Prise d’otages d’In Amenas : récit d’une opération kamikaze

Le 16 janvier, la plus grande prise d’otages qu’ait jamais connue l’Algérie commençait. Trois jours après, elle s’achevait dans le sang. Détail des événements jour par jour.

Capture d’écran d’une vidéo montrant les otages en Algérie. © DR

Capture d’écran d’une vidéo montrant les otages en Algérie. © DR

Publié le 1 février 2013 Lecture : 7 minutes.

Territoire libyen, mercredi 16 janvier, 2 heures du matin. L’Algérien Mohamed Lamine Bencheneb, l’un des sous-lieutenants de Mokhtar Belmokhtar, émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), donne les dernières consignes à ses hommes qui doivent sous peu franchir la frontière avec l’Algérie pour rejoindre la ville d’In Amenas. Dans le groupe, une quarantaine de personnes, Algériens, Tunisiens, Égyptiens, Mauritaniens, Nigériens… et même deux Canadiens. Une multi­nationale terroriste aguerrie, prête à tout, même à mourir.

Pour réussir leur coup, les hommes de Bencheneb sont équipés comme le bataillon d’une armée professionnelle. Neuf 4×4 et pick-up de couleur blanche munis de papiers officiels libyens (un véhicule appartient à la douane libyenne, un autre à la garde présidentielle et deux autres à l’administration), des munitions, des lance-roquettes, des fusils d’assaut, des uniformes et des gilets pare-balles récupérés auprès des rebelles du Conseil national de transition (CNT) libyen, des talkies-walkies et des téléphones satellitaires Thuraya, ainsi que des vivres. Et, surtout, un plan détaillé du complexe gazier dans lequel travaillent et vivent des centaines d’Algériens et d’expatriés britanniques, américains, japonais, roumains, philippins, français, malaisiens…

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Casting jihadiste

Abderrahman el-Nigiri

Ce Nigérien était un séide de longue date de Mokhtar Belmokhtar, et il aurait pris part à l’attaque du poste mauritanien de Lemgheity, le 4 juin 2005, au cours de laquelle une quinzaine de soldats ont été tués. Il a été tout d’abord considéré comme le chef de l’opération, avant que le Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, ne désigne Mohamed Lamine Bencheneb. Nigiri aurait dirigé les terroristes chargés de la destruction de l’unité de production gazière. Il a été tué lors de la seconde phase de l’intervention algérienne.

Mohamed Lamine Bencheneb

Appelé Taher, il est originaire de la wilaya d’Illizi, zone frontalière de la Libye, dans laquelle s’est déroulée la prise d’otages. Il a intégré les Fils du Sahara pour la justice islamique (FSJI) en octobre 2007, groupe au sein duquel il a participé au raid contre l’aéroport de Djanet, le 10 novembre de la même année. Progressivement, Bencheneb a ensuite rejoint Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Selon certaines sources sécuritaires algériennes, Bencheneb était également l’un des « hommes d’affaires » de Mokhtar Belmokhtar. Il gérait ses réseaux « commerciaux », en particulier le trafic de drogue avec la Libye. Une de ses récentes transactions a consisté à échanger treize 4×4 des forces libyennes contre des moutons, deux camions-citernes et des écrans plasma… Trois des véhicules acquis auraient servi à l’attaque du site gazier d’In Amenas. Bencheneb a été tué lors du premier assaut mené par la gendarmerie et l’armée algérienne. 

Abou al-Baraa al-Jazairi et Abdallahi Ould Hmeida

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Concernant cet Algérien et ce Mauritanien, les choses sont plus confuses et les informations manquent. Le premier serait né dans les années 1970. Après son service militaire, il aurait rejoint le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) comme instructeur, rôle qu’il aurait continué de jouer au sein d’Aqmi. Lors de la prise d’otages, il a dirigé les hommes contrôlant la base de vie. Le second, après avoir rejoint les rangs d’Aqmi, était l’un des assaillants de Lemgheity. Son zèle lui a valu le surnom de « Zarqaoui mauritanien ». Aucun des deux n’aurait survécu à l’opération de l’armée algérienne. K.D.

Souricière

Vers 4 heures du matin, le convoi franchit la frontière libyenne. L’ont-ils franchie via le check-point officiel des gardes libyens ? Nos sources expliquent que le passage du convoi s’est effectué sans contrôle effectif de la part des Libyens, qui avertiront dans la journée la préfecture d’Illizi de la présence d’une délégation officielle libyenne sur le sol algérien.

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Premier objectif des terroristes : intercepter le bus transportant les étrangers en partance vers l’aéroport d’In Amenas. Sauf que le plan prévu, qui consistait à cueillir le véhicule et ses occupants sans coup férir, est devenu impossible. Ce mercredi-là, l’escorte des gendarmes est doublée. La veille, une importante réunion de direction s’est tenue sur le site en présence du patron Afrique de BP. Les services de sécurité algériens craignaient-ils une attaque ? Les terroristes ouvrent alors le feu. Un gendarme algérien est tué, un autre est blessé, un Britannique est mortellement touché – il s’agit d’un ancien légionnaire chargé de la sécurité du site. Trois Japonais qui tentent de s’échapper du bus sont exécutés. Les assaillants foncent vers le complexe pour accomplir le second plan de l’opération. Il est 5 h 30 du matin.

