France-Algérie : « Les deux pays » de Dalil Boubakeur

Après l’indépendance algérienne, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, a un autre rêve : les retrouvailles entre les adversaires d’hier. La visite de François Hollande fait naître en lui de grands espoirs.

Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande Mosquée de Paris depuis 1992. © Vincent Fournier/J.A.

Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande Mosquée de Paris depuis 1992. © Vincent Fournier/J.A.

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 18 décembre 2012 Lecture : 2 minutes.

Article paru le 18 décémbre 2012

« J’appartiens à une génération qui a goûté le pain algérien et le pain français, confie Si Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande Mosquée de Paris depuis 1992. Et pour chacun de mes deux pays, j’ai un amour qui ne sera jamais exclusif. Comme un fils dont le père et la mère ont divorcé, j’espère de toute mon âme, depuis tant de temps, leurs retrouvailles. » Au-dessus de son bureau, le portrait en noir et blanc d’un jeune homme en habit arabe : son père, Si Hamza, chef de la confrérie saharienne de la Shaykhiya, député français et déjà recteur de la Grande Mosquée de Paris de 1957 à 1982.

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Deux générations qui incarnent la symbiose possible mais encore introuvable de deux nations séparées dans le sang il y a un demi-siècle. « Mon père était aussi familier de la pensée et de la civilisation française qu’enraciné dans sa culture musulmane : il était l’homme d’une synthèse », explique Si Dalil, qui n’a jamais senti d’antagonisme entre ses études européennes et son héritage arabe, « au contraire, ils s’enrichissaient mutuellement ». Dans son enfance à Skikda, alors Philippeville la coloniale, il n’a pas souvenir d’avoir été victime d’un racisme anti-Arabes. « Le clivage se situait entre ceux qui avaient la culture française – Européens ou Arabes – et ceux qui en étaient loin », explique-t-il.

Révolution

Ce regard mauvais de l’Européen sur l’Arabe, il commence à l’éprouver lors de la bataille d’Alger de 1957 et surtout à partir de 1961 en France, où il est venu étudier : « Le virus était entré en métropole : j’étais redevenu l’Arabe, le suspect, jugé au faciès et fragile dans mon statut. » Une fracture de plus en plus douloureuse entre les deux nations qui le conforte dans son soutien à la résistance algérienne. « Dès 1954 et les premiers mouvements dans l’Est, j’ai acquis à 14 ans la conviction que l’indépendance était la seule voie. Je ne pouvais plus vivre dans l’idée que j’appartenais à un peuple vaincu et soumis. »

Et si le combat est arabe et musulman, il ne fait aucun doute pour Boubakeur que la révolution algérienne est aussi fille de la Révolution française et de la résistance à l’occupation allemande : « Nous adhérions totalement à l’idéologie portée par le Front de libération nationale (FLN) : l’avènement de la liberté, d’un État juste et démocratique. »

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Aujourd’hui, les exigences de repentance adressées à l’État français lui paraissent-elles pertinentes ? Pour Si Dalil, la grande trahison à réparer est celle des livres et de l’histoire officielle qu’on lui a enseignée. « Nous n’avons découvert qu’après l’indépendance les crimes de la colonisation, les confiscations, la répression et les massacres. Ce que la France devrait reconnaître, c’est que la colonisation ne s’est jamais déroulée de la manière qu’elle l’avait enseignée. » La visite de François Hollande fait naître en lui de grands espoirs : « Les déclarations des deux présidents vont dans le bon sens, celui d’un rapprochement concret et des retrouvailles réelles entre mes deux pays. C’est mon autre grand rêve après l’indépendance de l’Algérie. »

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