Armées africaines : les sept péchés capitaux
Des états-majors jusqu’aux hommes de troupe, des forces spéciales en passant par les unités de soutien… Tour d’horizon de tout ce qui ne va pas.
1. Commandement incompétent
Les affaires de faux diplômes touchent aussi les forces armées. Récemment, les autorités maliennes ont radié plusieurs élèves de l’École militaire interarmes (Emia) et de l’École nationale des sous-officiers d’active (Esoa). Au Cameroun, 108 volontaires se sont inscrits à l’école de gendarmerie en 2006, pour être radiés trois ans plus tard. Il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg. Solitoki Esso, ministre togolais de la Fonction publique et des Réformes administratives, met en garde en novembre 2010 : « Les nouvelles technologies favorisent la reproduction parfaite mais frauduleuse des documents administratifs. » Des sites web proposent même tout un panel de diplômes pour des prix allant de 100 à 400 dollars (de 76 à 305 euros), avec paiement en ligne par carte bancaire !
Résultat, selon des conseillers militaires européens, certains officiers ne savent même pas lire une carte. C’est gênant. Les formateurs belges déployés en RDC ont été confrontés à cette situation. De quoi expliquer, entre autres, la déroute de Goma, prise sans difficulté par les hommes du M23 le 20 novembre dernier.
Les anciens rebelles sans formation ni instruction devenus officiers constituent un autre problème. Deux exemples emblématiques : la RD Congo encore (avant leur mutinerie en avril 2012, les combattants du M23 avaient été intégrés au sein de l’armée congolaise début 2009) et la Côte d’Ivoire où l’on retrouve des comzones dans la haute hiérarchie des Forces républicaines (FRCI). Difficile d’attendre de ces « officiers broussards » qu’ils mènent efficacement, et dans la discipline, leurs troupes. Pour ne rien arranger, la disparité des équipements radio nuit au bon fonctionnement de la chaîne de commandement et à la circulation de l’information. Pas simple dans ces conditions de fixer sur une carte les positions des uns et des autres pour définir une stratégie. La prise de Goma est encore un bel exemple de ces dysfonctionnements. Enfin, à une bureaucratie inefficace et coûteuse s’ajoute souvent un trop grand nombre d’officiers supérieurs, comme l’a montré la crise malienne : 50 généraux pour 20 000 hommes, toutes armées et unités paramilitaires confondues, ce qui représente un général pour 400 hommes ! Le Niger, lui, compte un général pour 600 hommes.
2. Renseignement négligé
La priorité donnée aux services de sécurité politique, enclins à dire aux dirigeants ce qu’ils veulent entendre, a pour corollaire l’indigence des services de renseignements stratégiques et militaires. Dès lors, les chefs d’État ne connaissent rien ou pas grand-chose de leurs adversaires militaires potentiels, guérillas et officiers putschistes compris. En Sierra Leone, le Front révolutionnaire uni (RUF) de Foday Sankoh, composé seulement d’une centaine de combattants au début des années 1990, a ainsi dévasté le pays et a fini par faire tomber le président Ahmad Tejan Kabbah en 1997. Au Mali, le chef de l’État, Amadou Toumani Touré, était-il vraiment au courant du danger représenté par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) puis de la menace que constituait la nouvelle rébellion touarègue du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) avant l’attaque de Menaka en janvier 2012 ? Il semble que non. ATT est tombé le 22 mars.
Autre souci : la non-sécurisation des télécommunications. Souvent, les radios ne sont pas cryptées et les procédures de confidentialité n’existent pas… Ainsi, selon des experts du renseignement, le pouvoir de Khartoum et ses milices savent beaucoup de choses sur les unités déployées au Darfour dans le cadre de la Mission de l’Union africaine au Soudan (Amis). L’inverse n’est pas vrai.