Scindés en trois groupes, ils investissent le site. Parmi eux, un ancien chauffeur qui a travaillé dans ce complexe. Le premier groupuscule est chargé de prendre le contrôle de l’usine, les deux autres la base de vie. Devant l’entrée, un agent de sécurité, Mohamed Lamine Lahmar, qui tente de résister, est abattu d’une balle dans la tête. Des gendarmes qui ripostent à l’attaque sont touchés par des tirs nourris. Les assaillants se faufilent dans les campements où sont logés les expatriés. Dans leurs mains, des listes détaillées des étrangers, avec noms et prénoms, ainsi que les numéros de chalet dans lesquels ils vivent.

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Panique générale

Les Japonais de la compagnie d’ingénierie JGC sont les premières victimes. Six au moins sont exécutés sur-le-champ. Panique générale dans la base de vie. Des Algériens, qui ne sont guère la priorité des ravisseurs, offrent des cachettes aux expatriés. La plus grosse prise d’otages jamais connue en Algérie commence. Parmi les captifs étrangers, certains sont ligotés, d’autres portent des ceintures d’explosifs et des colliers de Semtex noués autour du cou. Quelque 150 Algériens sont également retenus. Ils seront plus tard libérés sains et saufs. À 10 h 30 du matin, l’information fait déjà le tour du monde. Les médias vont relayer l’événement en direct, minute par minute.

À Alger, un état-major de crise qui comprend différents corps de sécurité, en liaison avec la primature, est installé. Décision est prise de dépêcher sur les lieux deux équipes d’élite composées du GIS (Groupe d’intervention spéciale), qui dépend de la gendarmerie nationale. La consigne ? Empêcher les terroristes de quitter le site avec les otages, préserver les installations d’éventuelles explosions, et récupérer, autant que faire se peut, les employés. Le complexe est quadrillé par les unités de l’armée venues avec des chars. Des hélicoptères sont envoyés sur place. Des avions également, avec dans leurs soutes une panoplie d’équipements ultramodernes : matériel d’écoute pour intercepter appels téléphoniques, équipements d’optique et de vision nocturne, gadgets pour détecter une présence humaine même derrière d’épais murs en béton… D’autres avions opèrent au-dessus du site pour en transmettre des images en direct au poste de commandement.

Les terroristes menacent d’exécuter les otages et de faire sauter le complexe. Les autorités algériennes, elles, ne proposent que deux choix, pas trois : la reddition ou la mort.

Pris dans la souricière, les terroristes veulent négocier. Tantôt ils réclament des véhicules tout-terrain, tantôt la libération de jihadistes emprisonnés en Algérie, le retrait des troupes françaises engagées au Mali, voire la libération de prisonniers islamistes incarcérés aux États-Unis. En cas de refus des autorités algériennes, ils menacent d’exécuter les otages et de faire sauter le complexe. Mais les autorités algériennes, elles, proposent deux choix, pas trois : la reddition ou la mort. Mercredi, en fin de journée, le ministre de l’Intérieur, Dahou Ould Kablia, donne les directives : pas de négociations, pas de satisfaction des revendications.

Jeudi 17 janvier, milieu de journée. Les ravisseurs tentent de quitter le site à bord de pick-up dans lesquels ils ont entassé des otages, chargés comme des bombes humaines. Lorsque le convoi sort de l’enceinte, un hélicoptère qui tournoie dans le ciel filme la manoeuvre. Ordre est donné d’intercepter les terroristes, qui ne doivent en aucun cas parvenir à fuir et à gagner le territoire libyen.

Missiles

Trois missiles à guidage laser sont aussitôt expédiés, à partir d’un hélicoptère Super Hind, sur le convoi, qui est pulvérisé. On retrouvera plus tard les carcasses calcinées des véhicules et des corps carbonisés. Un autre avion lâche des tirs de saturation sur la base de vie sans viser des cibles humaines. Le premier assaut est donné. Dans le feu de l’action, des dizaines de travailleurs prennent la fuite, d’autres sont libérés et exfiltrés. Certes, plusieurs terroristes sont abattus au cours de l’intervention, mais il en reste une poignée retranchés dans l’usine. Ils détiennent encore sept otages. Il faudra deux jours pour en venir à bout.

Vendredi 18 janvier. Une partie du site est sécurisée. Pour neutraliser le dernier noyau de ravisseurs, les services de sécurité tentent de négocier leur reddition. En vain. Les irréductibles de Mokhtar Belmokhtar refusent et menacent, une fois de plus, d’exécuter les otages.

Dans une aile de l’usine où ils ont trouvé refuge, les terroristes décident le lendemain de tuer les sept expatriés. Certains sont abattus d’une balle dans la tête, d’autres sont égorgés. Vers 14 heures, à présent informées de ces exécutions sommaires, les forces spéciales engagent l’ultime assaut. Tireurs d’élite et parachutistes s’avancent lentement dans les entrailles du complexe en élimant un par un les onze derniers terroristes. Moins de une heure plus tard, une équipe d’experts arrive sur les lieux pour procéder au déminage. L’opération est terminée. Trente-sept otages sont morts, vingt-neuf terroristes ont été exécutés, et trois autres faits prisonniers.

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