Côte d’Ivoire – Daniel Kablan Duncan : « Il ne faut pas avoir peur de la paix »

Réconciliation, relance économique, dialogue avec l’opposition fidèle à Laurent Gbagbo… De passage à Paris, le Premier ministre ivoirien, Daniel Kablan Duncan, s’est confié sur les chantiers prioritaires de son gouvernement.

Daniel Kablan Duncan, pas encore Premier ministre, le 13 septembre à Abidjan. © Kambou Sia/AFP

Daniel Kablan Duncan, pas encore Premier ministre, le 13 septembre à Abidjan. © Kambou Sia/AFP

Julien_Clemencot

Publié le 24 décembre 2012 Lecture : 7 minutes.

Il ne dit jamais de mal de personne – du moins pas en public. Réputé rigoureux et compétent, Daniel Kablan Duncan enchaîne les audiences à l’hôtel Meurice, ce 6 décembre. Auprès des hommes d’affaires, des politiques, des journalistes, le nouveau Premier ministre ivoirien (il a été nommé le 21 novembre) se veut rassurant. Deux jours plus tôt, le président Ouattara et lui ont obtenu des bailleurs de fonds des promesses d’aide à hauteur de 6,6 milliards d’euros. De quoi mettre en oeuvre leur feuille de route et travailler dans la sérénité. Pour ne rien gâcher, ce technocrate de 69 ans, membre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI d’Henri Konan Bédié) et passé par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), dit n’avoir aucune autre ambition que de servir l’État.

Jeune Afrique : Vous revenez à la primature treize ans après l’avoir quittée. Quel est votre sentiment ?

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Daniel Kablan Duncan : Personnellement, je pensais avoir fait mon temps, mais le président Ouattara a su me convaincre de prendre les rênes de la diplomatie, puis celles du gouvernement. Il a une vision pour la Côte d’Ivoire, que je partage, et je sais la lourdeur de la tâche qui m’attend. Le pays est à un tournant de son histoire.

Quelle est la feuille de route de votre gouvernement ?

Au sortir de la crise, nous avions besoin de rassembler tout le monde de manière à repartir. Le chef de l’État estime qu’il faut être plus efficace pour répondre aux défis : la sécurité, la réconciliation nationale, la reconstruction et la relance économique. Les attentes des Ivoiriens sont grandes, et nous devons y répondre rapidement. C’est pour cela que le gouvernement compte plusieurs portefeuilles économiques : nous allons connaître une croissance à deux chiffres qui nécessite la disponibilité d’hommes compétents.

Comment fonctionne votre tandem avec le président Alassane Ouattara ?

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Nous avons travaillé ensemble à la BCEAO, et j’ai été son ministre délégué lorsqu’il était Premier ministre, de 1990 à 1993. Nous avons des convergences de vues. Cela va beaucoup plus vite quand vous comprenez ce que veut votre patron. Lui me fait confiance et me laisse une certaine liberté d’action, bien que je lui rende compte régulièrement.

Comptez-vous relancer le dialogue avec l’opposition ?

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Bien sûr. Mon prédécesseur [Jeannot Ahoussou-Kouadio] l’a fait et j’entends continuer. Le président de l’Assemblée nationale [Guillaume Soro] et le ministre de l’Intérieur [Hamed Bakayoko] y contribueront également. Ce dialogue doit aboutir. Il n’y aura pas de développement sans paix à l’intérieur de nos frontières.

Discuterez-vous avec le Front populaire ivoire (FPI) s’il met des conditions ?

Il faut que ses dirigeants soient réalistes et renoncent à demander, par exemple, la libération de Laurent Gbagbo. Son destin est entre les mains de la Cour pénale internationale, et le cercle de ses fidèles se rétrécit chaque jour. Moi, je leur dis : « Montez dans le train. Si vous ne le prenez pas, vous allez rester à quai ! » Ce n’est pas ce que nous souhaitons. Tout le monde doit aller aux élections municipales et régionales du 24 février prochain.

Êtes-vous prêts à leur garantir la liberté d’expression ?

Nous ne les avons jamais empêchés de se réunir.

Désarmer et former un ancien combattant, cela coûte 1 million de F CFA!

Mais vos militants les ont agressés. Où est la garantie sécuritaire ?

Quand vous tenez des meetings dans des lieux où il y a eu des tueries, il peut y avoir des problèmes avec les populations. Rappelez-vous ce qu’ont enduré les militants du RHDP [Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix] quand le FPI était au pouvoir. Combien ont été tués lorsqu’ils se réunissaient ? Bien sûr, nous voulons un État de droit, assurant la protection des personnes et des biens. Nous allons aussi relancer la loi sur le statut de l’opposition, qui lui donne des droits et des obligations.

Allez-vous libérer les cadres du FPI encore emprisonnés ?

Nous allons accélérer les procédures judiciaires pour que ceux qui ont fauté soient jugés rapidement et pour que ceux qui n’ont rien à se reprocher soient libérés.

