Bethléem, à la croisée des chemins

La ville qui a vu naître Jésus-Christ est un lieu saint pour plus de 2 milliards de personnes dans le monde. L’Église de la Nativité est le premier site palestinien à avoir été inscrit au patrimoine de l’humanité par l’Unesco, en 2011. Reportage.

Sur le toit de la basilique de la Nativité, à Bethléem. © Olivier Fitoussi, pour JA

Sur le toit de la basilique de la Nativité, à Bethléem. © Olivier Fitoussi, pour JA

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 25 décembre 2012 Lecture : 4 minutes.

Un à un, l’aurore allume les clochers et les crucifix qui se dressent comme autant de cierges sur la basilique de la Nativité, à Bethléem. Il est 6 heures du matin en Palestine, et devant le sanctuaire, la place de la Mangeoire, transformée en vaste parking passé 9 heures, est déserte. Les marchands du temple n’ont pas encore ouvert leurs boutiques. Quelques fidèles se pressent à pas feutrés vers la porte minuscule qui force à une humble courbette pour pénétrer dans l’église. Une grande nef vide dont le choeur est occupé par une chapelle orthodoxe qui flamboie d’or et de cuivres, de lustres d’argent, d’icônes et de bois sculptés.

Le marbre jaune des colonnes, poli comme un miroir jusqu’à hauteur d’homme par les mains de millions de pèlerins, devient noir de suie jusqu’aux chapiteaux. Les grelots d’un encensoir tintent, et l’air se brouille d’un mélange enivrant de benjoin, de myrrhe et de santal. Un fidèle disparaît derrière les stalles, descend une volée de marches vers une arche de pierre qui ouvre sur une toute petite pièce : la grotte de la Nativité où, narre l’évangéliste Luc, « Marie mit au monde son fils premier-né, l’enveloppa de lange et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux à l’hôtellerie ».

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Deux millénaires plus tard, ils auraient bien du mal à reconnaître la modeste étable. À la grande basilique actuelle, érigée par l’empereur Justinien en 531, se sont adjoints cloîtres, couvents et églises pour les différentes chapelles de la chrétienté qui s’y disputent, parfois à coups de candélabres, le moindre espace et les grâces du Ciel. Mais c’est le symbole de paix et de coexistence que l’Unesco a reconnu en juin 2011 en en faisant le premier site palestinien classé sur la liste du Patrimoine mondial : « Bethléem est sainte pour les chrétiens et pour les musulmans. C’est un symbole fort pour plus de 2 milliards de croyants dans le monde. » Prêtre copte égyptien rattaché à l’ordre franciscain, le père Ibrahim remarque que « ce n’est pas seulement l’église qui a été classée, mais toute la ville, peuplée de musulmans et de chrétiens. C’est une grande fierté pour tous les Palestiniens ».

Aux termes de la résolution 181 sur le partage de la Terre sainte entre Israël et la Palestine adoptée par les Nations unies en 1947, Bethléem aurait dû être, comme Jérusalem, sous administration internationale. Mais elle se situe aujourd’hui en zone autonome palestinienne, et, non loin de la ville, les sommets des collines sont couverts de colonies israéliennes, quartiers neufs ou camps de mobile homes, prémices de futurs lotissements. En décembre 1995, quand Yasser Arafat mit la main sur quelques bribes de territoire, son premier geste politique fut de se rendre sur la place de la Nativité, où il déclara : « Je suis venu saluer le premier Palestinien, Jésus-Christ, le Messie par qui le message de paix se concrétisera. »

Le premier Palestinien, Jésus-Christ

Depuis ce jour, le leader venait chaque année à Bethléem assister à la messe de Noël. Sauf en 2001 et en 2002, quand l’armée israélienne réoccupe les zones soulevées par la seconde Intifada. Sa présence y fut alors symboliquement représentée par un keffieh noir et blanc posé sur une chaise vide. En 2002, l’église redevint forteresse, assiégée du 1er avril au 10 mai par les soldats de l’État hébreu : plus de 200 civils et 150 policiers palestiniens y avaient trouvé asile auprès d’une quarantaine de religieux. Les Israéliens ne violeront pas le sanctuaire. « Je vis ici depuis vingt-trois ans, raconte le père Ibrahim. Il s’y produit quelque chose de nouveau chaque jour et j’en ai tant vu passer. J’ai vu la deuxième Intifada et le siège de l’église. Inch Allah cela ne se reproduira pas… »

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Dehors, le soleil de midi brûle les couleurs et les ombres, la place de la Mangeoire est devenue une aire de stationnement bruyante. Des pèlerins venus du Kenya y arrivent par la route du pèlerinage qui part de Jérusalem. L’un d’eux, Maurice, voyage pour la première fois. Pourtant, le dépaysement lui importe peu, c’est le Christ qu’il est venu trouver en Terre sainte. « Je n’ai aucune idée des questions de politique locale, concède-t-il. La beauté du site ? Je ne suis pas venu pour ça. C’est notre foi qui nous guide et nous a amenés à venir nous recueillir ici, où le Seigneur est né. »

Sous la tonnelle d’un café qui borde la place, trois pasteurs évangéliques coréens se perdent en exégèses bibliques. Un groupe de Sri-Lankais s’agglutine devant la porte minuscule qui régule, comme un goulet, l’entrée dans le sanctuaire. Les bras fourrés dans les larges manches de sa robe de bure, un franciscain d’Afrique traverse la place. Ce dimanche de décembre, les peuples des quatre coins du monde semblent s’être donné rendez-vous au berceau de la chrétienté, patrimoine matériel et spirituel de l’humanité, symbole d’une Palestine en paix. 

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