Afrique : très chères études

Bon nombre de hauts dignitaires subsahariens confient leurs enfants à de prestigieuses – et onéreuses – écoles privées suisses, françaises, belges… Reportage dans ces établissements scolaires haut de gamme.

L’établissement Saint-Martin-de-France, près de Paris, accueille 34 Africains.. © Vincent Fournier pour J.A.

L’établissement Saint-Martin-de-France, près de Paris, accueille 34 Africains.. © Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 22 janvier 2013 Lecture : 10 minutes.

Frais de scolarité et d’internat pouvant dépasser les 60 000 euros par an, enseignants triés sur le volet venus pour certains des États-Unis, cours dispensés en français et en anglais, bâtiments impeccablement entretenus, activité golf ou équitation le mercredi… Voici le régime auquel sont soumis quelques centaines de jeunes élèves subsahariens venus en Europe pour étudier. Cette progéniture choyée de chefs d’État, de ministres, de banquiers et d’entrepreneurs marche sur les traces des « petits Mobutu » et des « enfants Houphouët-Boigny » envoyés à Bruxelles, en Suisse ou en France durant les années 1970-1980. Même univers aseptisé, même exigence d’excellence.

Nous sommes loin du lycée en sureffectif de Pikine, en banlieue de Dakar, à mille lieues des collèges délabrés de Masina, à Kinshasa. Mais nous sommes en Afrique… un peu. Voyage dans un monde de privilégiés appelés à être les élites de demain. Philippe Perdrix

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Depuis Genève, il suffit d’effectuer une dizaine de kilomètres pour accéder au Collège du Léman. Au milieu de paysages champêtres, cet établissement niché au pied du massif enneigé du Jura a été fondé en 1960, sous le signe de l’excellence et du cosmopolitisme. Les élèves viennent d’horizons très variés, et l’institution se vante d’accueillir 110 nationalités. Des Suisses bien sûr, mais aussi des Américains, des Japonais, des Hollandais, ou encore des Gabonais, des Camerounais et des Nigérians. Constituant « une proportion de 5 % à 10 % à vue d’oeil », selon Yves Thézé, le directeur général de l’établissement, la « communauté africaine » est bien présente.

Mais qui sont ces Africains, si nombreux en pays helvète ? Selon Yves Thézé, ils sont essentiellement originaires d’Afrique francophone. Il s’agirait de la progéniture de fonctionnaires d’organisations internationales siégeant à Genève. Mais la plupart étant internes – donc sans parents sur place -, l’argument peine à convaincre. En réalité, à la différence de leurs camarades occidentaux, ces élèves africains sont, généralement, les enfants de hauts dignitaires.

Roi du pétrole

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À tout juste 15 ans, Samuella, Bénino-Gabonaise, entame sa classe de seconde au Collège du Léman après quatre années passées à l’école des Roches, en Normandie (France). Comme elle, tous ses frères et soeurs sont passés par des pensionnats privés européens, un choix de leur père, roi du pétrole sur le continent. « Ce n’est pas une punition, car je sais qu’il n’y a pas beaucoup d’enfants qui ont la chance d’avoir un cadre qui oblige au travail et à la réussite », reconnaît la jeune fille, qui préfère l’approche moderne du Collège du Léman à celle, plus « à l’ancienne », de l’école normande. Bonne élève selon la direction, Samuella explique que le régime soutenu auquel elle est astreinte pousse à une certaine discipline : lever à 7 heures, petit-déjeuner, cinq « périodes » (cours de quarante minutes, durée jugée optimale pour assimiler les connaissances) dans la matinée, trois dans l’après-midi. Une fois de retour à l’internat, elles sont complétées par une heure d’étude et une activité obligatoire. Le dîner précède une autre séance de travail avant l’extinction des feux, à 23 heures. Et s’il existait une Suisse anglophone, le visiteur pourrait s’y croire tant la langue de Shakespeare domine dans cette école internationale. Le cursus, à la carte, prépare au baccalauréat français ou international, à la maturité suisse (un certificat) ou à un high school diploma.

Le complexe scolaire est d’apparence ordinaire. L’ensemble de bâtisses modernes, en bois, verre et fer qui le composent ne correspond en rien au gigantisme et au style néoclassique des schools anglo-saxonnes. Mais le droit d’entrée n’a rien à leur envier. Comptez entre 16 100 et 26 250 euros par an pour y inscrire votre « très cher » bambin en externat, et jusqu’à 61 500 euros en internat. Selon la direction – qui les assume de façon totalement décomplexée -, ces coûts se justifient. Tout d’abord par les conditions de travail privilégiées dont bénéficient les pensionnaires : fournitures, vêtements de sport, uniformes… Ensuite par la qualité de l’enseignement. Allégées, les classes comptent en moyenne neuf élèves. Au-delà de la douzaine, on frôle le sureffectif. Avec 247 enseignants pour 2 200 étudiants, un tel ratio se comprend aisément. Outre les cours, l’étudiant dispose de plages horaires aménagées pour le soutien scolaire. Il reçoit aussi des formations sur son organisation quotidienne et sur le leadership. D’origines suisse, anglaise, américaine, canadienne ou néo-zélandaise, les professeurs sont enfin triés sur le volet. Un bon curriculum vitæ (CV) doit nécessairement être couplé à d’autres références, une expérience dans l’humanitaire par exemple.