Pour certains, la justice ivoirienne est lente et partiale…

Notre justice est lente car elle manque de moyens. Avec l’aide de la France, nous avons débuté l’informatisation des greffes, ce qui va permettre d’accélérer les procédures. Nous allons aussi veiller à ce que les juges soient bien formés et intègres. Certains d’entre eux ont été sanctionnés. Concernant le droit des affaires, des cours d’arbitrage et des tribunaux de commerce ont été mis en place. C’est important : on ne peut pas attirer les investisseurs s’ils ont le sentiment qu’il y a deux poids, deux justices.

Où en êtes-vous de la lutte contre la corruption ?

Il y a encore du chemin à parcourir pour combattre le racket et la corruption dans l’administration. Des sanctions doivent être prises, mais il faut aussi encourager les meilleurs éléments. Cette corruption est d’ailleurs en partie liée à la dégradation des conditions de vie des fonctionnaires, et s’ils sont à l’abri du besoin ils seront moins tentés.

Le mandat de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) s’achève dans quelques mois. Faut-il le prolonger ?

Notre pays a connu plus de dix ans de crise, les meurtrissures sont profondes. Il faut laisser le temps au temps. La CDVR fait un important travail de terrain. Attendons qu’elle rende son rapport final ; nous verrons alors si ses membres souhaitent poursuivre.

Peut-il y avoir réconciliation sans absolution ?

Le pardon a lieu quand il y a repentance. Certains doivent reconnaître qu’ils ont perdu l’élection présidentielle. La composition sociologique du pays et l’unité de l’opposition montrent bien que Gbagbo ne pouvait pas gagner. Aujourd’hui, la majorité des Ivoiriens a des besoins énormes en matière de santé, d’école, de lutte contre la vie chère… Nos frères du FPI doivent apporter leur contribution pour que le pays reparte. Au bout du compte, on se réconciliera. Il ne faut pas avoir peur de la paix.

Quand allez-vous rétablir la sécurité ?

Nous avons rétabli la sécurité sur le flanc ouest en travaillant avec le Liberia. Au Ghana, des anciens combattants sortent encore des camps de réfugiés pour nous déstabiliser. Nous allons donc continuer de coopérer avec les autorités ghanéennes pour que leur territoire ne serve pas de base arrière à ces opérations. Et puis nous-mêmes, en Côte d’Ivoire, nous avons pris nos dispositions, en mettant en place un Conseil national de sécurité et en équipant mieux l’armée, la police et la gendarmerie.

Où en est la réforme de l’armée ?

Nous avons déjà unifié les différents commandements. Les soldats ne sont pas du même moule et doivent être formés aux valeurs républicaines. L’autre priorité, c’est de régler le problème des 73 000 anciens combattants. Certains seront reversés dans la police, la gendarmerie ou la garde pénitentiaire, beaucoup devront réintégrer la vie civile. Les désarmer, les former, notamment dans le cadre du service civique, cela coûte cher. Près de 1 million de F CFA [environ 1 500 euros] par élément !

La question de la propriété de la terre a toujours été très polémique en Côte d’Ivoire. Allez-vous revenir sur la loi foncière ?

Nous sommes à l’origine de la loi foncière de 1998, qui formalise les relations entre les autochtones, les allogènes et les allochtones. Malheureusement, les décrets n’ont été que très partiellement appliqués avant le coup d’État de 1999. Le président Ouattara compte relancer le processus sans remettre en question les acquis : la terre appartient aux Ivoiriens, que ce soit à l’État, aux communautés ou aux particuliers. Les étrangers, propriétaires de titres avant la loi foncière, les conserveront aussi. Pour les autres étrangers, individus ou sociétés, ils pourront obtenir des baux emphytéotiques sur 15, 20, 99 ans.

Le code de la nationalité mêle droit du sang et droit du sol. Faut-il changer la loi et accélérer les naturalisations ?

C’est un dossier important auquel le gouvernement et l’Assemblée nationale s’attaqueront en temps voulu. Il ne faut pas légiférer dans la précipitation et sans concertation. En Côte d’Ivoire, 26 % de la population est d’origine étrangère. Certains sont même arrivés avant la Première guerre mondiale ! Pour notre pays, c’est une richesse. D’ailleurs, tant que notre économie allait bien, personne ne s’en plaignait.

Comment jugez-vous les performances de Guillaume Soro à la tête de l’Assemblée nationale ?

Je n’ai pas à le juger. Quand il a pris ses fonctions, il a prévenu que l’Assemblée jouerait clairement son rôle. Quand il n’y a pas de débats, on prétend qu’elle est aux ordres. En réalité, les députés débattent. Deux exemples récents : la loi de finances et le texte sur l’égalité hommes-femmes. C’est cela la démocratie.

Votre parti, le PDCI, présentera-t-il un candidat à la présidentielle en 2015 ?

Le prochain congrès tranchera sur ce point. La coalition des partis houphouétistes doit continuer de travailler pour garantir la stabilité politique. Il ne faut pas retomber dans les batailles de chiffonniers.

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Propos recueillis par Pascal Airault et Julien Clémencot

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