Développement durable : de la nécessité d’une Afrique scientifique
À quelques jours du lancement du Réseau francophone international en conseil scientifique, un collectif de personnalités (Rémi Quirion, Lassina Zerbo, Damien Cesselin… *) appelle à investir dans la recherche et développement afin que le continent puisse lui-même établir ses priorités.
Ni l’avenir du monde ni l’avenir de la science ne peuvent se concevoir sans les populations africaines. L’Afrique subsaharienne à elle seule, avec ses 1,4 milliard d’habitants, connaît un dynamisme démographique d’envergure : 50 % de cette population aura moins de 25 ans en 2050. Les retombées de l’éducation, la formation et la recherche pourraient transformer ce capital humain en une véritable force génératrice de développement, capable de stimuler les économies des pays africains.
Sous-investissement
Or, selon l’Unesco, en moyenne (en 2016), les investissements en recherche et développement en Afrique subsaharienne ne dépassent pas 0,4 % (DIRD en % de PIB en 2016) du produit intérieur brut (PIB), en comparaison d’une moyenne mondiale qui atteint 1,7 %. Les pays d’Afrique subsaharienne sont encore loin de l’objectif de 1 % que l’Union africaine (UA) avait recommandé d’atteindre avant 2020. Il est temps d’investir en faveur d’équipements et de projets de recherche structurants en Afrique, à l’image de la construction de centres de production ou de transfert de technologies pour les vaccins en Afrique du Sud et possiblement au Sénégal.
Il s’agit d’investir dans l’Afrique scientifique, afin que le continent puisse être en mesure de choisir les priorités de recherche qui font écho aux enjeux auxquels ses populations sont confrontées, et de pratiquer la science dans la langue qui favorisera la production et l’appropriation locale des résultats. Il s’agit également d’un investissement pour la diversité linguistique et culturelle dans tous les champs de la recherche. La langue constitue bien plus qu’un support à la connaissance : elle interagit avec elle dans un dialogue constant entre la forme et le fond. Or, dans un contexte scientifique unilingue, ce dialogue s’appauvrit. C’est pourquoi nous devons soutenir le déploiement de la science dans toute sa diversité linguistique, y compris le français.
Penser la science autrement
À cet effet, il convient de saluer la vivacité de médias scientifiques comme scidev.net, Nature Africa ou la nouvelle revue Global Africa, qui contribuent à l’affirmation grandissante de la francophonie scientifique dans le monde, à laquelle l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) participe par sa mission. À cet égard, l’AUF lance un Manifeste de la diplomatie scientifique francophone dans lequel l’Afrique scientifique doit prendre toute sa place. La communauté internationale fonde de nombreux espoirs dans le mouvement des sciences ouvertes, qui pourrait réduire considérablement les délais d’accès des décideurs aux informations stratégiques dont ils ont besoin pour rendre des arbitrages fondés scientifiquement, et faciliter la découvrabilité de contenus issus de toutes les régions du globe et dans toutes les langues.
L’affirmation grandissante de l’Afrique scientifique, dans ses spécificités et sa diversité, est une occasion unique pour l’ensemble de la communauté scientifique de penser la science autrement, de manière plus équitable et transversale. Les savoirs humains sont bâtis sur un héritage extraordinaire basé sur des approches multiformes s’enrichissant mutuellement : scientifiques, empiriques, autochtones, etc. Il nous appartient de remobiliser ce legs particulièrement riche en Afrique, en reconnaissant davantage les différentes formes du savoir, en les faisant dialoguer dans la perspective d’une relation plus durable et harmonieuse avec notre environnement.
Dimensions culturelles et linguistiques
Nous avons besoin de mieux intégrer les dimensions culturelles et linguistiques dans les relations entre la science, l’innovation et la société. Un enjeu que le Réseau international pour les avis scientifiques gouvernementaux (INGSA) souhaite aborder de front, notamment par l’intégration du tout nouveau Réseau francophone international en conseil scientifique (RFIC), qui sera lancé à Montréal le 3 novembre 2022.
Nous ne pourrons atteindre les objectifs de développement durable à l’échelle de la planète sans reconnaitre l’ensemble des savoirs et tous les acteurs qui en sont la source, ce qui requiert en particulier un socle scientifique africain fort. Le message que nous délivrons ici est ancré dans la vision d’un pionnier de la science africaine, l’anthropologue et physicien sénégalais Cheikh Anta Diop, qui, dès les années 1960, affirmait l’importance de l’enracinement des sciences en Afrique : « L’Afrique peut redevenir un centre d’initiatives et de décisions scientifiques, au lieu de croire qu’elle est condamnée à rester l’appendice, le champ d’expansion économique des pays développés. » Nous osons croire que nous avons aujourd’hui les moyens de ces ambitions.
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