Livre : l’épopée du cacao à travers le monde

Un gros ouvrage, signé par le chercheur Alfred Conesa, revient sur l’extraordinaire histoire du cacao, sans occulter ses pages les plus noires. Et voilà comment le chocolat a assuré son emprise sur les papilles du monde entier !

Un timbre du Ghana où apparaît la précieuse fève de cacao. © DR

Un timbre du Ghana où apparaît la précieuse fève de cacao. © DR

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Publié le 25 janvier 2013 Lecture : 6 minutes.

Avis aux amateurs de beaux livres, aux curieux d’histoire, d’anthropologie ou d’agronomie, aux gourmands, à tous ceux pour qui la lecture doit être un délice. Avec son texte érudit et plaisant, agrémenté d’une riche iconographie (gravures anciennes, oeuvres d’art, affiches publicitaires, photos d’hier et d’aujourd’hui), Du cacao et des hommes tient toutes ses promesses. Son auteur, Alfred Conesa, ancien directeur à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), et qui a déjà publié une Fabuleuse Aventure du café (Éditions de Paris, 2006), n’a pas voulu écrire une énième histoire du cacao.

Optant pour une démarche transversale, « où différents facteurs historiques, écologiques et techniques se combinent pour arriver à la grande diversité » de la cacaoculture, il a accompli un voyage initiatique, parcourant toutes les régions où celle-ci a répandu ses bienfaits, mais aussi, à partir de la conquête du continent américain, causé bien des souffrances. De l’esclavage à l’ère industrielle, des maladies du cacaoyer aux plantations respectueuses de l’environnement, du premier chocolat en poudre d’invention néerlandaise (1828) aux barres Mars made in USA (1920), Conesa nous entraîne dans l’épopée de l’arbre aux fruits d’or.

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Du cacao et des hommes – Voyage dans le monde du chocolat d’Alfred Conesa, éd Nouvelles Presse du Languedoc, 287 p., 38 euros.

Cette épopée prend sa source dans la forêt amazonienne. En Guyane et à la frontière du Brésil et de la Bolivie, poussent encore les cacaoyers des origines. Sous des arbres géants, qui les ombragent, ils produisent des fruits oblongs, les cabosses, qui renferment des fèves entourées d’une gelée acidulée dont raffolent singes et perroquets. Prêts à tout pour y accéder, ils ouvrent les cabosses, assurant ainsi la dispersion des semences. Lesquelles ne seraient pas allées très loin si, en des temps immémoriaux, les Amérindiens n’avaient transporté les arbustes en pirogue, en direction des régions humides et chaudes qui bordent la mer des Caraïbes et le Pacifique : Panamá, l’Équateur, le Brésil, le Mexique…

La légende veut que Quetzalcóatl, descendu sur terre pour instruire les habitants d’une cité toltèque, leur ait fait don d’une plante volée aux dieux, ses frères, qui se régalaient de son nectar.

Nectar

Dans ce dernier pays, la légende veut que Quetzalcóatl, descendu sur terre pour instruire les habitants d’une cité toltèque, leur ait fait don d’une plante volée aux dieux, ses frères, qui se régalaient de son nectar. L’impudent fut puni de son audace, et la cité heureuse sombra dans le déclin. Pour les Mayas, qui s’imposent plus tard dans la région, le cacao sert de monnaie d’échange. Des petits malins – les faux-monnayeurs de l’époque – trichent en remplissant ses coques d’argile. Consommé comme boisson, pimenté ou aromatisé avec de la vanille, il est utilisé pour les rites religieux. Pour les jeux de l’amour et de la guerre aussi, puisqu’on lui attribue des effets aphrodisiaques et fortifiants. L’empereur aztèque Moctezuma avale cinquante tasses de chocolat avant de se rendre dans son harem, et ses guerriers s’en nourrissent avant le combat. Pendant la Première Guerre mondiale, le Français Pierre Lardet, inventeur du Banania, se servira de cet argument pour réchauffer les poilus dans les tranchées avec sa farine de banane chocolatée, choisissant pour emblème le tirailleur sénégalais (et un slogan douteux, le « y’a bon… », banni en 2011). Aujourd’hui encore, les fèves de cacao sont utilisées à des fins fortifiantes et curatives, comme chez les Indiens kunas du Panamá, où des chamans interprètent leur fumée pour poser un diagnostic, et la font inhaler aux malades et aux nouveau-nés.

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Au champ, une oeuvre de l’Ivoirien Watara Abioulaye, dit Watson.