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Enfants Biya

Gilson Malungo, un Angolais de 17 ans, parle un français parfait, en plus du portugais et de l’anglais. Il possède aussi quelques notions de japonais, acquises lorsque son père était ambassadeur au pays du Soleil levant. Après une année d’études, l’étudiant de grade 12 (équivalent de la terminale dans le système anglo-saxon) fait à peu près le même constat de réussite que sa camarade. Passée l’appréhension de l’internat, il a vu sa moyenne générale augmenter de deux points au bout de quelques mois.

Membre du Student Government, nom donné au comité des élèves, Gilson est l’interlocuteur favori de ses camarades africains, qui, selon lui, ont tendance à se regrouper par communautés. L’année précédente, il a connu les fils du président camerounais, Paul Biya : Paul Junior, qui a abrégé son cursus, ainsi que Théo, fils adoptif qui a lui achevé son parcours en grade 12. Au détour d’un couloir du bâtiment réservé à l’enseignement secondaire, il est possible de croiser leur soeur, Anastasie Brenda Biya Eyenga, qui poursuit ses études en grade 10.

Yves Thézé, qui a eu pour élève l’un des fils de Nicolas Sarkozy lorsqu’il dirigeait le lycée français de New York, se défend d’accorder un traitement particulier à ces pensionnaires « VIP » : « J’ai toujours été soucieux de les considérer comme étant parfaitement normaux et j’ai la même considération pour leurs parents », assure-t-il. Il n’empêche que les visites du président camerounais, très remarquées, sont précédées d’une inspection effectuée par ses quatre gardes du corps, se souvient un membre de l’administration. La première dame, Chantal Biya, tente de se faire plus discrète, et vient voir sa fille accompagnée d’un dispositif moins lourd. Les au revoir sont toujours difficiles, d’après le même témoin. Durant ses années de lycée, cet ancien du Collège revenu pour y travailler côtoyait déjà des élèves africains, et pas des moindres. Lui reviennent en mémoire les discussions bruyantes, lors du souper au réfectoire, des étudiants qui portaient des patronymes tels que Boganda, Bokassa ou encore Mobutu. « Une de ces familles était si nombreuse qu’elle occupait une table à elle seule », se rappelle-t-il avec amusement.

Richesses

À l’évidence, ce n’est pas pour le luxe ou le confort que fils de puissants et nantis du continent entrent dans ce pensionnat select. Dans les « maisons » de garçons ou de filles, le mobilier est assez sommaire : lits en bois agrémentés d’une couette et d’un oreiller, commodes, bureaux et armoires de qualité correcte constituent l’essentiel de l’ameublement.

On note tout de même des coffres-forts individuels à code digital pour conserver les objets les plus précieux. L’aisance financière est perceptible dans le grand salon, plus agréable, avec écran plat, bibliothèque plus ou moins fournie et, parfois, console de jeux dernier cri. Des cuisines personnelles sont disponibles pour qui goûte peu la promiscuité routinière de la cantine. Machines à laver et buanderie permettent au pensionnaire d’acquérir une certaine autonomie. À chaque étage de ces maisons, une trentaine d’élèves cohabitent par chambres de deux, trois ou quatre, sous l’autorité d’un tuteur, qui devient de facto un substitut parental. Il gère l’argent de poche, dont le montant est fixé à l’avance par les parents en accord avec le Collège. Par souci d’équité et pour minimiser l’étalage de richesses, il est conseillé de limiter ces sommes à 100 francs suisses par semaine (environ 80 euros).

Cette hantise de la prodigalité, le lycée Saint-Martin-de-France, près de Paris, la partage avec l’institution suisse. En début d’année scolaire, il a fallu confisquer la cagnotte du petit-fils d’un chef d’État d’Afrique centrale. Il avait dépassé la somme autorisée de quelques milliers d’euros. Recadré, l’élève dispendieux évolue à présent « de façon très positive » se réjouit le chef d’établissement, Yves Bécret.

Le système d’internat « à la française » se veut plus strict, héritier d’une conception rigoureuse de la pédagogie d’après-guerre. À l’origine, l’enfant effectuait un cycle complet d’études, de la 6e à la terminale, avec l’objectif d’en sortir formaté, adulte avant l’heure.

