Roschdy Zem : « Raconter ma famille, c’est aussi raconter ma France »
L’acteur et réalisateur français signe « Les Miens », son sixième long-métrage. Un film autobiographique dans lequel il rend hommage tant à sa famille qu’à celle qu’il s’est créée au cinéma.
Costume tiré à quatre épingles, regard sévère et fonceur. Ryad est brillant et charismatique. Et sa carrière de jeune premier est bien la seule chose qui semble le préoccuper. Toute ressemblance avec un personnage existant serait purement fortuite. Pourtant, l’acteur et réalisateur campe ici son propre rôle, ou presque. Et livre son film le plus personnel.
À 57 ans, Roschdy Zem signe Les Miens (présenté à la Mostra de Venise), un sixième long-métrage « thérapeutique » sur fond de « mea culpa », glisse-t-il derrière ses larges montures noires. « Je n’ai jamais su dire ou montrer à ma famille que je l’aime, par égoïsme, ce film en est l’occasion », confesse-t-il.
Éviter l’écueil essentialiste
Cette chronique familiale touchante – et parfois bavarde – a été co-écrite avec la réalisatrice Maïwenn (Pardonnez-moi, ADN…). Et cela se ressent. Les longs déjeuners familiaux organisés dans de jolis appartements parisiens deviennent le lieu de grands déballages, où les frères et la sœur, les neveux et les nièces en profitent, sinon pour se monter les uns contre les autres, pour faire au moins le procès de Ryad, jugé peu attentif aux siens donc.
Seul Moussa, l’un des frangins, interprété par Sami Bouajila, le soutient sans jamais broncher. Jusqu’à sa chute, lors d’une fête entre collègues trop arrosée. Une commotion cérébrale plus tard – traumatisme dont le frère de Roschdy a lui-même été victime –, le voilà transformé en un personnage acariâtre et sans filtre. De quoi inquiéter toute la tribu et apporter un peu de mordant à cette comédie (un peu trop) fidèle aux codes du cinéma français bourgeois.
Sauf que voilà, ces Français-là sont tous issus de l’immigration. Et, chose assez rare à l’écran pour ne pas être soulignée, Roschdy Zem n’en fait pas un sujet. C’est bien là toute la singularité et l’intérêt du film, qui évite l’écueil politique essentialiste pour se concentrer sur l’intime. « À aucun moment cela a été un calcul de ma part de raconter cette histoire sans passer par le prisme culturel ou religieux, constate le réalisateur. Je me suis servi de mes yeux et de ma mémoire pour raconter les miens à travers les cinquante dernières années. »
Une démarche totalement inédite
Porter à l’écran deux générations de Français d’origine maghrébine sans les renvoyer à leur double appartenance culturelle, un parti-pris révélateur d’un tournant dans le cinéma français et la société, ou une audace dont seule Roschdy Zem, trente ans de carrière à son actif, peut se permettre ? « Je me suis rendu compte que mon film était moderne en ce sens seulement sur la table de montage. Mais en même temps, tout cela est assez logique », pose-t-il.
« Si, en 2022, on continue à faire des films avec du couscous à table, une jeune fille voilée et un jeune homme radicalisé, c’est problématique, à moins d’être produit par CNews, rigole l’ex-gamin de Drancy né de parents marocains. En racontant ma famille, je raconte aussi ma France. Sans être sulfureux, ce film renvoie une image de la société française telle qu’elle est aujourd’hui. »
Je cherche à faire des choses que je n’ai pas faites auparavant
Une démarche totalement inédite pour Roschdy Zamzem, de son vrai nom, qui a très tôt choisi de raccourcir son patronyme pour protéger son entourage de l’exposition médiatique. Sa fille d’abord, Nina Zem, qui joue pourtant aujourd’hui sa nièce dans le film.
« Je suis arrivé à un stade de ma vie où j’ai envie de me livrer d’avantage et d’être plus honnête avec moi-même. Je sens bien que dans ma quête de créativité, je cherche à faire des choses que je n’ai pas faites auparavant, et j’ai l’impression de viser juste en sortant de l’héroïsme ou de la magnanimité pour montrer ce qui est pathétique chez moi. »
d’« Indigènes » à « Chocolat »
Roschdy Zem ne s’épargne pas. Lui que le public a longtemps qualifié d’« acteur réconfortant » et que l’on a souvent comparé à Jean Gabin ou Lino Ventura souhaite aller là où on l’attend le moins et embrasser des rôles plus vulnérables, comme dernièrement dans Les enfants des autres de Rebecca Zlotovski, où il joue un père célibataire qui tombe amoureux d’une femme sans enfants avec qui il tentera de réinventer un modèle familial.
Aujourd’hui, j’ai besoin de me mettre à nu
« Mon statut au sein de ma famille m’a toujours conféré une sorte de confort car, selon ma mère, j’ai longtemps été celui qu’il ne fallait pas déranger. Tandis qu’aux yeux du public, j’ai cette image de force tranquille qui me colle à la peau. Aujourd’hui, j’ai besoin de me mettre à nu », déballe-t-il. Un virage dans la carrière du réalisateur à l’origine de films plus politiques, comme Omar m’a tuer en 2011, ou encore de Chocolat, avec Omar Sy, en 2016.
Un tournant d’autant plus flagrant à l’heure où son camarade de toujours, Rachid Bouchareb, à qui il confie un rôle ici, signe Nos frangins, l’histoire de Malik Oussekine, tué par des policiers en 1986. « À chaque fois que Rachid propose un film, il a un besoin viscéral de raconter son histoire. J’aime la force qu’il a encore aujourd’hui à vouloir monter ses projets, cette nécessité », analyse Roschdy Zem, reconnaissant d’avoir participé à sa plus grande aventure de cinéma avec Indigènes en 2006, déjà aux côtés de Sami Bouadjila.
Les vrais déracinés
Et de poursuivre : « Quand il m’a proposé de rejoindre le casting, cinq ans avant le tournage, j’ai trouvé ce projet fou et surtout irréalisable. Je ne voyais pas comment on pouvait trouver cinq acteurs expérimentés et avec une notoriété suffisamment importante pour que des producteurs acceptent de mettre 20 millions d’euros sur la table. Mais Rachid y est arrivé avec sa résilience et sa force de conviction, » peine-t-il encore à réaliser, non sans admiration.
C’est le rêve de tout réalisateur de finir dans les manuels scolaires en tant que référence
« Et depuis, la loi a été votée pour débloquer les pensions », poursuit le scénariste, en rappelant le jour où il a découvert l’affiche du film dans le manuel d’histoire de sa fille, alors étudiante au lycée. « C’est le rêve de tout réalisateur de finir dans les manuels scolaires en tant que référence, et ça, Rachid y est parvenu et il l’a fait avec une très grande humilité. Une humilité qui me rappelle celle de mon grand-frère. »
Et ce n’est pas la seule analogie que Roschdy Zem peut établir entre le réalisateur franco-algérien et son aîné. « Les quelques années qui nous séparent sont celles qu’ils ont tous les deux connues dans leur pays d’origine. Eux, ont été des vrais déracinés. Quand ils sont arrivés en France, ils avaient entre 7 et 10 ans, cela se ressent dans leur comportement, et c’est ce qui me bouleverse. J’ai vu ça chez mon grand-frère et j’ai vu ça chez Rachid. » Les Miens, c’est donc aussi cette famille du cinéma, celle qui a accompagné Roschdy Zem ces trente dernières années, et à qui il rend également hommage.
Les Miens de Roschdy Zem, sortie en salles le 23 novembre.
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