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© DR

Ironie de l’Histoire, le cacao aurait pu sombrer dans l’oubli. Christophe Colomb ne l’apprécia pas, et, plus tard, des corsaires hollandais qui s’étaient emparés d’une caravelle espagnole chargée de précieuses fèves jetèrent ces « crottes de bique » à la mer. Lors de la conquête (1519), Hernán Cortés et les siens ne sont pas immédiatement séduits par le xocolatl, qu’ils trouvent peu ragoûtant : les indigènes y mêlent de la farine de maïs et du sang sacrificiel. Mais lorsque, dans les couvents, les soeurs l’aromatisent à la mode ibérique et y ajoutent du sucre de canne, la bonne société mexicaine s’en éprend. L’engouement est tel que dames et couventines du Chiapas boivent tasse sur tasse pendant la messe, prétendant soigner leur faiblesse d’estomac. Le cacao fait bientôt l’objet d’intenses querelles théologiques entre jésuites, qui le commercialisent, et dominicains, qui n’en tirent pas profit. Doit-il être considéré comme un aliment, auquel les catholiques n’ont pas droit pendant le carême, ou comme une boisson autorisée pendant le jeûne ? Le pape Grégoire XIII tranche en faveur de la Compagnie de Jésus… et de la gourmandise.

Cacaoculture

Envoyée par caravelles à Charles Quint dès 1524, la divine fève gagne Séville, puis toute l’Espagne, les Pays-Bas espagnols et la Belgique. Un siècle plus tard, Anne d’Autriche, infante d’Espagne et épouse de Louis XIII, fait partager sa passion à la cour de France. Le mariage de l’Espagnole Marie-Thérèse avec Louis XIV conforte cette mode. Désormais, dans toute l’Europe, la noblesse se régale de chocolat chaud.

Face à l’accroissement de la demande, la cacaoculture monte en puissance aux Antilles : à la Trinité, à la Jamaïque, où les Anglais prennent le relais des Espagnols, et en Haïti, à partir de la Révolution française. Lorsque ce pays conquiert son indépendance, en 1804, la production s’effondre et les colons débarquent avec leurs esclaves à Cuba, où ils fondent de vastes plantations. Les Portugais, qui ont importé au Brésil des esclaves d’origine africaine pour remplacer les Indiens en grande partie décimés par les épidémies et les mauvais traitements, ont l’idée d’étendre la cacao­culture à l’Afrique. En 1745, ils introduisent le cacaoyer à São Tomé et Príncipe, qui sera le seul pays du continent à recourir au système esclavagiste sur le modèle de celui qui se pratique aux Antilles.

L’épouse de Louis XIV, Marie-Thérèse, conforte la popularité du cacao en France.

Ce n’est que beaucoup plus tardivement, au début du XXe siècle, que la cacaoculture se développe le long de la Gold Coast (actuel Ghana), où la Grande-Bretagne livre au Portugal une guerre économique pour le contrôle de la production. En 1904, les Britanniques lancent une campagne virulente contre les conditions de travail inhumaines que les Portugais infligent aux autochtones. Cinq ans plus tard, un boycott de leurs produits parachève cette oeuvre de déstabilisation. À São Tomé, le déclin de la cacaoculture est déjà bien entamé lorsqu’une maladie décime les plants, en 1920. Les horreurs coloniales n’en continueront pas moins jusqu’à l’indépendance, en 1975. Les nationalisations qui s’ensuivent portent un coup de grâce à cette filière. Elle renaît aujourd’hui de ses cendres grâce à la production d’un cacao biologique et haut de gamme.

Turbulences

Mais, dans les esprits, l’aventure du cacao est étroitement liée au destin de la Côte d’Ivoire. En 1944, après un demi-siècle de production, Félix Houphouët-Boigny, chef akouè et planteur respecté, s’insurge de la manière dont les Africains sont traités par « des hommes qui ne sont pas dignes de la France ». Il fonde le Syndicat agricole africain, qui regroupe 12 000 des 20 000 planteurs du pays, et engage la lutte contre le travail forcé. Cette machine politique le conduira au pouvoir et à l’instauration d’un « État cacaoyer », synonyme de prospérité pour le pays jusqu’à l’effondrement, en 1983, lorsque la récolte mondiale excède la demande, ouvrant une ère de turbulences. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire reste le premier producteur mondial devant le Ghana. Par un de ces hasards dont l’Histoire a le secret, le cacao, né sur le continent latino-américain, a fait de l’Afrique sa terre de prédilection, et ce chocolat dont Christophe Colomb ne voulait pas a conquis les papilles de tous les gourmands de la planète.

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