Yann Arthus-Bertrand : « Le Paris-Dakar était une manne pour l’Afrique »

Le photographe et réalisateur français Yann Arthus-Bertrand présente dans la capitale sénégalaise « 7 Milliards d’autres », une exposition organisée autour d’une fresque documentaire hors norme.

Le photographe Yann Arthus-Bertrand. © AFP

Le photographe Yann Arthus-Bertrand. © AFP

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Publié le 26 décembre 2012 Lecture : 6 minutes.

« On peut éteindre la clim, s’il vous plaît ? Ce n’est pas bon pour l’écologie ! » À la Maison de la culture Douta-Seck, Yann Arthus-Bertrand s’emporte tout en souriant contre la « maladie de la clim ». Nommé en 2009 ambassadeur de bonne volonté du Programme des Nations unies pour l’environnement, le photographe et réalisateur français était spécialement descendu du ciel pour l’inauguration dakaroise de l’exposition « 7 Milliards d’autres ». Un événement construit autour d’une quarantaine de films qui s’efforcent d’atteindre à l’universel en dessinant « un portrait de l’humanité ». À travers 84 pays (dont 18 africains), en quechua, khmer, wolof, tswana, lingala ou dans une quarantaine d’autres langues, 6 000 anonymes répondent aux mêmes questions : « Qu’avez-vous appris de vos parents ? Quelles épreuves avez-vous traversées ? Quel était votre rêve d’enfant ?… » Évoquant tour à tour l’amour, la guerre, l’exil ou le rapport à Dieu, leurs propos s’entremêlent à l’infini. Régulièrement critiqué par les puristes de l’écologie, Yann Arthus-Bertrand assume sereinement cette approche de « Bisounours ». Il entend d’ailleurs la prolonger dans son prochain film, Human : « Le cynisme, le scepticisme, je déteste. On ne peut pas être écolo sans aimer les gens. » Pour la première fois, « 7 Milliards d’autres » est présenté en Afrique, une contrée familière au photographe. Du parc du Massaï Mara au rallye Paris-Dakar, en passant par les gorilles de montagne du Rwanda, le parcours de Yann Arthus-Bertrand est jalonné depuis toujours d’étapes africaines. C’est d’ailleurs sur la terre aride du Mali que ce projet tentaculaire a germé, un jour où le photographe aérien s’était planté à hauteur d’homme.

Jeune Afrique : Le projet "7 Milliards d’autres" est né sur ce continent. Dans quelles conditions précisément ?

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Yann Arthus-Bertrand : À la fin des années 1990, je réalisais des photos aériennes pour ce qui allait devenir La Terre vue du ciel. Notre hélicoptère est tombé en panne près d’un petit village malien, où les gens n’ont presque rien mais vous offrent tout. L’homme qui m’a accueilli a tué une chèvre en mon honneur. Il a partagé avec moi le peu qu’il avait et m’a raconté sa vie. J’ai joué avec ses enfants, je leur ai dessiné ma maison, on a rigolé et chanté… Quand cet homme m’a raconté son quotidien, rythmé par l’agriculture de subsistance, focalisé sur la nécessité de nourrir sa famille, je me suis senti moins con.

Ce fut un déclic. À l’époque déjà, la parole de l’autre me manquait. Je me suis promis qu’après La Terre vue du ciel je me consacrerais à recueillir cette parole. Le succès du livre [plus de 3 millions d’exemplaires vendus à travers le monde, NDLR] fut tel que la donne a changé. J’ai créé une fondation, GoodPlanet, puis je me suis tourné vers des sponsors. Quand j’ai présenté le projet « 7 Milliards d’autres » au groupe BNP-Paribas, on m’a dit oui en cinq minutes. Cette aventure, évolutive, se poursuit depuis neuf ans maintenant.

L’exposition a déjà tourné en Europe, en Asie et en Amérique du Sud. C’est son premier passage en Afrique…

Nous verrons si ça marche ou pas. Jusque-là, ce qui m’a frappé, c’est l’intérêt manifesté par le public. À Paris, les gens passent en moyenne 1 h 05 dans une exposition. Quand « 7 Milliards d’autres » a été présenté au Grand Palais, cette moyenne a grimpé à 3 h 45 ! Certains m’ont dit : « On aime plus les gens en ressortant qu’en entrant. » Le projet nous a dépassés. C’est une joie pour moi de le présenter aujourd’hui au Sénégal. Quand j’étais jeune photographe, j’ai plusieurs fois couvert le Paris-Dakar. Pour mon film Home, que j’étais venu présenter lors du 50e anniversaire du Centre culturel français de Dakar, j’ai tourné des séquences avec les pêcheurs de Kayar, près de Thiès. J’ai aussi présenté ici l’une de mes émissions Vu du ciel, avec Haïdar El Ali, qui est un très bon copain. Je ne sais pas comment il s’en sort en tant que ministre de l’Environnement [du président Macky Sall], lui qui est avant tout un militant et un homme d’action !

