Ibrahim Maalouf : le jeune trompettiste virtuose prend le large
Les États-Unis lui ont refusé son visa, et ses concerts prévus les 10 et 11 janvier à Los Angeles et New York ont été annulés. Une grande déception pour le jeune trompettiste virtuose franco-libanais, qui, avec un quatrième album fort remarqué, prend tout de même le large. Portrait.
(Précision d’actualité : Les États-Unis ont refusé, le vendredi 11 janvier, son visa d’entrée à Ibrahim Maalouf pour ses trois concerts prévus à Los Angeles et New York. Les représentations des 10 et 11 janvier ont d’ores et déjà été annulées, mais Maalouf espère malgré tout obtenir le feu vert pour le concert du 14 janvier, au Lycée français de New York. Dans un message publié sur sa page Facebook, le trompettiste s’est excusé auprès de ses admirateurs pour ces annulations in extremis. Exprimant sa « frustration », le musicien s’explique mal pourquoi les autorités américaines lui refusent l’entrée sur le territoire, rappelant que son dernier séjour aux Etats-Unis avait bien failli ne pas avoir lieu, alors qu’il n’avait reçu son visa que quatre heures avant son vol.)
Il a un nom, bien sûr. Le même que son oncle, respectable Immortel, le même que son père, musicien virtuose et créateur de la trompette microtonale « à quarts de ton », spécialement adaptée pour jouer les maqâms arabes. Il a aussi un prénom, Ibrahim. Lequel commence à résonner bien au-delà du cercle des mélomanes avertis qui avaient prêté une oreille attentive à ses trois premiers albums, Diasporas, Diachronism et Diagnostic. C’est en effet un souffle d’une tout autre ampleur qui pousse son quatrième opus, Wind, vers le firmament. Le Franco-Libanais semble désormais comme en lévitation. Il est acclamé de toutes parts.
Après un concert à Limoges (France), en 2011, lors des Francophonies en Limousin, il avait pris le temps d’évoquer longuement son travail. Sûr de son talent, adossé au mur de ses quelque trente années de pratique, mais sans taire ses besoins de remise en question et ses doutes de créateur. « Je cherche à emmener les gens ailleurs, confiait-il. Quand ce que je fais sonne un peu trop « musique répertoriée », je m’en éloigne. C’est un trait de personnalité. Je ne prétends pas être un innovateur, mais j’appartiens à ceux qui cassent et bousculent la tradition. Je veux créoliser la musique. »
Né à Beyrouth (Liban) en 1980, Maalouf n’y a guère vécu : « J’ai grandi à Étampes, en banlieue parisienne, toujours à deux doigts de repartir. Nous avons fait plusieurs allers-retours, même pendant les bombardements. » L’enfance est « assez compliquée ». Quand bien même la musique joue un rôle fédérateur – le père, Nassim, est trompettiste, la mère, Nada, pianiste – l’ambiance n’est pas « festive à la maghrébine ». Certes, les Maalouf chantent beaucoup, mais dès qu’il s’agit de musique classique, l’enseignement est très rigoureux, voire sévère, et les cours quotidiens contribuent à rendre l’atmosphère assez terne. Dur mais efficace. Dès 9 ans, Ibrahim Maalouf se produit sur scène avec son père. « J’appréciais les concerts, je trouvais ça très valorisant. Mais je n’aimais pas beaucoup la trompette, je passais plus de temps à jouer du piano », dit-il. Pour autant, faire de la musique un métier ne s’impose pas avec l’évidence des révélations. La guerre du Liban parle aux racines de l’enfant et suscite une autre vocation : « Tout petit, je passais mon temps à dessiner le skyline de New York. Une de mes ambitions, c’était de reconstruire Beyrouth. » Jusqu’à ses 21 ans, il veut être architecte. Mais la musique l’habite : « J’ai toujours composé. Je sifflotais, j’enregistrais mes mélodies sur des cassettes et je les faisais écouter à mes amis, ma famille. Vers 12 ans, j’ai commencé à les écrire sur des partitions. Vers 17 ans, j’ai eu des commandes pour des groupes. »
Le fils de musiciens qu’il est a d’abord voulu être architecte, pour reconstruire Beyrouth.
Ibrahim Maalouf ne sera jamais architecte. « J’ai commencé à aimer la trompette quand j’ai découvert que ce que mon père avait inventé était vraiment révolutionnaire, se souvient-il. J’avais un bel héritage et le bagage nécessaire pour aller loin, il fallait que je l’exploite. » S’ensuit un parcours exemplaire : Conservatoire supérieur de Paris, Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris et plus d’une quinzaine de prix prestigieux reçus un peu partout dans le monde, dont le premier prix de la National Trumpet Competition, à Washington en 2001. Touche-à-tout, avide de rencontres, le musicien multiplie les collaborations. La chanteuse Lhasa de Sela, décédée en 2010, jouera un rôle majeur en l’ouvrant à des univers hybrides. Outre jouer pour son ami Vincent Delerm, Maalouf se signale dans tous les genres, avec Amadou et Mariam, Matthieu Chedid, Tony Gatlif, Vanessa Paradis, Enrico Macias, Armand Amar, Juliette Gréco, Sting, Salif Keita et pas mal d’autres. L’idée de réaliser un album viendra par l’entremise d’Alejandra Norambuena Skira, du fonds d’action de la Sacem. « Comme il n’existait pas de maison prête à distribuer Diasporas de manière décente, j’ai créé mon propre label. Je me suis endetté de 30 000 euros, mais le petit buzz qui a suivi m’a permis de rentrer dans mes frais. » Les deux autres albums, composés quasiment dans la foulée, sortent en 2009 et 2011. Tous sont « écrits avec de l’image », c’est-à-dire un peu comme Miles Davis réalisa en une nuit la musique du film de Louis Malle Ascenseur pour l’échafaud (1957). D’ailleurs, Ibrahim Maalouf s’en réclame : « La musique de ce film a longtemps hanté mes jours et mes nuits. Elle est l’une des rares musiques qui m’ont fait aimer l’instrument que je joue. » Pour Wind, lui-même s’est inspiré du film muet La Proie du vent (1927), de René Clair. « Mes musiques ne sont plus autant centrées sur moi, confie le jeune père. Avec ce quatrième album, j’ai ouvert ma porte vers autre chose… » Les courants d’air ainsi provoqués sont plus que rafraîchissants !
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