Bénin : les Tokoudagba, une affaire de famille
À Abomey, un fils et une fille de Cyprien Tokoudagba continuent l’oeuvre de l’artiste… et perpétuent la riche tradition béninoise.
À l’entrée de sa dernière demeure, il y a deux caryatides à tête de lion et deux créatures aux formes généreuses et au postérieur dénudé… À l’intérieur, il y a la terre rouge d’Abomey, comme fraîchement retournée, sous laquelle son corps repose. Depuis le 5 mai 2012, le peintre et sculpteur béninois Cyprien Tokoudagba n’est plus. Enfin, du moins sous sa forme corporelle. Parce qu’à sa manière, dans le quartier de Gbécon Hounli où il habitait, et jusqu’aux temples occidentaux de l’art contemporain où ses oeuvres sont présentées*, il continue d’arpenter le monde.
À l’occasion de l’inauguration d’une exposition hommage au musée d’Art contemporain d’Abomey (Maca), en novembre, le plasticien Dominique Zinkpè déclarait ainsi : « Nous pensons qu’il a rendu pérenne sa création à travers sa famille. » Il y avait à ses côtés Madeleine, la veuve de l’artiste, mais aussi Élyse, l’une de ses filles. Damien, son fils, arriverait un peu plus tard, à moto… Damien et Élyse : ce sont eux, surtout, qui ont conçu le mausolée où leur père est enterré, couvrant les murs de sculptures en ciment représentant les symboles colorés des rois d’Abomey et des dieux vaudous. Ce sont eux, aussi, qui assurent la relève. Damien a 32 ans aujourd’hui. « Nous sommes quatorze enfants, chacun a son travail et nous ne sommes pas tous dans le domaine artistique, confie-t-il. Je suis le deuxième et, depuis mon enfance, j’apprends avec mon père. Je fais les bas-reliefs, la peinture, les dessins, les tableaux. »
Un héritage bien acquis, mais au prix d’un vrai labeur quotidien : « C’était quelqu’un de rigoureux : quand tu entendais sa moto arriver, il fallait rentrer très vite à la maison. Il pouvait être très violent verbalement, crier très fort, mais après, nous allions boire et manger ensemble. » À Damien comme à Élyse, l’homme qui fut longtemps chargé de la rénovation des bas-reliefs aux palais royaux d’Abomey aurait dit : « Je vois ta main, je sens que tu peux avancer. Autant que tu restes avec moi et tu bénéficieras, toi aussi, des retombées financières qui en découlent. » Lesquelles ne sont pas négligeables, puisque, outre les travaux de commande auxquels répond la famille Tokoudagba afin de réaliser bas-reliefs, décorations ou sculptures, une oeuvre du père se négocie aujourd’hui autour de 600 000 F CFA (environ 900 euros, contre 400 000 F CFA avant sa mort) auprès de sa veuve. Pour l’artiste Ives Apollinaire Pédê, « Cyprien Tokoudagba leur a montré la voie mais il les a aussi poussés à chercher leur propre inspiration ». Juste retour des choses, Dominique Zinkpè, qui ne cache pas son admiration pour le père, a exposé le fils dans le lieu de création Unik, qu’il vient d’ouvrir à Abomey…
Le royaume de Dahomey s’est toujours appuyé sur les arts pour faire valoir sa culture.
Ives Apollinaire Pédê, Artiste
Bien entendu, les critiques chagrins pourraient souligner que le talent n’est pas héréditaire. Mais en terre vaudoue, il s’agit avant tout de perpétuer la tradition. « Il est indispensable qu’un, deux ou trois enfants perpétuent le culte, ses traditions, ses chants, ses danses, ses peintures, poursuit Pédê. Le royaume du Dahomey s’est appuyé sur les arts pour faire valoir sa culture. Ainsi, une oeuvre de Tokoudagba explique toujours une histoire de sa civilisation. » Comme son père, Damien est un initié de la divinité Nensuwxé, mais il tient à préciser que ce n’était « pas obligatoire pour reprendre le travail ». Élyse, elle, a 39 ans. Modeleuse et peintre, elle a « trois chaises et quatre enfants ». Concernant les trois toujours en vie, elle déclare : « Je souhaiterais qu’ils poursuivent l’oeuvre entamée, mais je ne peux pas les forcer. » Qui sait ? peut-être un jour mettront-ils eux aussi, comme le dit leur grand-mère à propos de leur grand-père, « du sel dans le sang des Blancs ».
* Exposition hommage autour de l’oeuvre de Cyprien Tokoudagba en partenariat avec la Fondation Zinsou, du 12 janvier au 5 mai au Musée africain de Lyon.
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Par Nicolas Michel, envoyé spécial à Abomey
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