Maroc : avec les monarchies du Golfe, un mariage de raison

Le royaume chérifien est en train de sceller une union d’intérêt avec les monarchies du Golfe. Pour les uns comme pour les autres, c’est aussi une question de stabilité.

Mohammed VI et Hamad Ibn Khalifa Al Thani, l’émir du Qatar. © AFP

Mohammed VI et Hamad Ibn Khalifa Al Thani, l’émir du Qatar. © AFP

Publié le 11 janvier 2013 Lecture : 5 minutes.

« Ce sont eux qui sont venus nous faire la cour, rappelle un diplomate marocain. On a accepté l’union, mais à condition de signer un partenariat stratégique. » C’est dans le contexte des révolutions arabes, au début de 2011, que les six États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG, Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar) ont proposé au Maroc et à la Jordanie d’intégrer leur organisation. À l’époque, inquiets de la propagation du Printemps arabe, les émirats pétroliers souhaitaient renforcer la solidarité entre monarchies arabes. Ils cherchaient aussi à avoir accès au savoir-faire du royaume marocain en matière de coopération politique et militaire, un allié moins compromettant médiatiquement que les États-Unis.

Dix-huit mois plus tard, le souffle printanier retombé, la proposition d’adhésion faite aux royaumes du Maroc et de Jordanie, objet de divergences entre les membres du Conseil, a finalement été retirée, les pays du CCG préférant d’abord renforcer la coopération et le partenariat stratégique avec les deux pays par la création d’un fonds du Golfe pour le développement. Au Maroc, ce cadre prévoit notamment un fonds de soutien de 5 milliards de dollars (plus de 3,8 milliards d’euros) sur cinq ans, sous forme de dons. Une manne plus que bienvenue en temps de crise.

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Tournée royale

Du 15 au 24 octobre 2012, Mohammed VI a effectué une tournée afin de présenter aux dirigeants saoudiens, émiratis, koweïtiens et qataris vingt-cinq grands projets en matière d’infra­structures, d’agriculture, de transport, de logement, de santé et d’éducation. Mais le souverain marocain cherche aussi des relais de croissance pour compenser les effets de la récession en Europe, premier partenaire du royaume. Avec quelque 45 millions de consommateurs, le marché du Golfe représente des débouchés pour les agro-industries nationales et de nouvelles sources d’investissement.

Pour l’instant, en raison de ses achats en hydrocarbures, la balance commerciale entre le royaume chérifien et les pays du CCG est fortement déficitaire pour le Maroc – 29 milliards de dirhams (DH, 2,6 milliards d’euros) d’importations, contre seulement 1 milliard de DH d’exportations -, mais le pays compte bien inverser la tendance.

La délégation marocaine qui accompagnait Mohammed VI lors de sa tournée dans le Golfe, composée de conseillers royaux et de membres du gouvernement, a fait valoir l’attractivité de l’économie marocaine dans les nouvelles technologies, les énergies renouvelables, l’industrie (agroalimentaire, chimique, aéronautique, automobile, pharmaceutique…), la banque et la finance.

Les Émirats arabes unis sont les premiers investisseurs arabes au Maroc, notamment via le Fonds d’Abou Dhabi pour le développement

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Si les investissements des pétromonarchies ont fortement augmenté ces dernières années, ils restent encore essentiellement cantonnés à l’immobilier et au tourisme, notamment avec les émiratis Al Qudra Holding, Emaar, Dubai Holding (avec ses filiales Sama Dubai et Dubai International Properties), le qatari Diar Real Estate Investment Company, le fonds bahreïni Gulf Finance House (GFH), le groupe koweïtien Aref Investment ou encore le jordanien Yabous International. Les projets réalisés, en cours ou à l’étude dans le pays, par ces groupes et fonds du Golfe représentent quelque 20 milliards de dollars.

