Jakaya Kikwete : « La France a bien fait d’intervenir au Mali »
Toujours populaire, réputé compétent, Jakaya Kikwete achèvera en 2015 son second mandat. Prendre sa retraite, assure-t-il, ne lui posera aucun problème. Rencontre avec le chef de l’État tanzanien.
Son mentor, le président Benjamin Mkapa, le décrivait en 2005 comme un « super-diplomate ». Aucun doute quant à sa franchise à l’heure de passer la main : pendant dix ans, Jakaya Kikwete avait été son ministre des Affaires étrangères. Ancien militaire diplômé d’économie, membre du parti dirigeant (la Tanganyika African National Union, devenue Chama Cha Mapinduzi en 1977) depuis le milieu des années 1970 et passionné de basket-ball, l’homme s’est impliqué dans les processus de paix au Burundi et en RD Congo – et a payé de sa personne pour mettre en place une union douanière entre le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie.
Élu troisième successeur de Julius Nyerere en 2005, il s’illustre de nouveau sur la scène diplomatique deux ans plus tard en parvenant à conduire les rivaux kényans Mwai Kibaki et Raila Odinga à un accord de partage du pouvoir. Président de l’Union africaine de janvier 2008 à février 2009, ce père de huit enfants a été réélu en 2010 face au leader du Chadema (Chama cha Demokrasia na Maendeleo), Wilbrod Slaa. Avec 61,2 % des voix, son score était en net recul par rapport aux plus de 80 % de 2005. « Je dois reconnaître que la compétition a été âpre, reflétant les progrès de la démocratie dans le pays et le fait que les partis politiques sont à présent plus forts », avait-il déclaré. La Tanzanie avait alors connu quelques manifestations violentes…
Moins populaire qu’autrefois, mais plutôt apprécié de ses concitoyens, Jakaya Kikwete, 62 ans, prendra sa retraite en 2015. En attendant, il continue d’être très actif sur le plan diplomatique, notamment dans les dossiers malgache et congolais. Mais quand la guerre lui semble nécessaire, le Tanzanien, qui a gardé en mémoire le souvenir des attentats contre l’ambassade américaine de Dar es-Salaam en 1998, n’hésite pas. Rencontre à Paris pour sa première visite officielle en France.
Jeune Afrique : La France a-t-elle pris la bonne décision en intervenant au Mali ?
Jakaya Kikwete : Bien sûr que oui. C’était la seule chose à faire. Si la France n’était pas intervenue, Bamako serait tombé.
Ne fallait-il pas encore négocier ?
Vous croyez que l’on peut discuter avec ces gens-là ? Parler avec des personnes qui n’écoutent pas, cela n’avance à rien, et ce qui se passe dans le Nord-Mali n’est pas acceptable. Les populations souffrent, elles ont besoin d’aide. Il aurait été injuste de leur répondre que c’était un problème africain et que c’était à l’Afrique de le résoudre.
Mais la France se retrouve en première ligne dans l’une de ses anciennes colonies…
La France continue d’aider ses anciennes colonies, tout comme la Tanzanie continue de recevoir un soutien de la Grande-Bretagne. Je ne vois pas où est le problème. Il faut arrêter de ressasser le passé : ce qui compte, ce sont les gens qui sont là aujourd’hui, pas ce qu’ont fait leurs arrière-arrière-grands-parents ! Le Mali est un pays indépendant qui a demandé l’aide d’un ami, c’est tout.
L’assaut des rebelles touaregs contre la ville de Ménaka remonte à janvier 2012. La communauté internationale n’a-t-elle pas mis longtemps à réagir ?
C’est toujours la même chose dans ce genre de situation. Regardez ce qui se passe en Syrie ! Les gouvernements sont lents et bureaucratiques, et c’est encore pire avec les organisations internationales.
Pourriez-vous envoyer des soldats tanzaniens dans le Sahel si l’Union africaine (UA) vous en faisait la demande ?
