À Tunis, en taxi

Fawzia Zouria

Publié le 14 décembre 2012 Lecture : 3 minutes.

Je profitais d’un passage éclair à Tunis pour me faire une idée de la situation dans le pays. Je ne voulais pas frapper à la porte d’un responsable politique, craignant de choquer avec mon allure occidentale et mon français qui n’est même plus la langue de la diplomatie tunisienne ; je me refusais à parler à un député, appréhendant de tomber sur Mehrezia Labidi, la bête noire des Tunisiens ; je n’avais pas non plus envie d’entendre l’avis de mes amis intellectuels qui passent leur temps derrière leurs écrans, croyant inverser le cours de l’islamisation effrénée de la Tunisie via Facebook. Et si je faisais un tour du côté des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), le plus vieux festival de cinéma africain ? Sauf que, cette année, peu de stars ont fait le déplacement, des cinéastes l’ont boycotté, et le ministre de tutelle a eu droit au fameux « Dégage ! ». Pas de quoi donner envie.

J’ai donc résolu de prendre un taxi pour un tour en ville. Mon neveu a tenté de m’en dissuader :

la suite après cette publicité

« Tu ne vas pas monter dans un taxi maintenant !

– Il n’est que 19 heures ?

– Tu n’as aucune garantie de rentrer saine et sauve.

– Avant la révolution, je rentrais seule ou en taxi à 3 heures du matin : après minuit les flics n’avaient plus le droit d’arrêter les femmes au volant.

la suite après cette publicité

Les temps ont changé, chère tante, les femmes courent le risque de se faire violer par ceux-là mêmes qui sont censés les protéger. »

J’ai pris le taxi malgré tout. Sitôt à l’intérieur, j’entends le clic de la fermeture centralisée.

la suite après cette publicité

« Je ne tiens pas à me faire agresser, dit le conducteur.

– À cette heure-ci ?

– Les bandits et les affamés sont partout. C’en est fini de la sécurité d’avant. »

Pour un peu, il me ferait l’éloge de Ben Ali. Mais il change de sujet :

« La dernière fois, j’ai fait monter un barbu. Il m’a demandé si j’avais une fille, et, quand j’ai répondu par l’affirmative, il m’a lancé : "Fais attention, mon frère. Dès qu’elle atteindra 9 ans, il ne faut plus que tu t’assoies près d’elle, ni que tu la touches, c’est interdit par la religion." Est-ce que je suis encore en Tunisie, Madame ? »

J’ai failli dire « non » en regardant par la vitre les nombreuses silhouettes « niqabées » qui déambulaient dans le quartier chic d’El-Manar aussi nombreuses que dans les quartiers défavorisés. Soudain, je demande au taxi de s’arrêter, je viens de voir une copine. Bonjour-bonjour. Que fait-elle ici ? Elle attend devant le Monoprix qu’une connaissance passe, un homme de préférence ou une Européenne, elle n’ose plus aller acheter elle-même sa canette de bière. Ah bon ! Je repars dans un autre taxi. Cette fois, le chauffeur est une femme. Et elle n’a pas peur : « La plupart de mes clients sont des clientes, alors je suis tranquille. C’est que beaucoup de mecs refusent de monter avec moi. Ils prétendent qu’un homme et une femme seuls dans un habitacle clos, comme ce taxi, ne font que tenter le diable. Ils ont un sexe à la place du cerveau, ou quoi ? »

Et elle a éclaté de rire. J’ai reconnu là la verve et la modernité des femmes de mon pays, comme j’ai dû reconnaître l’efficacité de ce bon vieux tuyau journalistique : en matière d’info, le taxi vaut l’agence de presse, le terrain et le bon mot en plus.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires