Dakhla, le paradis marocain des huîtres
Bizarreries dans le paysage gastronomique local, ces coquillages ont pourtant conquis le palais des Marocains, grâce à l’expansion de l’ostréiculture à Dakhla, entre mer et désert.
Zone de Boutalha, aux portes du Sahara. C’est ici que se niche une institution des produits de la mer : le restaurant TalhaMar. Pour y accéder, il faut d’abord traverser le sentier de sable rocailleux qui sépare la route nationale 1 reliant Tanger, à 2 000 km au nord de Dakhla à la frontière mauritanienne, à 350 km au sud de la même ville, de la baie. Ici, les constructions hôtelières qui jonchaient quelques kilomètres plus tôt le littoral ont disparu. Seul face à la lagune, ce restaurant sans prétention et sa vaste terrasse bordée de palissade de roseaux.
Des rangées de tables bleues, qui ont plus à voir avec les couleurs de la Bretagne qu’avec celles du désert, accueillent une vingtaine de quidams en cette journée étonnamment pluvieuse. En contrebas, dans la ferme ostréicole inaugurée en 2007, une demi-douzaine d’employés s’attellent à répartir naissains (le mollusque à l’état embryonnaire) et jeunes huîtres sur des grillages de différents calibrages, pendant que la clientèle déguste en direct, et quasi les pieds dans l’eau, ce coquillage pourtant longtemps méconnu des Marocains.
« Quand nous avons ouvert le restaurant, les locaux ne mangeaient pas d’huîtres. Ils ne savaient pas du tout ce que c’était et préféraient opter pour du poisson grillé, se souvient Hamouda Guida, le fils du patron, Ahmed, l’un des pionniers de l’élevage d’huîtres à Dakhla, ancien sardinier originaire de Safi. Maintenant, ils représentent 50% de notre clientèle et commandent jusqu’à 20 huîtres par personne », s’enthousiasme le jeune gaillard de 24 ans. À seulement 4 dirhams la pièce (soit quelques centimes d’euros), les amateurs de shots d’iode auraient tort de s’en priver. Parmi eux également, une clientèle étrangère majoritairement composée d’Européens et de Nord-Américains, faisant escale à Dakhla pour surfer, côté Atlantique.
Graisse de chameau
Si le poisson grillé et entier est roi au TalhaMar, directement servi sur la plaque de cuisson du four escorté de légumes et fruits grillés en tout genre (citrouille, poivron, pois-chiche, figue, tomate, carotte…), les huîtres font depuis partie intégrante du terroir local. Elles se savourent dans leur plus simple appareil, arrosées d’un filet d’huile d’olive et de jus de citron. Quand elles ne se dégustent pas grillées, cuites à la graisse de chameau – huile noble et saine appréciée des Marocains – assaisonnées de ciboulette et d’un mélange d’épices locales. Un succès. « On envoie 500 pièces par jour, et jusqu’à 2 000 le week-end », confie Hamouda. Le restaurant de 500 couverts tourne à plein régime toute l’année, sauf pendant la période du Ramadan, et vend principalement ses huîtres aux hôtels alentour.
Avec au total huit exploitations ostréicoles sur la lagune, Dakhla est aujourd’hui le premier site de production d’huîtres du royaume, détrônant ainsi Oualidia, ville pionnière d’élevage d’ostreidés du Maroc située sur la côte Atlantique entre El Jadida et Safi. Un développement que l’on doit avant tout à l’audacieuse Bretonne d’origine, Pascale Lorcy, ostréicultrice de formation, qui décèle dès 2001 le potentiel de la baie en matière de conchyliculture.
« Je n’ai pas quitté mon Morbihan natal par hasard, prévient la dynamique patronne qui a effectué ses démarches auprès du ministère de la pêche pour obtenir une dérogation et produire légalement sur ce site hautement militarisé. À Etel, d’où je viens, comme sur tout le littoral européen, il faut patienter deux ans et demi, voire trois ans, avant que n’apparaissent les premières têtes de lot. À Dakhla, en neuf mois, on a des huîtres. » Le phénomène s’explique par des eaux riches en phytoplancton, matière nourricière des huîtres qui favorise leur croissance.