Nous avons une petite armée et nous avons déjà pris des engagements auprès de la RD Congo. Nos moyens ne sont pas illimités.
À Madagascar, le problème, c’était Rajoelina et Ravalomanana. Il ne fallait pas qu’ils soient candidats à l’élection.
Combien d’hommes allez-vous déployer dans les Kivus ?
Nous enverrons près de 1 000 hommes, dont un bataillon d’infanterie, pour participer à la force neutre de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs [CIRGL]. La communauté internationale a bien compris la gravité de la situation, et la CIRGL s’est impliquée dans la résolution de cette crise, l’UA et les Nations unies aussi… Ensemble, nous ferons en sorte que les problèmes du passé ne se répètent pas.
La CIRGL s’est-elle assurée que le Rwanda et l’Ouganda, qui sont accusés par l’ONU de soutenir les rebelles congolais du M23, ne prendront pas part à la force neutre ?
Ces deux pays n’ont, à ma connaissance, manifesté aucune intention d’y participer.
Vous avez, en tant que président de la Troïka de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), aidé à la recherche d’une solution à la crise malgache. Faire en sorte que ni le président ni son prédécesseur à la tête de l’État ne puissent se présenter à l’élection de mai, c’était votre idée… Êtes-vous satisfait qu’ils aient tous les deux accepté ?
C’était surtout l’idée de la SADC ! Il fallait que l’on revienne à la normalité constitutionnelle [après le coup d’État de mars 2009, qui vit Andry Rajoelina renverser Marc Ravalomanana]. Les médiateurs ont beaucoup négocié, ils ont proposé une feuille de route… Mais nous étions arrivés à la conclusion qu’il serait impossible d’organiser des élections apaisées si Rajoelina et Ravalomanana se présentaient. L’antagonisme entre ces deux personnalités était trop fort. Souvenez-vous que, lors d’une rencontre aux Seychelles, en juillet dernier, Rajoelina avait accepté de ne pas aller aux élections si Ravalomanana se retirait lui aussi, mais ce dernier avait refusé. Ensuite, quelques mois plus tard, cela avait été l’inverse. Le problème à Madagascar, c’était eux.
Quels moyens de pression avez-vous exercés ?
Madagascar avait déjà été suspendue de la SADC et de l’UA. Nous n’avons utilisé ni pressions ni menaces, mais cela n’a pas été facile. Il y avait, chez Marc Ravalomanana, beaucoup d’amertume. Dans son esprit, c’est lui le président démocratiquement élu, lui qui ne peut pas rentrer dans son pays [il vit en exil en Afrique du Sud], lui qui a été jugé et condamné par contumace, lui qui risque d’être arrêté s’il rentre à Antananarivo. Et Andry Rajoelina est convaincu lui aussi d’être le président… Mais tous deux se sont comportés en hommes d’État et j’en suis heureux.
Andry Rajoelina a tout de même annoncé, le 20 janvier, qu’il serait candidat en 2018…
Et pourquoi pas ? Nous n’avons pas demandé une interdiction à vie !
En 2007, vous avez joué un rôle important dans la résolution de la crise postélectorale au Kenya, qui a fait 1 300 morts. La présidentielle de mars ne risque-t-elle pas de donner lieu à de nouveaux dérapages ?
Je ne pense pas que le passé va se répéter. Je suis sûr que les Kényans et les hommes politiques ont appris de cette période très difficile, et je serais surpris qu’un seul d’entre eux imagine un instant revenir à une situation identique à celle qui prévalait à l’époque.
Après la présidentielle de 2007, Kikwete a joué un rôle décisif.
© Sipa
Contrairement au Kenya, la Tanzanie a été relativement épargnée par le tribalisme et les divisions religieuses. Comment l’expliquez-vous ?
La Tanzanie est en paix depuis longtemps, mais il est vrai que certains démagogues en appellent parfois à la tribu ou à la religion pour se positionner dans le champ politique. L’important est de s’assurer que cela ne deviendra ni une norme ni une habitude. Nous y travaillons en allant à la rencontre des Églises et des chefs de communautés.
