Quelle place en politique pour les jeunes français issus de l’immigration ?
Élus locaux ou simples militants, les jeunes issus de l’immigration ont toujours beaucoup de mal à se faire une place dans la politique française. Ils ont compris que rien ne leur sera accordé de bon gré et qu’ils devront se battre. Pied à pied.
Ils sont jeunes, bien formés, souvent sur le tas, et passionnés de politique. Français issus de l’immigration, ils s’appellent Ali Soumaré, Salem Belgourch ou Mahmoud Tall. À l’approche des élections municipales, dans un peu plus de un an (mars 2014), ils sont dans les starting-blocks. Nul doute qu’il faudra compter avec eux pendant la campagne.
Contrairement à Najat Vallaud-Belkacem, Razzy Hammadi, Rama Yade ou Rachida Dati, ces trois-là n’occupent pas le devant de la scène. Comme des centaines d’autres représentants de la « diversité », on les croise dans les couloirs des mairies, des conseils généraux ou des conseils régionaux. Certains exercent un mandat électif, d’autres sont simples militants. Qu’importe, ils font désormais partie intégrante de la vie politique française, cet univers pas toujours très charitable.
L’heure est à la constitution des listes municipales. Partout, on affûte les stratégies, on calcule, on négocie en coulisses, on s’étripe parfois. Gare à ne pas finir dans le bas-côté. D’origine malienne, Ali Soumaré (32 ans) est conseiller régional d’Île-de-France et secrétaire de la section socialiste de Villiers-le-Bel (Val d’Oise). « Les jeunes issus de l’immigration se battent, explique-t-il, mais certains font encore un complexe : ils hésitent à franchir le dernier pas et à briguer une tête de liste. » En 2010, lui-même a été accusé par des élus UMP – à tort – d’être « un délinquant multirécidiviste chevronné ». Il paraît aujourd’hui bien placé pour devenir maire. En tout cas, même s’il n’a pas encore annoncé sa candidature, il y pense. En se rasant ? Pourquoi pas. Mais il lui faudra au préalable être désigné comme tête de liste par son parti à l’issue d’une primaire. Et c’est loin d’être gagné. Aux dernières élections régionales, il a certes obtenu 71,80 % des suffrages dans sa ville, mais, il le sait, cela ne suffira pas forcément. « Tout est une question de rapport de force, dit-il. Ils [les apparatchiks socialistes, NDLR] ne nous désigneront comme têtes de liste que s’ils ne peuvent faire autrement. »
Par peur d’ethniciser le débat, la gauche n’est pas très à l’aise avec la diversité.
Ali Soumaré, conseiller régional en Ile-de-France de la section socialiste de Villiers-le-Bel
Discriminations
Salem Belgourch, 27 ans, ne dit pas autre chose. Né de parents marocains, il est aujourd’hui conseiller municipal d’opposition à Colombes (Hauts-de-Seine). Après être passé par le PS, il est aujourd’hui sans étiquette mais figurera en 2014 sur la liste d’un candidat de centre droit. « Je ne me reconnaissais plus dans le PS, commente-t-il. Ce parti affirme lutter contre les discriminations, mais il fait tout le contraire, au moins au niveau local. On met des Blacks et des Beurs sur les listes, mais rarement en position éligible. Lorsqu’ils ont envie de montrer leurs compétences, d’évoluer, ils sont souvent bloqués. Quant à revendiquer la tête de liste, ce n’est même pas envisageable ! »
J’étais fan du personnage Sarkozy, de sa façon de voir les choses et de faire de la politique. Lorsqu’on veut réussir, on peut, disait-il. Cela m’a tout de suite séduit.
