Énergies renouvelables : « Pour MBS et ses alliés du Golfe, le Maroc est le pays du Maghreb le plus attractif »
Entre projets colossaux aux conséquences écologiques alarmantes et grandes annonces pour lutter contre le réchauffement climatique, les monarchies pétrolières du Golfe sont sous le feu des projecteurs – et des critiques. Éclairage de Philippe Pétriat, chercheur au Cefrepa.
En marge de la Conférence de Charm el-Cheikh sur les changements climatiques (COP27, du 6 au 18 novembre 2022), le prince héritier saoudien a annoncé la tenue de ses deux initiatives sur le climat, le Sommet du Moyen-Orient vert et le Forum de l’initiative verte saoudienne, sur le thème « De l’ambition à l’action ». Les deux événements, dont ce sera les secondes éditions, auront lieu en novembre, en Égypte également. Mohammed Ben Salman (MBS) a remercié le président Abdel Fattah al-Sissi pour son accueil, précisant qu’il partageait avec le chef de l’État égyptien « une conviction commune de l’importance d’une action concertée pour relever les défis environnementaux auxquels la région et le monde sont confrontés aujourd’hui ».
Si le prince héritier et Premier ministre saoudien met depuis longtemps en avant ses préoccupations en matière d’environnement et son souci de diversifier l’économie du royaume afin de sortir du tout-pétrole, ses détracteurs rappellent aussi qu’il multiplie les annonces de projets démesurés dont la réalisation – parfois hypothétique – semble en totale contradiction avec lesdites préoccupations. L’organisation des Jeux asiatiques de 2029 dans la future station de sports d’hiver Trojena, elle-même située dans la future mégapole de Neom, est bien sûr au cœur des critiques. L’idée de disputer des épreuves de ski, de snowboard ou de patin à glace dans une région où les températures tombent rarement en dessous de 10°, même en plein hiver, paraît à la fois stupéfiante et écologiquement aberrante à l’heure des économies d’énergie et du réchauffement généralisé. Ce que contestent les Saoudiens, qui expliquent que The Line, projet architectural pharaonique censé accueillir 9 millions d’habitants dans un environnement recréé de façon totalement artificielle, est justement un laboratoire de la ville durable du future, fonctionnant à 100 % à partir d’énergies renouvelables.
Maître de conférences à l’Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et chercheur au Centre français de recherche de la péninsule Arabique (Cefrepa), Philippe Pétriat revient sur ces apparentes contradictions de la géopolitique climatique des pays du Golfe, qui concernent aussi bien le Qatar ou les Émirats arabes unis que l’Arabie saoudite.
Jeune Afrique : Peut-on s’attendre à des annonces de la part des pays du Golfe lors de la COP27, ou vont-ils rester sur leur propre rythme en matière de transition énergétique ?
Philippe Pétriat : Tous ces États ont déjà annoncé leur propre calendrier. Les Émirats arabes unis ont annoncé leur neutralité carbone pour 2050, l’Arabie saoudite pour 2060… La plupart ont déjà défini leurs objectifs.
Pour les Émirats arabes unis, ce délai semble assez tenable, même s’il n’est pas possible de le mesurer en temps réel – sauf à voir la part des projets déjà réalisés par rapports aux montants d’investissements annoncés. Les Émirats sont d’autant plus précautionneux qu’ils ont été sélectionnés pour accueillir le siège social de l’Agence internationale des énergies renouvelables (Irena). Ce n’est pas le cas de l’Arabie saoudite, et il faut prendre en compte la différence démographique entre les deux pays.
Cette démarche est-elle commune aux pays du Golfe ? À l’ensemble du monde arabe ?
Elle concerne principalement l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, puisque ces deux États possèdent la plus grosse force de frappe en termes de fonds souverains ou semi-privés. En matière d’investissements directs étrangers (IDE), l’Arabie saoudite et les Émirats sont d’ailleurs les premiers investisseurs régionaux du monde arabe.
Les autres ont une capacité d’investissement qui est moindre, à l’image du Koweït ou d’Oman. Le Qatar, seul pays à pouvoir les concurrencer financièrement, se concentre sur ses propres industries, comme le gaz liquéfié.
Qu’est-ce qui motive ces pays à préparer une transition énergétique ? La concurrence d’autres pays ? Une vraie prise de conscience des enjeux climatiques ?
Les risques liés au réchauffement climatique sont particulièrement forts pour la zone Maghreb-Moyen-Orient, et notamment pour le Golfe : les infrastructures ne sont pas conçues pour supporter une forte hausse des températures, la montée des eaux va avoir un impact considérable puisque la plupart des villes sont situées au niveau de la mer… De plus, même les énergies renouvelables clés, comme le solaire, nécessitent beaucoup d’eau.
Cette transition énergétique est aussi forcée par la concurrence forte d’un marché déjà bien installé. On imagine souvent le marché du pétrole et du gaz dominé par les pays du Golfe, qui, face à une forte demande, peuvent faire la loi, alors qu’il est de plus en plus concurrentiel : des pays comme les Émirats arabes unis se retrouvent en concurrence notamment pour les marchés chinois. Et l’Opep n’a plus le même poids qu’en 1973.
