Côte d’Ivoire : Aya face à la montée des eaux

Simon Coulibaly Guillard présente son premier long-métrage, l’histoire d’une jeune fille qui vit son passage à l’âge adulte à Lahou, un village ivoirien peu à peu englouti en raison de la montée des eaux.

« Aya », un long-métrage de Simon Coulibaly Guillard. © La vingt-cinquième heure

eva sauphie

Publié le 16 octobre 2022 Lecture : 5 minutes.

Comment réussir son passage à l’âge adulte quand le village de son enfance tend à disparaître sous les eaux ? C’est la question que pose le très beau film de Simon Coulibaly Guillard, réalisateur français déjà à l’origine de plusieurs courts et moyens-métrage tournés en Afrique de l’Ouest, notamment au Burkina Faso, avec son complice de la première heure, le Burkinabè Lassina Coulibaly.

Tourné en Côte d’Ivoire, à Lahou, un village de pêcheurs victime de l’érosion due au dérèglement climatique, le film suit Aya, une jeune fille à l’aube de l’adolescence qui n’a jamais connu que cette bande de sable située à 150 km à l’Ouest d’Abidjan. Pourtant, elle devra bientôt partir et faire l’apprentissage d’un ailleurs, loin de sa culture et de ses croyances. Si le cinéaste témoigne de ce phénomène tragique, injectant du réel à sa fiction, il s’intéresse moins à la question politique qu’à la trajectoire intime de son héroïne. Entretien.

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 Jeune Afrique : Quel est le point de départ du film ?

Simon Coulibaly Guillard : Ce séjour, c’est d’abord une rencontre qui a commencé en fanfare. Je suis tombé en panne de voiture alors que préparais un périple de 6 000 km le long du littoral, en Côte d’Ivoire. Je suis resté immobilisé pendant 10 jours et j’ai fini par tomber par hasard sur cet endroit, ce village, qui m’a paru paradisiaque au début, avec ses palmiers, sa longue plage de sable fin… C’est la découverte de ce cimetière et de l’impossibilité pour les habitants de réenterrer leurs morts, face à l’urgence de la montée des eaux, qui m’a fait rester un an au total.

Qu’avez-vous appris de ce séjour et des habitants du village ?

C’est difficile à nommer. Il m’a fallu m’affranchir de mon approche européenne, scientifique et logique des choses. À travers un regard occidental, la raison de la montée des eaux dans ce village va être naturellement associée au réchauffement climatique. Or, une société n’ayant aucune histoire industrielle ne peut pas envisager ce discours. J’ai donc mis de côté mon raisonnement pour absorber la vision des habitants. Ils sont positifs et s’en remettent à Dieu, sans avoir besoin de plus d’explications. Le public occidental peut les trouver fatalistes. Mais non, il y a beaucoup de naturalité dans tout ça. Ils ne sont pas aigris face à ce qui leur arrive.

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Les conditions de tournage ont-elles été difficiles ?

Sur l’île, il n’y a pas d’électricité. Cela suppose une logistique importante. Par ailleurs, on a dû avoir recours à un traducteur, car les habitants parlent le dioula. Les scènes de dialogues entre Marie-Josée [ndlr : Marie-Josée Degny Kokora, Aya dans le film] et sa maman [ndlr : interprétée par Patricia Egnabayou] ont été construites grâce à une écriture mémorielle, du quotidien. Pendant le tournage, les histoires partagées par les villageois ont été mises dans la bouche d’Aya, qui est devenue une sorte de porte-parole de tout le village. C’est de cette manière que la fiction se tisse. La mère et sa fille connaissaient les thèmes du scénario, puis se livraient à l’improvisation. Entre temps, il a fallu déterminer une action. La maman est poissonnière, quant à Aya, c’est une ado. Ce qui compte pour elle, c’est de manger et de dormir. Il fallait dramatiser cette action.

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Mais les difficultés ont surtout été sociales Les relations humaines n’étaient pas toujours évidentes. Pendant un an, on a le temps de mal se comprendre, mais aussi de se rabibocher.

Aya ne veut pas quitter son village, en dépit de la menace des eaux. Qu’aviez-vous envie de dire à travers son personnage ?

Ce qui m’intéressait dans cette histoire, c’était la petite histoire. De montrer ce qu’il se passe quand on a 15 ans et que l’on n’a plus de trace de son enfance. C’est cet aspect mémoriel qui m’intéressait. La grande histoire écologique et environnementale, ce village qui disparait, est une manière de souligner cette disparition de l’enfance. Car, au final, on a tous connu ce passage. C’est l’histoire d’une jeune fille qui commence à devenir une ado, qui regarde les garçons et qui prend ses références culturelles pour acquises, sa langue, sa façon de se nourrir ou de se vêtir, et qui se fait surprendre par le monde qui l’entoure en finissant par embrasser une modernité qui l’étonne elle-même.

Oui, car, comme de nombreux déplacés climatiques, Aya doit quitter le village pour les grandes villes déjà surpeuplées…

J’avais vraiment envie de créer deux espaces en confrontation. Un espace sur l’île, celui de la tradition et de l’identité, et un espace de modernisme, dans la ville, où les femmes embrassent leur désirabilité, le regard des autres et des hommes. Sur l’île, la lumière est très organique, douce.  À Abidjan, elle est saturée, avec beaucoup de bruit. Mais je ne voulais pas tomber dans le manichéisme et je me suis davantage concentré sur le village. Aya suit sa trajectoire, celle d’une jeune femme qui souhaite juste s’approprier son corps et sa liberté.

J’ai personnellement un rapport d’amour-haine envers les capitales africaines, comme européennes d’ailleurs. C’est un espace dans lequel on joue le jeu du mimétisme. On s’imite les uns les autres et on finit par perdre sa propre langue, son rapport aux ancêtres. La question de l’identité qui émane du film m’était très chère.

La question de la migration climatique n’est que suggérée dans le film. Pour autant, quel est votre regard sur ce fléau ?

J’ai mes convictions personnelles depuis l’écriture du film, mais je ne préfère pas me prononcer. Ce n’est pas totalement le sujet du film. Mais ce qui est sûr, c’est qu’en défendant le projet en salles, je suis témoin de réactions fortes. Il y a peu, j’ai présenté Aya à Calais, où la question de la migration, notamment climatique, est plus que prédominante. J’ai pu être témoin des trains bondés, de flics d’un côté, et d’une foule de gens voyageant avec des sacs plastiques en guise de bagages, de l’autre. Sans changement politique, l’Europe entière deviendra Calais.

Qu’est devenu le village depuis la fin du tournage ?

Il y a toujours des habitants, principalement des pêcheurs qui sont liés corps et âmes à la mer. Ils ont en quelque sorte retrouvé une vie de nomade qui existait avant la montée des eaux finalement. La ville est passée de 20 000 à 2 000 habitants en une dizaine d’années. Lahou a longtemps été un village important, c’est ici que se trouvait la préfecture de Grand-Lahou. Il y avait une mairie, un phare, des hôtels de long de la côte… Aujourd’hui, il n’y a plus rien, pas même une pharmacie.

Aya, de Simon Coulibaly Guillard, en salles depuis le 12 octobre

"Aya" © La vingt-cinquième heure

"Aya" © La vingt-cinquième heure

Le film a été diffusé à la télévision ivoirienne, sur Canal+ Afrique.

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