Mahmoud Tall, Délégué national des jeunes UMP
De manière générale, les partis politiques sont très critiqués pour leur conservatisme, mais chacun sait bien qu’ils restent incontournables. Raison pour laquelle le Franco-Sénégalais Mahmoud Tall, 27 ans, a choisi, avant même une éventuelle candidature municipale, de briguer la présidence des Jeunes Pop, le mouvement « jeune » de l’UMP. « J’ai beaucoup réfléchi avant d’être candidat, dit-il. Si j’y vais, c’est parce que je pense pouvoir apporter quelque chose de nouveau. » Délégué national des jeunes UMP chargé de la culture depuis deux ans et délégué adjoint de la 6e circonscription de Paris depuis plus de quatre, c’est un « bébé Sarkozy », un fan de l’ancien président à qui il emprunte son franc-parler : « Je suis un militant qui, lors des dernières législatives, a beaucoup mouillé sa chemise. Nous avons fait du porte-à-porte, rencontré beaucoup de gens : jamais je ne me suis senti différent. Et si quelqu’un a un jour tenté de me le faire sentir, mon travail a suffi pour calmer cette velléité. » À l’en croire, la faible représentation des minorités dans les instances dirigeantes des partis, singulièrement à l’UMP, s’explique très simplement : « Les gens se contentent de demander qu’on veuille bien leur faire une place. Mais le pouvoir ne se demande pas, il se prend ! »
De gauche, de droite ou du centre, les membres de cette nouvelle génération n’ont qu’un mot à la bouche : pragmatisme. Ils savent qu’en tant que Français issus de l’immigration, il leur faudra toujours, pour réussir, se battre un peu plus que les autres. Ils ne sont « pas dupes », disent-ils, et sont bien conscients de ne pas vivre « au pays des Bisounours ». Plus question pour eux de jouer les icônes de la diversité, à l’instar d’une Rachida Dati ou d’une Rama Yade. Pour être gagnante, une stratégie doit être de long terme. « Émerger par le haut, c’est bien, sauf qu’en voyant le parcours d’une Rama Yade, on finit par se poser des questions », ironise le socialiste Soumaré. Lui entend d’abord se choisir un fief et « labourer le terrain » pendant au moins dix ans. « Émerger par le bas » est selon lui le seul moyen de se construire « une vraie légitimité ». C’est d’ailleurs dans l’ordre des choses : « Croyez-vous qu’avant d’accéder aux plus hautes responsabilités, un Hollande ou un Ayrault n’ont pas pris soin de s’assurer un ancrage local ? »
Parler tout le temps de la diversité ou refuser d’aborder le sujet, ce sont deux solutions extrêmes qui ne règlent rien.
Salem Belgourch, conseiller municipal d’opposition à Colombes (Hauts-de-Seine)
Même son de cloche chez Mahmoud Tall. Bébé Sarko ? « Oui, je le suis. » Comme Rama Yade ? « Sûrement pas. Elle est venue du haut, moi je viens du bas. » Certes, « elle avait des compétences, mais elle aurait dû être un exemple, alors qu’elle n’a été qu’un symbole. »
« La diversité avec Sarkozy a été un marché de dupe. On a fait semblant de privilégier la méritocratie, mais tout ça n’était qu’un leurre », analyse Karima Delli, députée européenne écologiste. Pour cette jeune (33 ans) femme d’origine algérienne, la clé du problème, c’est la promesse du candidat Hollande concernant le non-cumul des mandats électifs. « Nombre de ceux qui disposent de plusieurs mandats ont souvent le même profil – ce sont des hommes blancs plutôt âgés. Ils refusent de laisser la place et empêchent l’émergence de la nouvelle génération », regrette-t-elle.
Normalité
Dans un pays, où, selon un récent rapport de l’Institut national de la statistique et des études économiques (« Immigrés et descendants d’immigrés en France », octobre 2012), vivent 6,7 millions de descendants directs d’immigrés qui ont beaucoup contribué à l’élection de Hollande, « il est normal que certains d’entre eux soient présents dans les institutions de la République ». Ce qui signifie que « les actuelles classes dirigeantes doivent accepter de partager le pouvoir », estime Karima Delli.
À l’évidence, la « normalité » supposée de la présidence socialiste ne s’applique encore que partiellement à la « représentativité » des partis, même si deux ministres (Yamina Benguigui, à la Francophonie, Kader Arif, aux Anciens combattants) d’origine algérienne et une d’origine marocaine (Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement) ont été nommés. De même, seuls huit députés d’origine étrangère, tous de gauche, siègent désormais à l’Assemblée nationale. Un progrès, sans doute, mais encore insuffisant.
Militant socialiste à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), le Franco-Sénégalais Ousmane Timera, 35 ans, préside le Collectif des 577 – comme le nombre de députés que compte l’Assemblée. Il en est convaincu : la population française est, dans sa majorité, plus ouverte qu’on ne le croit. « Ce sont les partis politiques, PS compris, qui freinent l’arrivée d’élus de la diversité. Ce sont des appareils constitués de personnes avec leurs qualités et leurs défauts, mais qui ont parfois l’impression un peu primaire que nous venons pour prendre leur job ! »
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