3. Logistique défaillante
Véhicules de transport en nombre insuffisant, manque de pièces de rechange, peu ou pas d’ateliers de réparation, voies de communication en mauvais état… Résultat : les lignes de ravitaillement et d’approvisionnement entre le front et l’arrière sont loin d’être optimales. La plupart des armées africaines souffrent de graves carences en matière de logistique. Ainsi, le rapport entre les effectifs des unités combattantes et ceux des unités de soutien est insuffisant. Au Ghana, il est de trois combattants pour un homme. Dans l’armée américaine en revanche, un combattant reçoit l’appui de cinq hommes ! Concrètement, un bataillon ghanéen de 600 soldats en première ligne ne sera soutenu que par 200 hommes, tandis qu’une unité américaine équivalente le sera par… 3 000 hommes ! Un soutien de qualité, ce sont des blessés correctement pris en charge, un ravitaillement constant et suffisant, du matériel endommagé rapidement réparé…
4. Équipement insuffisant
Outre l’obsolescence des matériels (occasions, pièces de rechange indisponibles car plus fabriquées, manque d’entretien…), des choix contestables dans les politiques d’armement s’ajoutent souvent. Intermédiaires véreux, acquisitions suspectes dans de vieux stocks de l’ex-bloc soviétique, achats de prestige de matériels surdimensionnés…, les décisions sont prises en toute opacité, sans concertation avec des spécialistes civils ou militaires. Plusieurs armées alignent ainsi des équipements qui ne répondent pas aux besoins réels. Ce n’est pas sans conséquence. « Personne n’a jamais cru que les pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pouvaient à eux seuls constituer la force africaine au Mali et en assurer sa logistique », explique un haut diplomate africain. En RD Congo, certains des 100 chars T-72 livrés par l’Ukraine (pour environ 84 millions de dollars) ont défilé sur le boulevard du 30-Juin lors de la fête de l’indépendance, mais ils ne sont d’aucune utilité dans le Nord-Kivu. Quant aux chasseurs bombardiers F7 chinois du Nigeria, des copies du Mig-21 russe, ils dessinent de belles courbes dans le ciel, mais leur efficacité est jugée limitée.
5. Corruption endémique
Les armées sont souvent perçues par ceux qui les dirigent comme une source d’enrichissement. Outre les généreuses commissions sur les achats d’armes, détourner les soldes versées aux hommes de troupe et surévaluer les effectifs est l’une des pratiques les plus en vogue. Les soldats fantômes constituent alors un véritable jackpot. Ils étaient au moins 18 000 dans l’armée ougandaise entre 1990 et 2002 ! Grâce à ce petit jeu, bon nombre de hauts officiers ont accumulé une solide épargne. Si aucun pays n’échappe à ce fléau, il n’y a pas de fatalité. En RD Congo, un nettoyage du fichier a été opéré dans le cadre de la réforme des forces de sécurité appuyée par l’Union européenne. Alors qu’on estimait le nombre de soldats à 340 000 en 2010, un peu plus de 100 000 cartes biométriques ont finalement été distribuées cette année. Sachant que la solde de base s’élève à 65 dollars par mois, il s’agit d’une substantielle source d’économies pour le Trésor public.
6. Gardes prétoriennes toutes puissantes
De nombreux pouvoirs en place n’hésitent pas à utiliser les forces armées pour briser brutalement toute forme de contestation, à l’image du massacre du stade de Conakry, le 28 septembre 2009, où les Bérets rouges de la Garde présidentielle ont violé les femmes et massacré au moins 150 personnes lors d’un rassemblement pacifique. Ces formations « d’élite » ne défendent plus un État, elles sont au service d’un dirigeant.
Souvent, le chef recrute ses hommes au sein de son ethnie : il s’assure ainsi de leur loyauté, mais aussi de leur cohésion jusque dans l’horreur la plus absolue, à l’instar du Rwanda en 1994 où la Garde présidentielle a été le « fer de lance » du génocide. Hormis quand il s’agit de réprimer des manifestations civiles ou de mener des coups d’État, ces prétoriens ne se montrent guère utiles : leurs capacités opérationnelles et leur niveau d’entraînement ne sont pas meilleurs que ceux des troupes « régulières », et peuvent même leur être inférieurs. En témoignent l’effondrement de la Division spéciale présidentielle de Mobutu en 1997, ou encore la défaite de la Garde présidentielle de Joseph Kabila le 20 novembre, incapable de tenir l’aéroport de Goma face au M23.
7. Moral à zéro
Matériels inopérants, soldes ridicules, commandement tout à la fois brutal et distant, casernes décrépies, camps militaires à l’abandon… Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le moral des soldats soit aléatoire. Et comme si cela ne suffisait pas, les maladies, en particulier la pandémie du sida, frappent durement. En Afrique du Sud, on estime que 17 à 24 % des soldats sont contaminés.
Les lacunes en matière d’entraînement affectent aussi l’état d’esprit des militaires. De nombreuses écoles existent pourtant, à commencer par les Écoles nationales à vocation régionale (ENVR). Seize ont été créées depuis 1997, en partenariat avec la France, dans dix pays du continent. Elles ont formé 14 000 élèves : École d’état-major de Koulikoro (Mali), École d’application de l’infanterie de Thiès (Sénégal), Centre de perfectionnement aux techniques postconflictuelles de déminage et de dépollution d’Ouidah (Bénin), etc. Un bilan positif, certes, mais qui reste modeste au regard des besoins – 14 000 stagiaires en quinze ans, c’est l’équivalent des forces régulières maliennes. Autre souci, le fonctionnement de ces écoles dépend pour l’essentiel de l’aide étrangère.
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