Mali : « Un pays à vau-l’eau »

Pour l’heure, l’unité de façade derrière l’intervention militaire tient. Mais la présence prolongée des Français, les risques de bavures et les premières exactions imputées aux soldats maliens sont de lourdes menaces.

Un soldat malien à Diabali, le 21 janvier. © Joe Penney/Reuters

Un soldat malien à Diabali, le 21 janvier. © Joe Penney/Reuters

Publié le 21 janvier 2013 Lecture : 5 minutes.

Dans la capitale malienne, les drapeaux tricolores restent accrochés aux linteaux des portes ou aux antennes de voitures. « Il faut leur montrer notre éternelle reconnaissance, commente Laciné Diarra, petit imprimeur du quartier de Faladié. Je laisserai le drapeau là jusqu’à ce que le Mali tout entier soit réuni », ajoute-t-il, enthousiaste.

Il est vrai que, le 11 janvier, l’armée française a sauvé le Mali. Ce jour-là, dans le centre du pays, à Konna, l’armée nationale peinait à contenir l’offensive des jihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et d’Ansar Eddine. Leur objectif ? Forcer le passage vers Sévaré et son aéroport pour pouvoir ensuite gagner la capitale malienne. Quelques frappes aériennes françaises bien menées ont stoppé cette colonne, avant de la faire reculer. À présent, troupes maliennes et françaises font route vers le nord du pays et les villes encore aux mains des jihadistes.

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À Bamako, la population soutient l’opération Serval.©Éric Feferberg/AFP

Dans les cercles proches du pouvoir, on est également persuadé que cette intervention française a sauvé un pouvoir de transition des plus fragiles. Le 10 janvier, la garde du président Dioncounda Traoré a été « entièrement changée », confie un proche. Avant de préciser : « Ses visiteurs du soir se sont vu éconduire par les militaires, sans aucune explication. » Traoré a-t-il vraiment été séquestré ? La rumeur court à Bamako. Le désormais silencieux capitaine putschiste Amadou Haya Sanogo était-il à la manoeuvre ? Traoré doit-il son salut à une intervention de l’ambassadeur de France, Christian Rouyer ? « Aucune certitude sur rien, commente un haut fonctionnaire malien. Toujours est-il que cette nuit fut très étrange… »

Bien qu’invisible, la présence de troupes françaises dans la capitale est, quoi qu’il en soit, rassurante pour le président malien. De même que les déclarations de l’ambassadeur Rouyer lors d’une rencontre avec la presse malienne. Le diplomate en a profité pour s’adresser à ceux qui menacent le semblant de stabilité politique. « Le front des agitateurs et autres ennemis dans le Sud est averti, a déclaré l’ambassadeur. L’armée française n’est pas venue pour amuser la galerie. » De quoi taquiner le nationalisme ombrageux de certains Maliens.

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 Nationalisme

« Il est vrai que sans l’intervention française le pays serait allé à vau-l’eau, mais le rappeler sans cesse risque de braquer une grande partie de la population qui ne comprend pas toujours les tenants et les aboutissants de cette crise », analyse le sociologue et chercheur malien Oumar Keïta. « Pour le moment, les gens sont très contents de voir les troupes françaises. Mais il suffirait d’un dommage collatéral pour que le vent tourne et qu’elles soient perçues comme une armée d’occupation. » Pas sûr en effet que l’enthousiasme des premiers jours survive à l’annonce de la mort de civils innocents, et que les drapeaux tricolores restent accrochés…

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Diabali, le 21 janvier. ©Issouf Sanogo/AFP