"Bankable"

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« Les fonds souverains des pays du Golfe dans le monde totalisent actuellement 2 000 milliards de dollars et en géreront deux fois plus à l’horizon 2020, explique Salaheddine Mezouar, ancien ministre de l’Économie et des Finances. À nous de leur proposer une démarche cohérente et régionale, un partenariat public-privé de qualité et des projets rentables. » Le royaume cherche donc à se montrer plus « bankable » que jamais, et à mettre en avant son potentiel de plateforme pour les investissements à destination de l’étranger – au carrefour de l’Europe, des Amériques, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, où il dispose d’accords de libre-échange. De leur côté, gérés par des experts de la finance, les fonds souverains recherchent un retour sur investissement et négocient leurs avantages fiscaux. « C’est fini le temps où les pays du Golfe jetaient l’argent par les fenêtres et venaient profiter des douceurs du royaume, explique Brahim Fassi Fihri, président du think-tank Institut Amadeus. Ils sont très soucieux de leurs placements et des bénéfices qu’ils leur procurent. »

Les Émirats arabes unis sont les premiers investisseurs arabes au Maroc, notamment via le Fonds d’Abou Dhabi pour le développement, qui contribue au financement d’une trentaine de projets, dont la construction du Train à grande vitesse (TGV) Tanger-Casablanca, le développement du port de Tanger-Med et la construction de la rocade autoroutière méditerranéenne. Ils sont suivis par Riyad, qui vient de marquer un très beau point en remportant le contrat de construction et d’exploitation de la première centrale solaire de Ouarzazate, attribué fin septembre au consortium mené par le groupe saoudien Acwa Power International. Bien évidemment, le Qatar avance aussi ses pions. Après les accords signés fin 2011 entre Rabat et Doha pour la coopération dans les secteurs touristique et minier, et pour la création d’une société d’investissement maroco-qatarie, la Qatar National Bank a pris une part majoritaire dans le capital de l’Union marocaine des banques, et la Qatar International Islamic Bank prévoit d’implanter deux banques islamiques au Maroc, dès que les premières autorisations seront accordées – a priori, à partir de l’automne 2013, selon le ministre de Finances.

Un vieux fonds encore bien vigoureux

La plus ancienne société d’investissement du Golfe au Maroc, le Consortium maroco-koweïtien de développement (CMKD), est née en 1976 d’un accord bilatéral entre l’État du Koweït et le royaume du Maroc, avec un capital de départ de 225 millions de dirhams (DH, 20 millions d’euros). Depuis, les actionnaires koweïtiens ont augmenté leur participation de 50 % à 99,9 %, pour un capital s’élevant aujourd’hui à 829 millions de DH. CMKD investit dans les secteurs de la finance, de l’immobilier et du tourisme, où il a de nombreuses filiales et participations. On lui doit notamment des ensembles résidentiels à Casablanca, El-Jadida, Tanger, Marrakech, le développement de projets touristiques à Ifrane (Moyen-Atlas) et la rénovation des hôtels Farah. P.A.

Main-forte

L’autre retour sur investissements attendu, voire privilégié, par les pays du Golfe, est celui de la coopération sécuritaire. « Ce qui les intéresse, c’est l’armée marocaine », explique un officier du royaume, rappelant qu’en son temps, à la fin des années 1970, Hassan II avait dépêché auprès du cheikh Zayed l’un de ses plus fidèles collaborateurs, le général Laanigri, pour veiller personnellement à l’organisation de son service de sécurité et au renforcement de ses unités militaires.

Le Printemps arabe a remis sur le devant de la scène cette utilité du royaume. En cas de crise grave dans un des pays du Golfe, les militaires du royaume pourraient discrètement prêter main-forte au maintien des régimes en place. « On coopère déjà beaucoup en matière de sécurité et de renseignement », avoue un ministre marocain, soulignant que Mohamed Yassine Mansouri, le patron de la Direction générale des études et de la documentation (DGED, renseignements), participait d’ailleurs activement à la tournée du roi.

Autre avantage, et non des moindres : le royaume a réussi sa transition démocratique en contenant le Mouvement du 20-Février. « Si ces pays veulent dépoussiérer un peu leur Constitution, on pourra les aider », ajoute le ministre, en parlant, terme très à la mode, de « partenariat gagnant-gagnant ». 

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