Afrique du Sud : Jacob Zuma, l’homme à abattre
Le chef de l’État, Jacob Zuma, va tenter de conserver la direction du parti au pouvoir. Mais ses ennemis sont nombreux. Et bien décidés à le faire chuter.
Avec sa barbichette blanche, Kgalema Motlanthe, 63 ans, est réputé calme, discret et expérimenté. Mais son trait de caractère qui fait le plus parler est sans conteste son indécision. Appelé depuis des mois par tous les adversaires du chef de l’État, Jacob Zuma, à briguer la présidence du Congrès national africain (ANC) lors de la conférence de Mangaung (centre du pays), qui se tiendra du 16 au 20 décembre, le vice-président sud-africain a entretenu l’ambiguïté, évitant soigneusement de se déclarer, sans toutefois démentir une possible candidature. Le suspens a pris fin le 13 décembre, alors que son porte-parole annonçait sa candidature à la tête du parti.
L’enjeu est important. Celui qui remportera ces élections internes, organisées tous les cinq ans, est quasiment assuré d’être élu à la présidence de l’Afrique du Sud en 2014 – l’ANC étant certain de remporter à nouveau le scrutin.
Comment interpréter le silence de Motlanthe ? Est-ce un positionnement tactique pour éviter d’apparaître comme un traître dans un parti prompt à mettre en avant le collectif ? Ou hésite-t-il à faire campagne, laissant aux militants la responsabilité de se prononcer sur son avenir ? Les procédures complexes du parti permettent aux différentes branches régionales de désigner leur favori pour le poste de président, même si celui-ci ne s’est pas encore déclaré.
Hostilités
Déterminés à le voir reconduit dans ses fonctions jusqu’en 2019, les partisans de Jacob Zuma, 70 ans, ont peu goûté ce suspens qui menace leur champion. Et c’est une petite phrase, noyée dans une biographie autorisée de Motlanthe, opportunément sortie trois mois avant la conférence, qui a déclenché les hostilités. Le vice-président (du pays et de l’ANC) y confie notamment à son auteur, Ebrahim Harvey, qu’il juge « fondamentalement mauvaise » la manière dont Julius Malema, l’ex-chef de la Ligue de jeunesse de l’ANC (Ancyl), a été écarté du parti en avril dernier.
Longtemps considéré comme l’un des partisans les plus zélés de Msholozi (surnom de Zuma) – il s’était dit prêt « à tuer pour lui » en 2007 -, Malema est devenu son détracteur le plus féroce et le porte-drapeau des contestataires. Depuis qu’il a perdu son poste à la tête de l’Ancyl, qui lui promettait un bel avenir politique, il n’a plus qu’une idée en tête : faire chuter son tombeur pour revenir dans le parti. Ses amis restés en place au sein de l’Ancyl (ils ont refusé de lui désigner un successeur) ont d’ailleurs publié une liste de dirigeants qu’ils veulent voir prendre la direction du parti à la place de l’équipe de Zuma. Motlanthe y figure en bonne place. Mais on y trouve aussi deux hommes d’affaires prospères, réputés proches de Malema : le trésorier général de l’ANC, Mathews Phosa, et le ministre du Logement, l’influent Tokyo Sexwale. Fikile Mbalula, le ministre des Sports et prédécesseur de Malema à la tête de l’Ancyl, en fait aussi partie.
L’ANC, le parti où tous les coups sont permis
« Les gens qui soutiennent l’ANC ont besoin que nous soyons unis et concentrés. Plus nous passons de temps à nous disputer, plus nous plongeons notre pays dans la crise […]. Nous ne pouvons plus nous permettre de perdre ou d’exclure qui que ce soit. » Ce SMS, message de paix teinté d’une inquiétude sourde, a été écrit par Wandile Mkhize, un responsable local de l’ANC du KwaZulu-Natal. C’est un testament involontaire : une heure après l’avoir envoyé, le 30 juin dernier, il a été abattu. Le crime portait la trace d’un règlement de comptes politique. Ce cas n’est pas isolé.