Les puissances pétrolières du Golfe ont des ressources matérielles qu’elles ne peuvent ni brader ni maintenir dans le sol, et entretiennent le marché des hydrocarbures tout en se positionnant sur des marchés d’avenir, de l’hydrogène aux produits pétrochimiques en passant par l’aérien ou le solaire.
Les initiatives spectaculaires annoncées par Mohammed Ben Salman (MBS) sont souvent critiquées. L’Arabie saoudite souhaite-t-elle réellement opérer une transition énergétique, ou est-ce uniquement une géopolitique climatique en trompe-l’œil ?
Je pense qu’il y a à la fois une volonté de MBS d’effectuer une transition vers le renouvelable et une véritable stratégie économique doublée d’un levier communicationnel. Économiquement, la transition énergétique est très rentable, et très attendue de sa part. De grandes entreprises saoudiennes comme Aramco ou Acwa Power investissent dans des plans de développement des énergies renouvelables, notamment au Maroc.
L’après-pétrole pour les Saoudiens, c’est d’abord le pétrole
La magie des projets mis en avant par l’Arabie saoudite, c’est de vendre du rêve afin de faire venir des investisseurs et de parvenir à capter leur attention, dans la surenchère permanente qui existe par rapport au climat. C’est par exemple le cas avec Neom, qui ne va jamais aboutir en tant que tel : le mieux pour l’Arabie saoudite est d’annoncer des projets énormes pour qu’au moins une partie se réalise. Cela pourrait s’axer notamment sur la production d’énergie avec le solaire, l’hydrogène vert, l’élargissement des structures existantes et l’aménagement de la côte. The Line, je ne sais même pas s’ils y croient eux-mêmes !
L’après-pétrole pour les Saoudiens, c’est d’abord le pétrole : le patron de Neom est un ancien membre du conseil d’administration d’Aramco [la compagnie pétrolière étatique, dont une partie du capital a été mise sur les marchés il y a quelques années, NDLR]. Ils ne veulent pas éliminer le pétrole, et réévaluent sans cesse en fonction des technologies disponibles les réserves prouvées, probables et qu’il est possible d’exploiter. Mais en même temps, la stratégie énergétique du Golfe évolue. Elle ne repose plus désormais sur l’exportation de matière première mais sur la valeur ajoutée. Toutes ces entreprises importent du pétrole brut et réservent leur propre production pour élaborer des produits dérivés à plus haute valeur ajoutée. Cette stratégie fonctionne très bien, les entreprises du secteur de l’énergie se développent et investissent notamment au Maghreb.
Pourquoi les puissances pétrolières comme l’Arabie saoudite investissent-elles autant en Afrique du Nord ?
Le Maghreb est une région tactique dans leur recherche d’investissement et de compétences technologiques. On reste dans la même communauté linguistique tout en travaillant sur des sites maghrébins qui sont autant de relais possibles vers l’Europe. Les pays du Golfe peuvent y investir aux côtés d’agences européennes, et gagner en technologie. Pour les entreprises du Golfe qui se sont positionnées au Maroc sur l’hydrogène vert, il n’y a plus qu’à franchir le détroit de Gibraltar pour se retrouver sur le marché européen. Tout le monde se précipite au Maroc depuis plus d’une décennie, puisque toute l’infrastructure financière y est présente. C’est le cas d’Acwa Power, qu’on retrouve aux côtés d’entreprises allemandes ou françaises, comme Siemens.
Le Maroc est le pays le plus en pointe et le plus attractif pour le moment, puisque l’Algérie a beaucoup de mal à convaincre les investisseurs depuis 2019. De plus, la production de gaz algérienne est déjà à son maximum, et les entreprises ne peuvent pas ralentir ou produire davantage : les champs ne sont pas très bien entretenus, il y a de gros besoins en investissement et la production domestique capte plus des deux-tiers de ce qui est produit, le surplus est donc quasi inexistant. Le cadre légal algérien n’est pas très attractif non plus. La Tunisie n’est pas tellement plus séduisante – dans le secteur énergétique en tout cas – en raison de de la crise financière et de l’instabilité qu’elle connaît.
L’autre pilier d’investissement des puissances pétrolières du Golfe est l’Égypte, grâce au gaz. C’est pour cela d’ailleurs que Neom est géographiquement si proche de l’Égypte, et d’autres pays comme Israël. C’est un écosystème porteur.
Comment le Golfe profite-t-il de la crise énergétique liée au conflit ukrainien ? Cela peut-il avoir une incidence sur les stratégies énergétiques des puissances pétrolières ?
Le risque de cette crise, c’est qu’elle conduise à repousser les réformes prévues de transition économique et énergétique. Pour le reste, les pays du Golfe profitent beaucoup de la situation. Les prix du baril et du gaz montent en flèche, et leur stratégie marche d’autant mieux : ils achètent le gaz russe, rendu peu cher par le manque d’acheteurs, et exportent le leur aux prix du marché mondial. C’est pour cette raison que les pays du Golfe n’ont pas voulu s’associer aux sanctions, d’autant plus qu’ils investissent beaucoup avec les Russes dans le domaine énergétique.
Cela introduit un problème au niveau régional, puisque cette crise énergétique fausse leurs relations avec des pays voisins qui n’ont ni pétrole ni gaz, et qui pâtissent malgré les ristournes de la flambée des prix : l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte, le Maroc…
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