Afrique : les femmes d’abord !
Elles en ont assez qu’on les appelle « monsieur le préfet » et d’être considérées comme des exceptions. Rencontre avec ces fortes têtes qui ont intégré l’administration territoriale et qui ne laisseront personne douter de leurs compétences.
Elle a appris sa nomination sur les ondes de la CRTV, la chaîne nationale, peu après le journal de 20 heures, en même temps que tous les Camerounais. Au début, cela lui a semblé d’une extrême banalité : une promotion comme une autre, une simple prime à la persévérance. Puis, très vite, les coups de fil, le tollé médiatique et la ferveur des associations féminines l’ont conduite à en évaluer la charge symbolique. À 50 ans, Antoinette Nzongo-Nyambone a désormais conscience d’être entrée dans l’histoire de son pays en devenant la première femme préfet, aux côtés de 57 hommes. Une belle revanche pour cette native du département du Nyong-et-Mfoumou, installée dans ses nouvelles fonctions depuis le 17 novembre à Bandjoun, dans le département du Koung-Khi (région de l’Ouest).
Ce n’était pas gagné. En Afrique, si les femmes administrateurs civils fréquentent les mêmes écoles que les hommes, elles sont rarement promues au poste de préfet. Au Cameroun, le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (la voie royale pour accéder à cette fonction de commandement) leur est dans les faits quasiment interdit à la sortie de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam). Les hommes en ont fait leur chasse gardée, et les femmes sont priées de rejoindre les ministères techniques. « Celles qui osaient choisir le ministère de l’Administration territoriale terminaient leur carrière dans les services centraux », assure Antoinette Nzongo-Nyambone. À sa sortie de l’Enam, en 1989, elle sera donc affectée au service provincial des domaines du ministère de l’Habitat et du Développement urbain, où elle restera trois ans. Aujourd’hui mère de cinq enfants, elle se souvient parfaitement des circonstances de son arrivée à la territoriale. De sa rencontre, déterminante, avec le gouverneur du Littoral, qui découvre, ahuri, qu’une administratrice civile y a été nommée… « en complément d’effectifs ».
Pionnière
Antoinette Nzongo-Nyambone deviendra sa conseillère, avant d’être promue première adjointe préfectorale d’Édéa (Littoral), puis sous-préfet de Ngoumou (Centre). Sûr donc qu’elle tient sa revanche, elle qui reconnaît avoir été frustrée de voir certains de ses anciens stagiaires nouvellement diplômés devenir ses supérieurs hiérarchiques. Elle raconte que « conscients de [ses] potentialités, ils ne se privaient pas de [la] brimer, de peur qu[‘elle] ne leur fasse de l’ombre ». Forte tête, elle n’a pas hésité à poursuivre en diffamation des journaux qui avaient osé la décrire comme « une hideuse gangrène dans le corps de la préfectorale », et rêve de voir des femmes intégrer en nombre la territoriale.
Bien que le Sénégal ait une longueur d’avance sur le Cameroun, la première nomination de femme préfet y date seulement de 2005. Pour la pionnière, Viviane Bampassy Dos Santos, la quarantaine, ce retard tient aux préjugés. Cette toute nouvelle secrétaire générale du ministère de la Jeunesse, de l’Emploi et de la Promotion des valeurs civiques a exercé dans deux départements réputés difficiles, Guédiawaye et Pikine (grande banlieue de Dakar). Les présidents Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, affirme-t-elle, n’ont pas pu nommer des femmes à cause de la réticence des politiques. « Le poste de préfet est par définition un poste de commandement. Et dans l’imaginaire sénégalais, le chef est forcément un homme. »
La Sénégalaise Viviane Bampassy Dos Santos.
© Guillaume Bassinet pour J.A.
Viviane Bampassy Dos Santos dit n’avoir jamais eu le sentiment d’être discriminée, ou que l’on remettait en question sa capacité à gérer l’éventuelle dangerosité de son poste. Catholique évoluant dans des cités à majorité musulmane, elle a été agréablement surprise de se retrouver aux côtés d’autorités religieuses suffisamment larges d’esprit pour ne pas se formaliser de sa présence à ce poste. Elle a aussi appris à composer avec les chefs traditionnels, dont le pouvoir prime parfois sur celui de l’État. Côté anecdotes, elle s’est souvent entendu appeler « monsieur le préfet », ce qui, au début, la déstabilisait. Elle raconte que lors de séances de travail en compagnie d’hommes pétris de valeurs traditionnelles, aucun n’osait la regarder dans les yeux. Mais les propos sexistes, elle n’en a jamais entendu. Les disait-on dans son dos ? Peut-être… « Le préfet, c’est l’autorité, alors les hommes restent courtois. Quant à savoir s’ils acceptent d’être dirigés par une femme, c’est une autre histoire… » Il est vrai que le poste peut être un véritable tremplin.
C’est le cas au Bénin. Aucune femme ne figure plus parmi les six préfets de département, mais Inès Aboh Houéssou (ancienne préfet des départements de l’Ouémé et du Plateau, à Porto-Novo), et Véronique Brun Hachémè (ex-préfet de l’Atlantique et du Littoral), sont désormais directrice de cabinet du ministre de la Décentralisation pour la première, et directrice de cabinet du chef de l’État pour la seconde. Et peu importe si certains voient dans la nomination de Véronique Brun Hachémè une récompense politique parce qu’elle a contribué à arracher la mairie d’Abomey-Calavi à la Renaissance du Bénin (RB) au profit de la mouvance présidentielle.
Contraintes
Aujourd’hui, les femmes préfets en Afrique se déclarent ravies d’avoir ouvert le chemin – il y a aujourd’hui au Sénégal trois femmes administrateurs civils dans la territoriale : deux préfets et une adjointe de gouverneur (destinée elle aussi à devenir un jour préfet). Les premières femmes sénégalaises sous-préfets ont, elles, été nommées en 2010. Comme Viviane Bampassy Dos Santos, elles s’offusquent que certains imaginent leur poste comme étant réservé aux hommes et revendiquent les mêmes contraintes : absence de liberté de déplacements et disponibilité de tous les instants, s’il faut se rendre à 2 heures du matin sur un marché en feu… Certes, pour une femme, il est plus difficile de concilier vie professionnelle et vie familiale. « Heureusement, il y a toujours la gratification du travail bien fait », insiste la Rwandaise Odette Uwamariya, 39 ans, gouverneure (le pendant anglo-saxon du préfet) de la province de l’Est, à Rwamagana. Mère de trois enfants, elle a succédé à une autre femme et ne se considère pas comme une exception dans un pays qui a inscrit la parité dans sa Constitution et où 30 % des postes de décision doivent revenir aux femmes.
S’il est un pays qui peut donner des leçons en la matière, c’est le Burkina Faso. Politique de décentralisation oblige, on retrouve des femmes à tous les échelons de commandement de l’administration territoriale. Elles sont gouverneures de région (3 sur 13) ou hauts-commissaires de province (7 sur 45). Le pays est bien l’un de ceux qui compte le plus grand nombre de femmes préfets, soit 75 sur 351… Elles sont présentes aussi en Côte d’Ivoire ou en Centrafrique… Beaucoup moins au Gabon, qui n’a plus aucune femme préfet depuis 1993. Même chose au Togo, où la multiplication des programmes en faveur de la parité n’a rien changé. Si le pays affichait un piètre effectif de 2 femmes préfets en 1992, il n’en compte aujourd’hui plus aucune.
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