Aziber Seïd Algadi : un avocat tchadien au barreau de Paris
Bachelier à 15 ans, Aziber Seïd Algadi est l’unique avocat tchadien inscrit au barreau de Paris à 32. Et ce n’est que le début d’un parcours d’excellence entamé depuis N’Djamena…
L’image est restée intacte dans son esprit. Les médias de N’Djamena qui s’emballent, et dans les rues les conversations qui tournent autour de son exploit. L’écho qui finit par résonner sur l’ensemble du pays : « Aziber Seïd Algadi, 15 ans, le plus jeune bachelier du Tchad. » Dix-sept ans plus tard, tout reste vif dans la tête du petit génie. Aziber conserve même dans sa gibecière un article de presse qui lui rappelle sa consécration. Le sacre d’un garçon atypique qui a plus appris à la maison que sur les bancs de l’école. Sautant des classes, il avait toujours un niveau supérieur à celui des écoliers de son âge…
Avant le bac, « comme tout le monde », il rêvait de parcourir le ciel. « Devenir pilote comme papa », précise-t-il. Le rêve d’enfant restera esquisse. N’étant pas doué en maths, selon ses termes, il atterrit en lettres. Et c’est là que le déclic a lieu. En terminale, il se distingue en philosophie et s’oriente alors « naturellement » vers le droit. L’aboutissement aura lieu en France : Il est aujourd’hui le tout premier Tchadien à être admis au barreau de Paris. Il a prêté serment le 17 janvier grâce à une mesure d’exception. Non sans difficultés.
« J’ai dû me battre pour obtenir une dérogation, explique le jeune avocat. Parce qu’à ce jour il n’existe pas de convention entre le Tchad et la France pour permettre à un ressortissant tchadien de s’inscrire à un barreau de l’Hexagone, et inversement. »
Né en 1981 d’un père tchadien et d’une mère française, Aziber Seïd Algadi n’a pas demandé la nationalité française à sa majorité. Dans son Tchad natal, le jeune métis ignorait qu’une telle procédure était recommandée. « Ma mère non plus n’y avait pas pensé », commente-t-il simplement, un demi-sourire accroché au coin des lèvres. Sans rancune donc. À l’époque, la préoccupation de l’étudiant est ailleurs : terminer ses études de droit. Pour y parvenir, il n’hésite pas à traverser le Chari – fleuve qui marque la frontière entre le Tchad et le Cameroun – pour intégrer, dès 1997, l’université de Ngaoundéré, puis celle de Yaoundé. Avec « [ses] propres moyens », tient-il à souligner. Il n’a pas oublié. Malgré sa brillante réussite au bac et l’avantage de son jeune âge, le gouvernement tchadien avait accordé des bourses à « deux élèves dont les parents étaient proches du pouvoir ». Une injustice qui n’a pas empêché Seïd Algadi de réussir « un parcours sans faute » au pays de Paul Biya.
Licence, master, DEA, les diplômes se suivent et la voie de la recherche s’ouvre. Le doctorant rejoint alors Toulouse (dans le sud de la France) pour préparer et défendre sa thèse sur l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada). C’est là son élément, et il fait même partie du comité de rédaction de l’encyclopédie de ce « vaste marché intégré ». Lequel regroupe 17 États africains qui s’engagent à améliorer le climat des affaires dans leurs territoires respectifs. « Je m’implique beaucoup dans le rapprochement entre le droit français et le droit de l’Ohada », soutient-il. Une façon, pour lui, de conserver ses liens avec le continent qui l’a vu naître et grandir.
Désormais avocat d’affaires, le docteur Aziber Seïd Algadi, 32 ans, ne compte pas pour autant abandonner la craie. Intervenant à l’École régionale supérieure de la magistrature, il poursuivra ses allers et retours entre Paris et Porto-Novo (Bénin) pour enseigner le droit aux magistrats africains.
Son seul regret ? Que l’intelligentsia tchadienne soit « trop encline au business et à la politique », qu’un poste de ministre puisse mettre fin à une carrière dans la recherche. « Les Tchadiens n’ont pas souvent l’ambition de mener leurs études jusqu’au bout, avance-t-il. Il y a quelques années encore, le cursus en droit s’arrêtait à la maîtrise. » Conséquence : le pays compte ses agrégés sur les doigts d’une main. « Il faut que ça bouge ! » lance-t-il.
En attendant, Aziber Seïd Algadi tente d’« ouvrir les portes » en France pour les générations futures. Il veut bien être le premier avocat tchadien au barreau de Paris – « Je suis entré dans l’Histoire », glisse-t-il fièrement -, mais il refuse de rester le seul. Son prochain combat ? Voir le barreau de la capitale française signer une convention internationale avec celui de N’Djamena. « Parce que la dérogation qu’ils m’ont accordée ne sera pas une brèche où tout le monde pourrait s’engouffrer », reconnaît-il. C’est pourquoi il a contacté Seybah Dagoma, jeune avocate d’affaires d’origine tchadienne, élue députée (Parti socialiste) à la 5e circonscription de Paris lors des dernières législatives françaises. Mener une bataille à deux, n’est-ce pas mieux ?
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