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Comment passe-t-on du rallye Paris-Dakar à la préservation de l’environnement ?

Au Kenya, dans ma jeunesse, j’avais eu l’occasion de photographier le Safari Rallye. Quand je suis rentré en France, je cherchais du travail et on m’a proposé de suivre le Dakar. Je l’ai fait pendant dix ans. On me le reproche parfois mais j’adorais ça. On partait le matin à l’aube, on avait des contacts avec les villageois, on rentrait le soir à minuit, on envoyait nos films et on repartait le lendemain. J’y ai beaucoup appris. À l’époque, le Paris-Dakar était un événement sportif de première importance. C’était aussi une expérience dangereuse, où j’ai perdu pas mal d’amis. Bien sûr, on peut critiquer ses effets nocifs : le CO2, les routes abîmées… Mais pour les régions traversées, c’était une manne. Quand j’ai tourné Home, je suis retourné à Tichit, une ville mauritanienne où passait le Dakar. À la grande époque, quand ils voyaient deux mille personnes débarquer, chacun s’y retrouvait économiquement. Aujourd’hui, ils en parlent avec nostalgie.

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Vous dites que votre coeur est "un petit peu en Afrique"…

Il s’agit d’une relation ancienne. Dans ma jeunesse, pendant trois ans, j’ai fait une étude sur les lions dans le parc du Massaï Mara, au Kenya. C’est comme ça que je suis devenu photographe. C’est là aussi que j’ai découvert la photo aérienne : pour gagner ma vie, je promenais les touristes en mont­golfière. Je survolais le parc, dont je connaissais par coeur la faune et la flore. J’allais pêcher avec les Massaïs. Peut-être y a-t-il en Afrique une manière de profiter de l’instant présent qu’en Europe nous avons un peu perdue.

Pour "7 Milliards d’autres", plus de 6 000 personnes ont été interviewées à travers le monde. Parmi elles, une femme sénégalaise semble vous avoir particulièrement marqué.

Je l’adore ! Voilà une femme qui vit dans une décharge [celle de Mbeubeuss, dans la banlieue de Dakar]. Toute la journée, elle a les mains plongées dans les détritus. Son mari l’a quittée, mais il n’est pas question pour elle de se prostituer pour nourrir ses enfants. Elle préfère aller trier les déchets, elle est même heureuse de le faire. Elle dit qu’il faut travailler pour rester honnête et intègre, elle parle de morale et d’éthique. Je crois qu’il y a plus de morale et d’éthique chez les gens démunis que chez les nantis.

Au-delà des questionnements métaphysiques, les films s’attardent aussi sur des enjeux politiques contemporains : le génocide au Rwanda, Melilla, le Darfour…

Le Rwanda, c’était pour moi une interrogation fondamentale, comme au Cambodge ou en ex-Yougoslavie. Comment l’être humain en vient-il à participer à un projet d’extermination ? C’est un film en miroir, qui interroge chacun d’entre nous. Pour Melilla, je voulais poser la question de ces gens capables de quitter leur famille, de traverser l’océan ou le désert pour subvenir aux besoins de leurs proches. Je ne comprends pas qu’on puisse les renvoyer vers leur pays d’origine après ce qu’ils ont vécu et les risques qu’ils ont pris.

Votre prochain film, Human, se présente comme une synthèse entre La Terre vue du ciel et "7 Milliards d’autres"…

Je veux montrer la beauté du monde derrière les paroles de ses habitants. J’aime les projets ronds, où quelqu’un passe dix ans à explorer toutes les facettes d’un sujet. On vit dans un monde où l’on a trop tendance à rester en surface. Un photographe partira deux jours ici, trois jours là, sans avoir le temps de creuser en profondeur. Je me sens attiré par des projets essentiels.

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Propos recueillis à Dakar par Mehdi Ba

Après la Maison de la culture Douta-Seck début décembre, les projections de 7 milliards d’autres" se poursuivent à l’Institut français de Dakar (jusqu’en janvier 2012) et au musée de l’Ifan (janvier et février 2013). L’ensemble des films du projet peut être visionné en ligne à l’adresse : 7milliardsdautres.org

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