Hôtes de marque

Cette vision de l’internat strict a disparu certes, mais son héritage demeure. À Saint-Martin comme à l’école des Roches – sa grande rivale normande -, les parents inscrivent leurs chérubins dans l’espoir qu’ils soient recadrés. Lavallière pour les filles et cravate pour les garçons complètent le blazer sombre et le pantalon gris dans ce lycée où l’uniforme est de rigueur le lundi et le vendredi.

L’autre motif prédominant chez les Africains est l’encadrement rassurant qu’offrent ces enceintes dorées. Saint-Martin-de-France est très fier de ce quota d’élèves issus du continent (34 sur un effectif de 1 100) indiqué sur la mappemonde qui trône dans le bâtiment principal, aux allures de château. Cette année, les communautés les plus représentées viennent d’Afrique centrale : RD Congo, Gabon et Congo. Ivoiriens, Béninois et Guinéens arrivent ensuite.

La fréquentation africaine de cet établissement fondé à la fin des années 1920 commence à partir des indépendances. Ordonné prêtre dans cette ancienne abbaye et professeur d’histoire de 1974 à 1990, le père Gérard Beneteau est en quelque sorte la mémoire de cette époque. Il se souvient du passage des fils d’Houphouët-Boigny et de ceux de son éternel homme de confiance, Georges Ouegnin.

Et pour cause, celui qui faisait office de parrain de ces hôtes de marque n’était autre que Jacques Foccart, qui les accueillait dans sa demeure les week-ends. « Il était ce que l’on appelait leur correspondant. Un jour qu’il s’attardait dans mon bureau, voyant la une du quotidien Libération sur la chute de Bokassa, il s’était écrié : "Ça y est, ça s’est fait !". »

Première dame

Par la suite, Saint-Martin-de-France recevra Karim Wade à la fin des années 1980 ou encore Birama Konaré, fils de l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré, entre 1996 et 1999. Actuellement, le lycée s’enorgueillit de former, entre autres, la fille d’une première dame d’Afrique de l’Ouest ainsi que sa cousine, inscrite récemment dans la même maison d’internes. Un signe que le bouche à oreille continue à fonctionner. Jusqu’en 2009, le lycée recevait l’une des petites-filles de l’ancien président gabonais Omar Bongo Ondimba. Celle-ci, selon le personnel encadrant, « ne se cachait pas » de sa prestigieuse ascendance et de l’affection que lui témoignait son grand-père. Son oncle, Ali Bongo Ondimba, avait lui préféré pour sa scolarité l’institution Notre-Dame-de-Sainte-Croix à Neuilly, dans la banlieue parisienne. L’actuel président du Gabon y a effectué ses études secondaires avant d’étudier le droit à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Le nom de Bongo est également cité dans le hall of fame des anciens « Rocheux », aux côtés d’illustres familles telles que de Coubertin, d’Harcourt, de Habsbourg, de Lesseps, ou de La Tour d’Auvergne…

Passé par la France au cours de ses études, Teodorin Obiang Nguema, fils du chef de l’État équato-guinéen, aurait également porté le blazer du pensionnat de Verneuil-sur-Avre, dont les frais de scolarité peuvent aller jusqu’à 26 000 euros en internat. Sans compter les dépenses annexes et les 6 000 à 7 000 euros qu’il faut régler en première admission.

La capacité à payer constitue le premier test d’entrée, au même titre que le dossier. C’est le cas également à l’école de Tersac, près de la ville française de Bordeaux (16 600 à 19 600 euros l’année pour l’internat) ou encore à l’Institut Pilâtre-de-Rozier, en Moselle, qui abriterait les enfants du président tchadien Idriss Déby Itno. Là-bas, les prix montent jusqu’à 16 000 euros environ. Les notables de Kinshasa et de toute la RD Congo, eux, préfèrent inscrire leurs rejetons au Lycée Molière, à Bruxelles (Belgique), moyennant des frais, il est vrai, plus abordables.

L’objectif affiché est clair, même s’il est inavoué : la reproduction sociale au moyen de références qui ouvrent le chemin des plus grandes universités. Au Collège du Léman, la London School of Economics ou encore le King’s College London, entre autres, viennent présenter leurs programmes – une forme de recrutement avant l’heure. Merencia Satchivi, élève en classe de terminale économique et sociale, en a conscience. Une fois son baccalauréat obtenu à Saint-Martin, elle se verrait bien entrer dans une école de commerce et occuper une position dominante dans l’économie de son pays, le Bénin, tout comme son père. Quant à cet étudiant guinéen, ancien du même lycée et plein d’ambition, il fait montre du même optimisme : « Tous les camarades de mon carnet d’adresses sont destinés à être des grands dans leur pays. Avec le réseau que je me suis constitué, moi aussi j’espère en devenir un. »

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Abdel Pitroipa

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