Au Kenya, au moins un candidat à la présidentielle – Uhuru Kenyatta, le fils du père de l’indépendance – devra répondre devant la Cour pénale internationale (CPI) de son rôle dans les violences de 2007. Qu’en pensez-vous ?
Les Kényans décideront, la CPI décidera.
L’action de la CPI est-elle légitime ?
Il fallait tenir compte des circonstances et, dans ces circonstances, El-Béchir était un partenaire. (…) La CPI ne voulait rien entendre, elle a fait du "Béchir bashing".
Notre crainte, c’est que la Cour demeure très sélective et ne s’intéresse qu’à des dirigeants du continent, comme si seuls des Africains pouvaient être jugés, au point que beaucoup de pays ont envisagé de se retirer ! Ce n’est que si la CPI est suffisamment courageuse pour s’attaquer à tous ceux qui commettent des crimes qu’elle gagnera en crédibilité. Elle doit pouvoir juger n’importe qui, n’importe où dans le monde. N’y a-t-il vraiment personne d’autre à qui elle pourrait s’intéresser ?
Exécuteriez-vous le mandat d’arrêt de la CPI si le président soudanais El-Béchir par exemple venait en Tanzanie ?
Nous en aurions évidemment l’obligation en tant que membre de la CPI, mais nous devons prendre garde aux implications éventuelles. J’étais président de l’UA quand le mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir a été lancé. À l’époque, nous avions des difficultés dans le déploiement de la mission conjointe ONU-UA dans le Darfour, nous avions du mal à lui fournir l’aide logistique nécessaire, nous avons eu de longues discussions avec Khartoum… Les détracteurs du président soudanais avaient décidé de ne plus lui parler. Mais si on avait refusé de négocier avec lui, si on avait fait en sorte qu’il ne pense plus qu’à sauver sa tête, des millions de personnes n’auraient pas pu être secourues et seraient mortes. Il fallait tenir compte des circonstances et, dans ces circonstances, El-Béchir était un partenaire. Ce n’était pas une garantie d’impunité, mais il faut toujours se demander ce que l’on fait, et à quel moment on le fait. La CPI ne voulait rien entendre, elle a fait du « Béchir bashing »… Mais si, pour sortir d’une telle situation de crise, il fallait inviter cet homme à discuter à Dar es-Salaam, je le ferais plutôt que de le faire arrêter.
Votre mandat arrive à terme en 2015 et la Constitution ne vous autorise pas à vous représenter…
Oui, je serai à la retraite et je serai un homme heureux ! Je me reposerai dans ma ferme, au village, et je n’aurai plus personne sur le dos ! [Rires]
Quelle aura été votre plus grande réussite ?
Il est encore trop tôt pour en juger, attendons 2015. Ma seule ambition, c’est de pouvoir dire, au moment où je partirai, que j’ai trouvé le pays à tel niveau de développement et que je le laisse à un niveau supérieur. Je ne prétends pas faire de la Tanzanie un pays développé, mais notre but est de devenir un pays à revenu moyen en 2025.
Voyez-vous quelqu’un vous succéder ?
Je ne suis pas un faiseur de rois. Le peuple décidera. J’exercerai mon propre droit de vote pour choisir le candidat qui aura ma préférence. La seule certitude, c’est qu’il sera de mon parti !
La Commission de l’UA a une nouvelle présidente, Nkosazana Dlamini-Zuma. Qu’en attendez-vous ?
Nous espérons une UA plus forte. Un nouveau style de direction, de nouvelles personnes, une nouvelle manière de travailler et de penser, plus d’efficacité… C’est un peu comme construire une maison : quelqu’un bâtit les fondations, d’autres s’occupent des murs… Mme Dlamini-Zuma ajoutera une nouvelle brique pour renforcer l’édifice.
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Propos recueillis par Anne Kappès-Grangé et Nicolas Michel
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