À l’échelon local, la violence est de plus en plus utilisée pour résoudre les différends politiques. Depuis février 2011, au moins 38 membres de l’ANC ont été tués dans la seule province du KwaZulu-Natal, la région d’origine du président Zuma. La lutte entre factions rivales du parti est parfois en cause. Le 30 novembre, le secrétaire général de l’ANC dans la province du Nord-Ouest, Kabelo Mataboge, a ainsi été pris pour cible devant chez lui alors qu’il revenait d’une réunion de soutien au vice-président Kgalema Motlanthe. Mais le plus souvent le mobile est bassement crapuleux. Si les effectifs de l’ANC ont d’ailleurs à ce point grossi ces dernières années (de 600 000 à plus de 1 million de membres entre 2007 et 2011), c’est aussi parce que nombreux sont ceux qui espèrent obtenir des postes à responsabilité au niveau local – et percevoir les pots-de-vin qui vont avec.
Dumisani Malunga, ancien président de l’ANC dans la petite ville d’Oshabeni et favori pour un siège au conseil municipal, tué le 9 septembre, a fait les frais de cette logique. Sfiso Khumalo, 22 ans, a été condamné à vingt-deux ans de prison après avoir avoué avoir commandité l’assassinat pour prendre son poste.
Mais, dans le plus vieux parti du continent, on préfère les luttes discrètes aux insultes publiques. La ligne politique fait rarement l’objet de débats, même lorsque les temps sont difficiles. Et c’est le cas cette année : la croissance économique est retombée à 2,6 % cette année, selon le Fonds monétaire international (FMI), bien loin de l’objectif des 7 %. Des grèves dans les secteurs agricole et minier (la plus violente, celle de la mine de platine de Marikana, a fait 44 morts, dont 34 tombés sous les balles de la police) ont perturbé l’économie… Jusque-là, l’ANC est parvenu à contenir la contestation. Une motion de censure contre Zuma, déposée par l’opposition en novembre devant l’Assemblée nationale, a été repoussée sans débat par le parti.
Mais il arrive parfois que le choc souterrain des ambitions éclate au grand jour dans des guerres fratricides. Jacob Zuma en sait quelque chose : il est le vainqueur de la dernière en date, celle qu’il a menée contre Thabo Mbeki à la conférence de Polokwane, en 2007. Mbeki cherchait alors à être reconduit à la tête du parti pour un nouveau mandat. Zuma, son grand rival de l’époque, est parvenu à s’imposer, mais la bataille a laissé des traces. Mbeki a été contraint de quitter la présidence du pays avant la fin de son mandat – ce qui avait permis à Motlanthe, déjà vice-président, de devenir chef de l’État par intérim, entre septembre 2008 et mai 2009.
Nette avance
Surtout, une partie des militants proches de Mbeki avaient quitté le navire pour fonder le Congrès du peuple (Cope), qui a remporté 7,4 % des voix aux élections générales de 2009.Un tel scénario peut-il se reproduire à Mangaung ? La précampagne semble donner une nette avance à Jacob Zuma. Six branches provinciales sur neuf l’on désigné comme leur favori fin novembre. Zuma a enregistré le soutien attendu de son fief, le KwaZulu-Natal, devenu sous son mandat la fédération la plus puissante de l’ANC. Mais aussi, et c’est plus surprenant, celui du Cap-Oriental, d’où est originaire Mbeki et qui pèse encore d’un poids décisif. Officiellement, trois régions soutiennent Motlanthe : le Cap-Occidental, le Limpopo (province d’origine de Malema) et le Gauteng. Cette dernière abrite Johannesburg et Pretoria. Elle est présidée par l’ambitieux ministre des Arts et de la Culture, Paul Mashatile, qui a appelé de ses voeux « une nouvelle génération de dirigeants pour un changement radical ».
Motlanthe n’a plus que deux choix : s’effacer ou se battre.
La démonstration de force de Zuma masque cependant mal des divisions profondes. Certains hauts responsables du parti doutent de sa capacité à les diriger jusqu’en 2019. Par ailleurs, le scrutin se déroulera à bulletin secret, et les surprises sont toujours possibles. Comme le rappelle Essop Pahad, ancien ministre à la présidence de Thabo Mbeki, « rien n’oblige les 4 500 délégués qui voteront à Mangaung de respecter le choix de leur branche d’origine ».
Enfin, les partisans de Zuma ont placé Motlanthe dos au mur en proposant un autre que lui pour le poste de vice-président de l’ANC : le contesté Cyril Ramaphosa, ancien leader syndical devenu un richissime membre du conseil d’administration de Lonmin, qui détient la mine de Marikana. Motlanthe n’a plus que deux choix : s’effacer, au risque de devoir quitter les instances dirigeantes du parti, ou se battre pour le présider.
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