Quel avenir pour les banques africaines face aux crises ?
Un mois avant l’Africa Financial Industry Summit, à Lomé, Jeune Afrique et The Africa Report ont conduit une réflexion sur l’avenir du secteur bancaire africain avec des experts lors d’une conférence digitale. Les temps forts sont à retrouver ici.
Classement exclusif : les 300 champions de la finance
Conjoncture délicate, souveraineté à conquérir, création impérative d’un marché commun, besoin urgent de réformes… Tels sont les défis que doivent relever les acteurs d’un secteur indispensable à l’essor du continent.
Pandémie de Covid-19, inflation, crise énergétique, dette… Si le secteur bancaire africain a jusqu’à présent fait preuve de résilience face à ces soubresauts successifs, son horizon reste plus que jamais incertain. Il est en effet confronté à une multitude de risques : défaut de paiement, baisse de la rentabilité… Le tout alors que l’industrie se reconfigure autour des fintechs, qui émergent peu à peu comme des acteurs clés de l’inclusion financière sur le continent.
Comment les banques africaines vivent-elles ces bouleversements ? Quelles sont leurs perspectives à court terme et à moyen terme ? Jeune Afrique et The Africa Report ont interrogé cinq experts du secteur : Aliou Maïga, directeur du groupe Industries financières Afrique à l’IFC ; Abdelaziz Lahlou, économiste en chef d’Attijari Global Research ; Aristide Ouattara, associé au sein du cabinet Deloitte ; Babs Ogundeyi, fondateur et CEO de Kuda, et Gwendoline Abunaw, administratrice directrice générale à Ecobank Cameroun et de la zone Cemac.
Résistance face aux chocs exogènes
Pour Abdelaziz Lahlou, trois crises majeures se juxtaposent sur le continent : la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine et la dérégulation climatique. « La pandémie a été moins grave que prévu. En revanche, la guerre russo-ukrainienne perturbe toute la chaîne de valeurs, dans une Afrique en proie au risque climatique : en 2021, 131 catastrophes naturelles s’y sont produites ».
Ces déséquilibres ont engendré une spirale inflationniste contre laquelle les États réagissent avec les moyens du bord, par « des mesures budgétaires – des subventions – et par des politiques monétaires restrictives, représentant environ 7% à 8% du PIB », explique l’expert marocain.
« Ces derniers mois, en Afrique, deux tiers des devises ont subi des dépréciations. En moyenne, les pays africains n’ont plus que cinq mois de réserve de devises, contre dix mois en 2010 », précise-t-il. Des facteurs qui limitent l’accès aux financements, et donc désavantagent les banques, qui ont « une fonction de régulation de l’économie », comme le stipule Aliou Maïga.
Selon Gwendoline Abunaw, « le facteur résistance aux crises » a permis à certaines banques de se placer en tête du classement des deux cents champions africains. « Les crises sont le meilleur moyen de tester la résilience des banques face aux chocs exogènes. Ce classement démontre que les établissements les plus matures ont eu plus de facilité pour s’adapter », souligne la représentante d’Ecobank.
Une chance pour l’Afrique
Sans surprise, les banques sud-africaines, marocaines et nigérianes continuent de dominer le marché. Toutefois, la spécialiste considère que, d’ici à quelques années, les banques d’Afrique centrale et d’Afrique australe connaîtront les évolutions les plus favorables.
De son côté, Aliou Maïga voit dans cette crise une chance pour l’Afrique. « Elle risque d’avoir un impact prolongé, mais il faut profiter de cette opportunité pour s’attaquer aux problèmes structurels du continent », explique l’économiste de l’IFC.
« L’Afrique dispose de la plus grande proportion de terres arables inexploitées dans le monde. Nous importons beaucoup, alors que nous pourrions produire plus. Il faut faire en sorte que le secteur bancaire investisse, pour que le continent soit de moins en moins vulnérable aux chocs externes. En somme, il faut rendre l’Afrique économiquement souveraine ».
L’expert en est convaincu : le continent n’attirera plus les investissements uniquement grâce aux bas salaires pratiqués, mais grâce à ses capacités logistiques, à la qualification de sa main d’œuvre, à sa proximité géographique avec l’Europe et au développement des nouvelles technologies, notamment le mobile money.
La fintech en vedette
Selon tous les panélistes, les nouvelles technologies – la fintech plus précisément – représentent l’avenir du secteur bancaire. Mieux, un partenariat entre les banques et le monde de la tech pourrait être la voie royale pour une sortie de crise.
« Le secteur bancaire traditionnel a tout à gagner dans ce partenariat. La fintech pourrait fidéliser de nouveaux clients pendant que les institutions classiques se chargeraient de l’ingénierie financière », estime Babs Ogundeyi.
Aristide Ouattara pense, pour sa part, que « l’open banking, terme consacré à ces partenariats entre les banques et les fintech, est indispensable pour la croissance rentable et durable des groupes bancaires africains ». Avant de marteler : »il est urgent de fédérer tout l’écosystème impliqué : les régulateurs, les États, les opérateurs télécoms, l’industrie bancaire et les fintech. » D’après l’expert, l’élaboration d’une réglementation robuste mais également souple doit permettre de rassurer les parties prenantes face aux enjeux soulevés par ces interactions entre la banque traditionnelle et les nouveaux acteurs.
Dans cette perspective, la dirigeante d’Ecobank confie que son groupe bancaire ambitionne de développer ses activités numériques, de se porter à l’avant-garde du commerce, des paiements, des envois de fonds et de l’inclusion financière, en renforçant notamment les partenariats avec les opérateurs télécoms Intel et MTN.
Perspectives favorables
Pour l’économiste en chef d’Attijari Global Research, avec une prévision de croissance de 4% du PIB, les perspectives du secteur bancaire en Afrique sont plutôt favorables. « Si la population adopte de plus en plus de produits bancaires par le biais du numérique alors que les partenariats banques, fintech et telecoms se consolident, cela créera un écosystème prometteur. La Cemac avance déjà en ce sens ».
Le directeur du groupe Industries financières Afrique à l’IFC se montre tout aussi optimiste. « Aujourd’hui, la situation est certes très complexe, mais pas bouchée. La communauté internationale, les gouvernements et aussi les banques, qui font souvent partie d’un groupe et qui détiennent donc des moyens d’action variés, apporteront des solutions ».
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