« Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse », de Michel Ocelot : un humanisme plombé par les clichés
Avec son nouveau film d’animation, le réalisateur de « Kirikou et la sorcière », Michel Ocelot, propose une œuvre d’une grande beauté plastique affaiblie par les stéréotypes qu’elle diffuse.
Quand Kirikou et la sorcière sort en 1998, c’est une petite révolution dans le cinéma français. Le film d’animation se déroule en Afrique, avec des héros africains. Résultat : un carton au box-office, de multiples récompenses et deux suites à succès. Azur et Azmar et Dilili à Paris confirment ensuite l’art du conte, de la poésie, du voyage qui traverse l’œuvre de Michel Ocelot.
Trois contes
Dans Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse, on retrouve la patte du scénariste et réalisateur français. Comme dans Kirikou et les bêtes sauvages et Kirikou et les hommes et les femmes, le film se décompose en contes indépendants. Le premier se déroule dans l’Égypte antique ; Tanouekamani doit devenir pharaon pour se marier avec Nasalsa, la femme qu’il aime.
Le deuxième, en Auvergne au Moyen Âge, met en scène un garçon condamné à mort par son père pour avoir libéré un prisonnier. Épargné par ses bourreaux, il grandit dans la forêt et devient le Beau Sauvage, défenseur du peuple. Dans le troisième, le prince d’un palais turc du XVIIIe siècle échappe à la mort. Il se distingue comme vendeur de beignets et conquiert le cœur de la princesse des roses.
La voix d’Aïssa Maïga… et quelques stéréotypes
Le fil rouge entre ces trois histoires est une femme, dont la voix est interprétée par Aïssa Maïga, qui les raconte à un public captivé. La lutte pour la justice contre les puissants, le désir d’émancipation, l’amour plus fort que les contraintes sont les messages communs aux trois intrigues. Des thèmes humanistes… qui nous laissent sur notre faim.
Les stéréotypes de genre sont omniprésents dans les trois contes. Nasalsa, jeune princesse, reste passive tandis que le beau Tanouekamani doit conquérir un pays pour elle. Elle n’aurait pas pu décider de s’enfuir avec lui, ç’eût été trop simple. La fille du prisonnier du Moyen Âge n’est représentée qu’en amoureuse qui attend son homme en chantant. La princesse des roses est plus active, même si elle charge celui qui se surnomme « le prince des beignets » d’imaginer le plan pour qu’ils arrivent à se voir. On ne sort pas du rôle traditionnel des princesses dans les vieux contes : les femmes sont des fleurs qui attendent qu’on vienne les cueillir.
Romantisme à l’ancienne
La vision de l’amour est, elle aussi, chargée d’un romantisme à l’ancienne. La beauté semble le seul critère qui rapproche ces personnes qui peuvent s’aimer sans se voir. La princesse des roses hante l’esprit du prince des beignets sans que personne ne l’ait vue et il tombe évidemment amoureux d’elle au premier regard. Il est symptomatique que le sauvage, espèce de Robin des Bois qui vole le riche seigneur pour redistribuer au peuple pauvre, s’appelle le Beau Sauvage et non le Bon Sauvage.
Les qualités d’âme semblent secondaires par rapport aux considérations esthétiques. Héros rime avec beau et les canons de la beauté sont ceux des magazines : la minceur, les muscles. On relève que, bizarrement, les personnages qui ont des formes arrondies sont méchants ou ridicules : la mère de Nasalsa, le vizir du palais turc, le collecteur d’impôts du Moyen Âge…
Des hommes providentiels au sang bleu
Le message à dimension sociale de lutte contre les puissants est lui-même sujet à caution. Le peuple, toujours au second plan, est tout aussi passif que les princesses. Il attend d’être libéré par des héros, qui se trouvent être des princes. L’armée de soldats de Tanouekamani le suit aveuglément dans une guerre qui n’est motivée que par l’égoïsme, et si elle libère le pauvre peuple opprimé d’Égypte sans coup férir, c’est parce que le prince le décide au dernier moment. Le même schéma se retrouve dans les deux autres contes. Dans les veines de l’homme providentiel coule à chaque fois du sang bleu.
L’un des changements salutaires apportés par Kirikou a été les voix, interprétées par des acteurs africains ou d’origine africaine. On se souvient que lors de la cérémonie des Césars 2020, Aïssa Maïga avait ironiquement compté les Noirs dans la salle. D’après les noms au générique, il ne semble pas que les acteurs égyptiens et turcs aient été nombreux dans le studio de doublage. On peut questionner le fait qu’un Égyptien ou un Turc doive nécessairement prêter sa voix à un personnage égyptien ou turc. Mais on peut aussi se demander si des comédiens d’origine étrangère incarnent les personnages auvergnats.
Michel Ocelot a été un pionnier avec Kirikou. Mais à l’ère post #MeToo, où les stéréotypes de genre sont plus que jamais remis en question, en cette période de revendications sociales où se fait entendre la voix des peuples, son message humaniste est plombé par des clichés d’un romantisme suranné. Tandis que Disney bouscule les imaginaires avec La Petite Sirène jouée par une actrice principale noire, le réalisateur qui était en avance sur la représentation de la diversité semble aujourd’hui en retard sur son époque.
Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse, film d’animation de Michel Ocelot, sortie en France le 19 octobre 2022
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