Livre : le syndicaliste, le sapeur et la Chinoise
Alain Mabanckou, écrivain franco-congolais
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Alain Mabanckou
Alain Mabanckou est écrivain et professeur de littérature francophone à UCLA (États-Unis). Depuis 2016, il occupe la chaire de création artistique au Collège de France.
Publié le 27 janvier 2013 Lecture : 2 minutes.
Le romancier français Frédéric Ciriez avait publié en 2008 Des néons sous la mer, roman qui reçut alors un accueil critique chaleureux. On y trouvait des prostituées gérant leur activité au sein d’une SARL dans un sous-marin de la Marine nationale abandonné dans la baie de Paimpol et racheté par ces professionnelles du plus vieux métier du monde. On notait déjà le « regard social » de cet écrivain qui récidive avec Mélo, se hissant au rang des écrivains les plus « engagés » du paysage littéraire français actuel – je pense en particulier à Gérard Mordillat (Les Vivants et les Morts) ou à François Bon (Daewoo).
La force et l’originalité de Ciriez résident dans son regard tourné vers le monde et la richesse de ses personnages dont les origines (professionnelles ou géographiques) donnent à ses fictions une dimension universelle. Ainsi en est-il avec Mélo, peinture très détaillée d’un Paris où l’on croise un syndicaliste au bord du suicide, un Congolais, véritable adepte de la Sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes), et une Chinoise lesbienne.
Trois individus que tout semble éloigner. Trois individus qui déambulent en ce 1er mai dans la capitale française. Le syndicaliste gît dans une Xantia près de la fourrière de Saint-Ouen. Le corps attend « qu’on vienne le prendre dans la rue déserte couleur de terre cuite comme un enfant à la sortie de l’école qui aurait renoncé à pleurer sa mère ». Et puis il y a ce Congolais, personnage fantasque, chauffeur de camion-poubelle, sorte de M. Hyde qui, une fois son costume d’éboueur ôté, se transforme en véritable dandy roulant dans une Rolls Royce. Pour qui, comme pour tout bon sapeur congolais qui se respecte, seul l’apparat et l’habit donnent du sens à l’existence. Frédéric Ciriez démontre une connaissance pointue du milieu congolais de la Sape – et, à ma connaissance, c’est la première fois qu’un écrivain français s’empare de ce sujet qui, ces derniers temps, a fait l’actualité du milieu de la photographie comme de celui de la mode. C’est en ce sens un hymne au dandysme, et bien des Africains s’y retrouveront. Quant à la Chinoise lesbienne, on la retrouve en rollers dans les artères de la capitale, écoulant des briquets aux touristes afin de financer ses études de marketing.
Dès la veille de ce 1er mai, nos trois héros sont entraînés peu à peu vers les ténèbres sous la plume d’un Ciriez qui nous tient en haleine grâce à une écriture dont l’élégance et la virtuosité dressent des tableaux romanesques parmi les plus beaux de cette rentrée littéraire hivernale.
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