Art contemporain africain : la foire 1-54 fête ses dix ans
Dix ans après sa création, la foire d’Art contemporain africain, créée par Touria El Glaoui, ouvre ses portes du 13 au 16 octobre à Londres. Une édition marquée par l’abondance des portraits féminins.
Dix ans après l’ouverture de la première foire d’art contemporain africain 1-54, il est possible d’affirmer sans se tromper que le paysage de la création a radicalement changé – en partie grâce à elle. Alors que se tient, toujours dans l’écrin de Somerset House (Londres, Royaume-Uni, du 13 au 16 octobre) la 10ème édition de l’événement créé par la Marocaine Touria El Glaoui, chacun s’accorde à reconnaître l’influence que la foire a eu sur le marché de l’art : des artistes mieux reconnus, des galeries mieux implantées et plus à l’écoute du continent, des institutions attentives et présentes…
« L’idée de départ, il y a dix ans, c’était de créer une plateforme pour les artistes du continent et de la diaspora. Aujourd’hui, ils bénéficient d’une attention accrue, leurs talents sont mieux appréciés, ils font vraiment partie du marché et de l’écosystème de l’art », soutient la fille du peintre Hassan El Glaoui.
Raison d’être
Au moment de la création d’1-54, alors que certains artistes refusaient encore – ils ne le font guère plus – de participer à une foire qualifiée de « ghetto », Touria El Glaoui affirmait qu’elle aurait relevé son défi le jour où sa foire n’aurait plus de raison d’être, les artistes et galeries africaines étant pleinement intégrés aux grands raouts de l’art contemporain tels que la Fiac, Frieze Art Fair, Art Basel et autres.
Une décennie plus tard, de nombreux artistes africains ou d’origine africaine sont présents sur ces événements, mais 1-54 existe encore. « On est loin de mourir, confie El Glaoui avec un sourire. Mais c’est toujours ma façon de voir les choses ! »
Pourquoi pas l’Asie ?
Les deux années qui viennent de s’écouler, marquées par la pandémie de Covid-19, ont obligé l’équipe de 1-54 (sept personnes à temps plein et de nombreux bénévoles) à courber l’échine et à annuler son édition de Marrakech. « Nous avons eu des moments de doute, raconte Touria El Glaoui, parce que nous travaillons dans l’événementiel et que nous dépendons de la possibilité d’accueillir du public. Mais cela nous a permis d’expérimenter et de développer de nouveaux partenariats, comme celui avec la maison de ventes aux enchères Christie’s à Paris. Pendant cette période difficile, le soutien du Arts Council England a été une bénédiction. »
Ce n’est pas dans notre philosophie d’aller concurrencer des projets africains
Tout juste à l’équilibre, la Foire qui accueille environ 16 000 personnes souffre de ne pas bénéficier d’un important sponsor qui lui permettrait d’assurer sa programmation pour plusieurs éditions. Quoiqu’il en soit, Touria El Glaoui indique que l’édition 2023 d’1-54 à Marrakech aura bien lieu (du 9 au 12 février) et que les discussions sont toujours en cours concernant l’édition new-yorkaise.
Quant à l’avenir plus lointain, les projets ne sont pas encore clairement arrêtés, mais l’équipe réfléchit à son évolution à long terme : « Le paysage culturel a beaucoup changé, avec l’émergence d’autres foires consacrées à l’art contemporain africain. Nous envisageons peut-être de développer des foires plus grandes, ou de nous rendre là où il n’y en a pas. Mais ce n’est pas dans notre philosophie d’aller concurrencer des projets africains. Nous n’irons pas au Nigeria ou en Afrique du Sud, où il y a déjà des événements, mais nous regardons du côté de l’Asie où il y a beaucoup de collectionneurs, un marché énorme et une méconnaissance de l’art produit par le continent africain. Cela pourrait être Hong Kong, mais rien n’est écrit ! »
Subversion douce
Pour l’heure, et pour fêter ses dix ans, c’est une édition relativement sage d’1-54 qui s’est ouverte le 13 octobre sur les rives de la Tamise. L’œuvre massive de l’artiste portugaise Grada Kilomba (O Barco (« The boat ») installée dans la cour de Somerset house aurait pu préfigurer une foire engagée et revendicative : longue de 32 mètres, composée de 140 poutres carbonisées assemblées en forme de bateau négrier et animée lors d’une performance musicale dansée, O Barco revient sur les déportations dont fut victime le continent.
Pourtant, parmi les 130 artistes présentés lors de la foire par quelques 50 exposants (dont 16 galeries africaines), les revendications politiques et les engagements idéologiques se font plus subtils, le travail sur la matière et les matériaux occupant plus de place qu’à l’accoutumée. L’aspect le plus marquant de cette édition étant sans doute la profusion des portraits.
« On a remarqué cette tendance au portrait figuratif, ces dernières années, confirme Touria El Glaoui. Le travail sur l’identité noire marche bien auprès des collectionneurs, on le voit avec le succès du peintre ghanéen Amoako Boaffo dont les œuvres se vendent bien aux enchères. » De fait, sa peinture The Lemon Bathing Suit a été acquise pour 675 000 livres le 13 février 2020 chez Phillips ! Et dans les travées d’1-54, ce sont surtout des portraits de femmes qui attirent le regard. Ainsi la galerie Kristin Hjellegjerde présente un « solo show » du peintre éthiopien Tewodros Hagos : alors que son pays s’enfonce dans la guerre civile, il réalise des portraits de femmes d’un grand classicisme, respectueux de leur dignité. « Ce qui m’intéresse, c’est d’explorer comment notre perception des femmes est limitée par les clichés et les idées préconçues sur ce que devrait être ou ne pas être une femme », dit l’artiste.
Vulves brodées
Et d’une certaine façon, la foire propose de nombreux portraits de femmes qui défient les clichés. On remarquera notamment les portraits afrofuturistes de la Sud-Africaine Manyaku Mashilo (SMO Contemporary Art), les portraits d’albinos de sa compatriote Athenkosi Kwinana, ou encore l’étonnante sculpture féminine de Zak Ové.
Les exemples pourraient être multipliés encore, mais l’artiste la plus subversive en la matière est sans nul doute la Marocaine Ghizlane Sahli qui, sur le mur de sa galerie Sakhile&Me, présente une série de 28 vulves brodées de couleurs vives. Entre beauté formelle et symbolique puissante, elle trouve un point de déséquilibre saisissant. Et sur cette présence remarquable du portrait féminin, Touria El Glaoui n’était pas en reste : elle-même portait lors du vernissage une robe conçue par le créateur sud-africain Thebe Magugu représentant une femme du peuple Tswana.
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