Tunisie : l’Union européenne lève le gel des avoirs du clan Ben Ali

Onze ans après la chute du régime Ben Ali, l’Union européenne vient d’annoncer qu’elle levait le gel des avoirs que les proches de l’ancien président tunisien sont supposés posséder sur son territoire. Une bonne nouvelle pour les autorités actuelles.

Vente aux enchères de véhicules de luxe ayant appartenu à la famille Ben Ali, à Gammarth, le 22 décembre 2012. © FETHI BELAID/AFP

Publié le 3 novembre 2022 Lecture : 4 minutes.

C’est le journal officiel de l’Union européenne (UE) en date du 28 octobre 2022 qui l’annonce : le gel des avoirs de Mohamed Trabelsi, Kais Ben Ali, Hamda Ben Ali, Najmeddine Ben Ali, Najet Ben Ali, Imed et Naoufel Letaïef, tous proches parents et alliés de l’ancien président Ben Ali, est levé. Une décision prévisible, mais qui a créé la surprise à Tunis, où cette affaire avait été quelque peu oubliée.

La chute du régime Ben Ali en 2011 avait immédiatement soulevé la question des avoirs et de la fortune, supposés indument acquis, de la famille et des proches du président déchu. À l’époque, on évoquait des sommes folles et traquait des milliards évaporés. Une réaction légitime quand on sait que le soulèvement populaire qui a balayé le pouvoir en place était mû par la lutte contre les inégalités.

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Procédures restées sans effet

Mais les montants avancés, toujours de manière approximative, n’ont pas été retrouvés, et encore moins restitués quand ils ont pu être localisés, notamment à l’étranger. Beaucoup se souviennent que des organismes comme Sherpa avaient contribué à l’identification de certains de ces avoirs, lesquels seront gelés dans les pays de l’UE et en Suisse.

Le pôle financier de Tunis a bien lancé des procédures de restitution, mais elles sont restées sans effet. Dès 2012, un magistrat révélait les failles du système en pointant la faible adéquation des lois tunisiennes avec celles en vigueur en Europe. Sans compter les courriers en langue arabe adressés aux homologues européens et qui sont pour la plupart restés lettre morte. Mais le principal frein procédural a été le peu de documents probants prouvant que ces fonds avaient été mal acquis.

Les biens spoliés, tels qu’on les désigne en Tunisie, relèvent le plus vraisemblablement d’une légende urbaine tenace. Ils existent certainement, mais ils sont en définitive bien cachés. Ces avoirs, outre l’argent réclamé aux entreprises qui ont profité des largesses de l’ancien régime, comme le prévoit le projet de loi de réconciliation pénale, devaient être la source de financement des chantiers régionaux d’infrastructures.

« Beaucoup de confusion »

Il s’agissait d’ailleurs d’une promesse électorale et d’une priorité pour le président Kaïs Saïed, qui peine à mettre en place son nouveau système socio-politique, lequel inverse le circuit de décisions en privilégiant celles émanant de la base. Dans cette perspective, l’utilisation des avoirs des anciens dirigeants pour le développement régional aurait pu revêtir un aspect moral si le processus avait abouti. Mais le dispositif mis en place pour assurer la restitution de ces avoirs s’est révélé insuffisant, surtout au plan diplomatique.

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« Il y a beaucoup de confusion autour de ces biens », précise un avocat, qui rappelle qu’en Tunisie plusieurs affaires ont été jugées, certaines ont été closes de facto à la suite du décès du prévenu, d’autres n’ont pas donné lieu à des poursuites. Le juriste ajoute que l’expérience de justice transitionnelle menée entre 2014 et 2019 avait rendu plus complexe encore la gestion de ces dossiers. « Aujourd’hui, précise-t-il, il s’agit d’avoirs présents uniquement sur le territoire de l’Union européenne, la Suisse n’est pas concernée, contrairement à ce que prétendent des confrères. »

« Du menu fretin »

Dans les faits, la Suisse a toujours été un coffre-fort pour les anciens dirigeants. C’est d’ailleurs aussi le cas de certains pays du Golfe, où des biens spoliés pourraient potentiellement se trouver. Mais leurs gouvernements ne se sont jamais prononcés sur de telles affaires, si tant est d’ailleurs qu’ils en aient été saisis, ce qui n’est même pas certain.

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Le flop des poursuites au niveau local montre par ailleurs que le dossier n’est pas prioritaire, les autorités cherchant d’abord à en finir avec les dirigeants de la précédente législature. Il occulte aussi celui des avoirs à l’étranger, que le président, sans se référer à aucun jugement, considère comme « propriété du peuple tunisien ». Certains rappellent que la commission chargée de la restitution des fonds spoliés à l’étranger, créée en 2020, n’a jamais siégé.

Si la commission s’est contentée de déclarations restées sans suite, la décision de l’UE n’a pas manqué d’être exploitée par des dirigeants politiques. Comme l’un des leaders de la gauche nationaliste, Mongi Rahoui, qui fait savoir qu’il estime à 15 milliards de dinars la valeur de ces biens. Un chiffre astronomique qui lui permet de se donner une visibilité en période pré-électorale. Il pourrait d’ailleurs réviser ces montants, puisque l’UE compte opérer une autre levée de gel et que Nesrine et Halima, les filles cadettes de Ben Ali, ont eu gain de cause auprès du tribunal administratif quant à leurs avoirs

Les conditions sont justement propices aux arguments populistes : les caisses de l’État sont vides, le pays traverse une crise économique sans précédent, avec des pénuries qui ravivent les revendications sociales. Dans ce contexte, la décision de l’UE a fait brièvement diversion mais nul n’est dupe. Les sept personnes concernées sont surtout des neveux de Ben Ali, peu connus et qui ont plus fait dans l’affairisme que dans les affaires. « Du menu fretin sans réelle consistance au regard d’anciens du sérail », rapporte une ancienne militante du mouvement « manech msamhine » (« Nous ne pardonnons pas ») qui s’est opposée à une réconciliation bâclée telle qu’envisagée par Béji Caïd Essebsi, prédécesseur de Kaïs Saïed à la présidence.

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