Qui plus est, l’opération Serval prévoyait le déploiement de 2 500 hommes au Mali. Elle pourrait s’élever à 3 000 soldats. Ce serait visible, et à terme potentiellement agaçant. Censées soutenir l’offensive de l’armée nationale, ces troupes se retrouvent le plus souvent à devoir remobiliser et galvaniser des soldats maliens laminés et humiliés par les précédents échecs, et que les organisations de défense des droits humains accusent désormais d’exécutions extrajudiciaires de populations peules, arabes ou touarègues. Après Human Rights Watch et Amnesty International, c’est au tour de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (Fidh) de tirer la sonnette d’alarme. « De graves accusations pèsent contre l’armée malienne, explique Florent Geel, chef du bureau Afrique de la Fidh. Dans la ville de Sévaré, on a pu confirmer que onze personnes avaient été exécutées sommairement à partir du 10 janvier, peu après la prise de Konna. On sait aussi que deux personnes ont été exécutées dans l’ouest du pays, dans les environs de la ville de Nioro, et des allégations nous viennent d’un peu partout dans le pays qui font état d’exécutions sommaires par des éléments des forces maliennes. » À Ségou, on rapporte le pillage et la mise à sac du domicile d’un Arabe, ainsi qu’à Bamako, la capitale. Selon des témoins, ces exactions ont été commises par des hommes en uniforme. Des accusations que rejette en bloc l’état-major malien, mais qui sont de nature à entacher l’opération de reconquête du territoire et à fragiliser davantage l’unité nationale.

Dérives

« C’est pour toutes ces raisons que je m’inquiète de l’après, commente l’avocat et constitutionnaliste Mamadou Konaté. Je crains malheureusement que le pire ne soit à venir, et il faut que dès maintenant les autorités prennent leurs responsabilités pour éviter les dérives. » Dans un communiqué publié le 23 au soir, le gouvernement malien a appelé l’armée à être irréprochable, mais le poison du soupçon est déjà là.

C’est pénible d’avoir à demander l’aide de pays qui en ont autant besoin que nous.

Lamine, Un habitant de Bamako

Exactions, abus, pillages…, c’est aussi ce qui justifie la méfiance des Maliens à l’endroit des troupes de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Assis autour d’un thé, Fodé Sissoko, Lamine Diarra et deux de leurs amis ne sont toujours pas convaincus que la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) soit une nécessité. « Elles [les armées ouest-africaines, NDLR] ont les mêmes difficultés que l’armée malienne, argumente Fodé, cadre dans une banque. Pas de matériel, pas d’expertise du Sahel, je ne vois pas ce qu’elles peuvent faire ici. » « Ça faisait des mois que les chefs d’État de la Cedeao menaçaient d’envoyer des troupes ici, s’énerve pour sa part Lamine, le commerçant. Maintenant qu’on leur dit de venir, ils sont bloqués, faute d’argent. »

En effet, le déploiement des troupes ouest-africaines est loin d’avoir vraiment commencé. Cent cinquante soldats burkinabè ont pris leurs quartiers à Markala (Centre-Ouest), et 200 soldats tchadiens sont toujours prépositionnés à Niamey. Une cinquantaine de soldats béninois sont à Bamako en attendant de connaître leur affectation…

Empire

« C’est pénible d’avoir à demander l’aide de pays qui en ont autant besoin que nous », ironise Lamine, avant de rappeler la grande tradition guerrière des empires qui se sont succédé dans cet espace, le long du fleuve Niger. De Sonni Ali Ber à Soundiata Keïta, de l’Empire songhaï à celui du Mali, l’histoire du pays repose en grande partie sur les faits d’armes de ces grands guerriers qui, des siècles auparavant, ont présidé à la destinée de royaumes deux fois plus grands et plus riches que le Mali actuel. Pour Oumar Keïta, il est temps que les Maliens se souviennent des valeurs qui ont longtemps régi la vie politique et sociale de l’empire du Mali : « Soundiata Keïta, l’infirme, a fondé un empire basé sur la justice et l’équité. Il a renversé un despote et créé un royaume où les faibles étaient protégés par les forts, et où les droits humains étaient garantis par la charte du Mandé. Peut-être qu’en regardant vers ces valeurs nous parviendrons à refonder un Mali nouveau. »

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Malika Groga-Bada, envoyée spéciale

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