Fermes, charnues, creuses, iodées, avec beaucoup de caractère et une belle longueur en bouche…
« La lagune de Dakhla est très poissonneuse grâce à sa nappe phréatique préhistorique, poursuit la Française installée à Marrakech. L’eau est aussi un peu soufreuse. Et la température ne varie pas énormément, de 5°C à 6°C au maximum. Ce qui fait que l’on a constamment une eau comprise entre 17°C et 23°C. Au-dessous de 15°C et au-dessus de 22°C, l’huître s’arrête de grandir, détaille-t-elle. Tous ces facteurs participent au bon développement de l’élevage. »
Fermes, charnues, creuses, iodées, avec beaucoup de caractère et une belle longueur en bouche… Autant de caractéristiques qui font le succès des « spéciales » de Pascale Lorcy, qui ne se contente pas de distribuer ses calibres n°3 aux complexes hôteliers. L’éleveuse peut se féliciter d’avoir ouvert l’activité à l’exportation sur les marchés marocains majeurs, comme Essaouira, Agadir, Marrakech, Casablanca, Rabat, en ventes directes en magasins, comme Carrefour, ou auprès des professionnels (restaurants, marchés…). En l’espace de vingt ans, le label Pascale Lorcy est devenu le principal fournisseur d’huîtres du pays. C’est notamment grâce à son bras droit, Mohamed Anfdouak, chef de chantier, que l’ostréicultrice a pu voir son affaire décoller.
Ce natif de Dakhla roule 100 km par jour, longeant ainsi des bancs de sable à perte de vue jonchés de flamants roses, pour rejoindre le parc à huîtres et s’assurer du bon déroulement de la production. Direction le sud de la baie, face à la Duna Blanca, et ses 7,5 hectares d’exploitation. C’est aussi sur cette même route que Mohamed Anfdouak croise quotidiennement des Subsahariens en provenance du Sénégal, de la Côte d’Ivoire ou encore de la Mauritanie et du Mali, marchant le long de la nationale bitumée pour rejoindre Las Palmas , aux Canaries, depuis les rives de l’ancienne colonie espagnole. « Travailler à Dakhla, c’est aussi s’habituer à voir des familles et des bébés dans ces conditions. C’est triste alors je m’estime très heureux d’avoir du travail », reconnaît ce bûcheur dévoué, aux côtés de Pascale Lorcy depuis vingt ans. Depuis 2007, l’activité ostréicole ne cesse de croître et crée de l’emploi sur place.
Dans cette zone, quatre élevages, dont certains sont tenus par des Marocains, cohabitent sereinement depuis l’installation de la ferme de Pascale Lorcy. « Nous sommes récompensés par notre travail. Nos huîtres sont bien calibrées, bien nettoyées et écaillées », se félicite Mohamed Anfdouak en se dirigeant vers la section de tri où quatre écailleurs travaillent huit heures par jour sous une baraque en brique à la toiture de paille. Avec une sélection allant de 0 à 4, les calibrages peuvent s’adapter à toutes les assiettes – compter toutefois des tarifs nettement supérieurs pour les huîtres de TalhaMar qui vont de 7 dirhmas la n°3 à 9 dihrams pièce la n°1. Non loin de la cabane, les chaluts sont installés, non pas directement au soleil – bien que les huîtres se développent plus vite ainsi – mais un peu plus au large en exposition directe au courant. « La coque est alors plus dure et résiste au transport », indique le chef.
Le développement du tourisme ne laisse rien présager de bon pour la préservation de l’écosystème
Ici, nulle trace ou presque d’industrialisation. Le réfrigérateur permettant de conserver la nourriture des employés est alimenté grâce à un panneau solaire. Et les hôtels ne sont qu’en cours de projet de construction. Pour l’heure, l’activité est préservée de toute nuisance pour l’environnement, ce qui vaut à la zone d’être classée A, soit en bon état écologique au regard des quatre classifications des eaux territoriales à but aquacole. Chaque semaine, un contrôleur de l’Institut national de recherche halieutique (INRH) vient analyser la qualité des eaux. « On est séparés par un banc de sable, donc la pollution générée par les hôtels implantés en face, sur la zone de Boutalha, ne vient pas jusqu’à nous », assure Mohamed Anfdouak.
Risque de pollution
De son côté, Pascale Lorcy se montre plus vigilante. Si les activités touristiques se développent à Dakhla et ne laissent présager rien de bon pour la préservation de l’écosystème, « le principal facteur de pollution des eaux est d’origine animale, comme les bactéries », explique-t-elle. « Le sujet est plus sensible à l’entrée de Dakhla où la station d’épuration des eaux usées n’a pas été mise aux normes depuis l’augmentation de la population liée au tourisme, poursuit-elle. C’est là que le bât blesse puisque la station déborde. En fonction des courants, les déchets peuvent entrer dans la lagune. On fait grossir les villes, mais on place le budget dans les constructions hôtelières, pas dans les infrastructures. C’est révélateur de l’attentisme du gouvernement. »
Selon elle, tourisme et ostréiculture peuvent s’allier, à condition que les établissements jouent le jeu en mettant en place de petites stations. Il faudra bien cela pour que l’activité perdure et se développe.
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