Ces clichés qui collent au continent africain

Avec son livre « Pourquoi l’Afrique est entrée dans l’Histoire (sans nous) », Sonia Le Gouriellec pousse un coup de gueule contre les préjugés qui entravent tout discours intelligent sur les 54 pays du continent. Et s’attache à les démonter un à un.

Lors du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, à l’université Cheikh-Anta-Diop le 26 juillet 2007. © DR

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Publié le 28 octobre 2022 Lecture : 5 minutes.

Dans son nouveau livre, Pourquoi l’Afrique est entrée dans l’Histoire (sans nous), Sonia le Gouriellec a décidé de pousser « un coup de gueule ». La chercheuse, spécialiste de l’Afrique et plus encore de sa Corne, n’en pouvait plus de ne voir que les livres de Bernard Lugan plastronner dans les rayonnages des librairies dès qu’il s’agit de traiter de l’histoire du continent. Elle ne supporte plus les approximations à répétition des médias, les préjugés caricaturaux enseignés à l’école et les déclarations paternalistes à l’emporte-pièce.

Dès le titre de son ouvrage, Sonia le Gouriellec a décidé de parodier l’énormité lâchée en 2007 par Nicolas Sarkozy, alors président de la République, lors d’un discours à Dakar entré dans l’histoire pour sa collection de poncifs affligeants hérités de l’époque coloniale. Pour l’auteure, non seulement l’Afrique est bien entrée dans l’histoire, mais elle l’a fait sans la France. Voire malgré la France, comme elle le démontre dans la dernière partie de son essai.

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« Déni d’Afrique »

Avant cette conclusion, Sonia le Gouriellec énumère, chapitre après chapitre, tous ces détails qui montrent que la pensée présidentielle d’alors n’était que le legs d’un « déni d’Afrique », caractérisé depuis toujours par un refus de comprendre le continent et d’entendre ses populations. Comme si, après avoir dû renoncer à l’occupation, l’Occident se refusait encore à accorder l’égalité à l’Afrique, préférant laisser libre cours à ses préjugés.

Faire un sort au rire banania

Et c’est pour tenter de comprendre les raisons de cette vision rétrograde que Sonia le Gouriellec a écrit cet ouvrage destiné au grand-public, avec l’ambition de déconstruire un imaginaire qui cantonne trop souvent l’Afrique au rayon des mauvaises nouvelles. Sur 148 pages, elle prend un malin plaisir à pointer, un à un, les stéréotypes, pour mieux les démonter et enfin « faire un sort au rire banania », comme le demandait déjà Léopold Sédar Senghor.

Une Afrique fantasmée

Quand Sonia le Gouriellec demande à ses étudiants de Science Po de citer des références de livres consacrés au continent, ledit Senghor voisine avec Tintin au Congo ; et côté cinéma ne sont mentionnées que quelques productions hollywoodiennes comme Hôtel Rwanda ou Out of Africa. Le continent reste généralement représenté tel une vaste contrée sans frontières et sans métropoles, peuplée d’animaux sauvages vivant entre jungle et savane.

Une « authenticité » qu’il faudrait préserver à tout prix, dans une Afrique perçue dans le même temps par de nombreux étudiants comme étant en retard sur le reste du monde, plombée par des famines récurrentes et maintenue à l’écart de la globalisation par une pauvreté généralisée.

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Une Afrique uniformisée

Vue du Nord, « Africa is a country ». « Un continent, une civilisation, voire un seul pays », constate Sonia le Gouriellec. Dans l’imaginaire collectif, l’Afrique demeure un continent ténébreux, dont les contours restent flous et surtout mal maîtrisés, comme lorsque qu’un grand journal français illustre un article sur la RDC par un objet ashanti du Ghana.

L’Afrique reste prisonnière d’une représentation uniformisée, homogénéisée et surtout déformée, comme par exemple sur la carte de Mercator, qui depuis la fin du XVIe siècle réduit la taille de l’Afrique au profit de celle de l’Europe. Il a fallu attendre l’arrivée de la projection de Peters, au début des années 1970, pour retrouver des proportions plus conformes à la réalité.

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Une Afrique marginalisée

Selon plusieurs études, les médias occidentaux ne consacreraient que 2 % de leur couverture médiatique à l’Afrique, qui abrite 17 % de la population mondiale. Difficile dans ces conditions de rendre compte de toute la diversité du continent. Les informations retenues sont le plus souvent liées à des événements tragiques, projetant une image négative et pessimiste d’un continent ravagé par les guerres, la corruption, le terrorisme, les maladies ou la famine.

Les décennies passent, mais les discours restent ceux mis en place au XIXe siècle

Les œuvres de fiction contribuent peu à inverser cette grille de lecture puisqu’elles montrent le plus souvent des pays dirigés par des dictateurs sanguinaires, en lutte contre des rebellions fondamentalistes composées d’enfants-soldats. Un contexte si peu enviable que les producteurs font le choix assumé de situer leurs actions dans des pays fictifs. Afin de ne fâcher personne et d’éviter tout incident diplomatique ? De tels environnements narratifs permettent à l’inverse de présenter le héros, le plus souvent blanc, en sauveur de populations passives et victimisées. Comme dans les récits de l’époque coloniale.

Une Afrique figée

Les décennies passent, mais les discours restent ceux mis en place au XIXe siècle par les Européens lors de la conquête coloniale pour différencier le « civilisé » du « primitif ». Puisque l’Africain se refuserait à entrer dans l’histoire, les colonisateurs ont inventé le concept de tradition, qui se caractérise par une temporalité immobile et réfractaire au progrès.

Quand elle est considérée, l’histoire africaine n’est le plus souvent perçues que comme une simple réaction à des événements qui se sont déroulés ailleurs, essentiellement en Occident. Selon ce schéma, les Africains vivent dans un « présent intemporel et immuable », construit à l’époque par l’Europe pour représenter l’Afrique comme son « double négatif », au nom de la supériorité des Occidentaux d’hier comme d’aujourd’hui.

Une Afrique tribalisée

Autre notion inventée par le colonisateur et qui a la vie dure, celle de tribu, opposée à celle de nation par essence occidentale. Les tribus sont vues comme des unités culturelles fondées sur des pratiques religieuses et ethniques, ainsi que sur des similitudes physiques. Un terreau idéal pour établir une classification distincte entre le colonisateur et le colonisé.

L’Afrique, telle qu’elle est, n’est pas enseignée

Instrument de domination, le racisme permet de privilégier un groupe par rapport à un autre, en insistant sur leurs différences : avec histoire, sans histoire ; industrielle, pré-industrielle ; écriture, sans écriture ; etc. Il reste le marqueur fondamental de la supériorité de l’un sur l’autre, entre blanc et noir, mais également au sein des colonisés eux-mêmes.

Une Afrique ignorée

Si les pires stéréotypes perdurent, c’est parce que l’Afrique, telle qu’elle est, n’est pas enseignée. La seule civilisation issue du continent et reconnue dans la plupart des ouvrages reste celle de l’Égypte ancienne ! Une « falsification consciente de l’histoire africaine », selon l’expression de Cheikh Anta Diop, qui en dit long sur des sociétés du Nord satisfaites de leurs connaissances lacunaires. C’est que l’Afrique est la grande absente des programmes scolaires, notamment en France, et ce jusqu’au plus haut niveau d’études, où elle reste le plus souvent optionnelle. Et quand elle est traitée, c’est en filigrane de l’histoire européenne, essentiellement à travers l’esclavagisme et la colonisation. Et que vaut l’enseignement de cette dernière période « sans le regard des colonisés » ? se demande l’auteure.

Le second prisme privilégié est celui du « développement », selon une approche comparative qui met surtout en exergue les « fragilités » du continent, qui apparaît finalement comme passif, sans autonomie propre, relégué à tout jamais à la périphérie du monde. « Même si les Africains n’ont jamais vécu dans l’isolement, ne serait-ce que parce que l’humanité y est née », ainsi que le rappelle l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch.

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Pourquoi l’Afrique est entrée dans l’Histoire (sans nous), Éditions Hikari, collection Enquête d’ailleurs – 148 pages – 10,90

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