de Kabylie.

Parce que j’ai un village kabyle dans ma tête. J’ai un pays qui s’éloigne un peu plus de moi et je m’éloigne un peu plus de lui, mais il me reste ces choses immuables qui maintiennent des liens indestructibles. La montagne, les chênes et les oliviers centenaires, les couleurs, les paysages, les sons, les humeurs, les vibrations, la langue, les gens. Même si je ne vis pas en Algérie, tous ces éléments que je garde au fond de moi ressortent durant l’exercice d’écriture et de composition.

Un fan nommé Boumédiène

En 1977, époque où L’Algérie vivait encore sous le régime du parti unique, Idir donne un concert à la Coupole d’Alger. Dans l’assistance, il y avait le président Houari Boumédiène. « On m’a dit qu’il était là, mais je ne l’ai pas vu, raconte le chanteur. L’un de ses conseillers qui deviendra plus tard chef du gouvernement me confirmera que le président était bien dans la salle. Ce jour-là, il y avait de hauts gradés, des responsables de l’État, des apparatchiks du FLN, ceux-là mêmes qui nous interdisaient de parler en kabyle, qui nous déniaient le droit de revendiquer notre culture. » K.D.

Vous n’avez plus donné de concert en Algérie depuis 1979. Vous y êtes interdit ?

Je ne suis pas interdit. Ce n’est pas l’envie qui manque. Toutefois, j’appréhende de donner un spectacle dans mon pays. Je devais chanter au milieu des années 1980 en Kabylie mais, devant l’engouement des gens, les responsables ont pris peur et ont annulé la tournée. On m’a affirmé qu’un spectacle d’Idir ne pouvait pas se faire dans une salle. J’ai proposé le stade de Tizi Ouzou. On m’a répondu que celui-ci était en travaux. J’ai demandé à chanter dans les villages. Là encore, on m’a expliqué que l’intendance manquait. J’ai compris qu’ils avaient peur, qu’ils avaient reçu des instructions.

Mais vous étiez sollicité…

À maintes reprises. Des offres et des propositions qui se faisaient sous l’égide des autorités. Je n’en veux pas. Je ne veux pas devenir l’instrument d’une quelconque institution. Je ne souhaite pas être discrédité ni récupéré. Les pouvoirs, je m’en méfie quels qu’ils soient. J’estime qu’un artiste est perdu dès qu’il perd sa liberté d’agir.

Ce pouvoir, vous l’aviez même critiqué et dénoncé…

Je l’ai fait quand il fallait le faire et j’ai dit des choses positives quand il le fallait. L’année dernière, on m’a sollicité pour chanter dans le cadre du cinquantenaire de l’indépendance. J’ai refusé. En 1962, les Algériens aspiraient à vivre dans un pays libre et démocratique. À la place, on a eu droit à des responsables qui ont confisqué le pouvoir en arrivant sur des chars. Je n’ai pas envie de servir ces gens-là.

Les pouvoirs, je m’en méfie quels qu’ils soient. J’estime qu’un artiste est perdu dès qu’il perd sa liberté d’agir.

Donc vous ne chanterez pas en Algérie…

Promettez-moi de chanter librement en Algérie, je me produirai aux quatre coins de mon pays.

Quel regard portez-vous sur l’Algérie d’aujourd’hui ?

Vous posez là une question difficile. Il est ardu de parler d’un État qui n’est pas encore un État de droit, difficile aussi de critiquer parce que, malgré tout, l’Algérie est un pays qui évolue. Il y a en Algérie des hommes et des femmes, des responsables, des officiers, de hauts commis de l’État, des gens de la société civile qui ont le sens du devoir national. Il ne faut pas critiquer pour le plaisir de critiquer. Je suis algérien de nationalité et ce pays compte beaucoup pour moi. Cela étant dit, on ne pourra pas avancer en l’absence d’un État de droit.

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