Mali : des maux et des notes
Mausolées détruits, musique interdite, manuscrits de Tombouctou menacés… Le danger islamiste n’a jamais tant pesé sur le Nord-Mali, obligeant certains artistes à s’exiler. Mais la scène musicale s’organise et entre en résistance.
Article publié le 07/12/2012.
Lorsqu’ils se sont emparés de Tombouctou, début avril, les islamistes d’Ansar Eddine n’ont pas caché leur objectif. « Nous ne sommes pas venus pour l’indépendance, affirmait leur chef, Iyad Ag Ghali. Nous sommes là pour l’application de la charia. » Quelques semaines plus tard, au nom du respect de la loi islamique, ses sbires se lançaient dans la destruction systématique des mausolées et mosquées centenaires de la « ville aux 333 saints ».
À une soixantaine de kilomètres plus au nord, dans l’oasis d’Essakane, un autre symbole du patrimoine culturel local a également subi le fanatisme des islamistes radicaux. Le site du Festival au désert, qui accueillait chaque année plusieurs milliers de spectateurs pour trois jours de concerts, a été saccagé sans retenue. Scènes, tentes, matériel, tout ou presque a été détruit par les « barbus » lors de leur descente vers Tombouctou.
Depuis qu’ils occupent le Nord-Mali, Ansar Eddine et leurs alliés d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (Mujao) imposent aux habitants du Nord les règles strictes de la charia. Pour les femmes et les filles, le voile est désormais obligatoire. L’alcool mais aussi la cigarette sont formellement interdits. Et gare à ceux qui sont accusés de sortir du droit chemin : une accusation de vol ou une relation hors mariage peuvent facilement valoir une amputation ou des coups de fouet sur la place publique.
Traumatisme
Autre cible de l’obscurantisme idéologique des nouveaux maîtres du Nord-Mali : la musique. La moindre note est dorénavant fermement proscrite dans toute la région. Au début, l’interdiction frappait seulement la musique occidentale, accusée d’être une perversion du « Grand Satan ». Puis ce fut au tour des musiciens locaux de la mettre en sourdine. « Ces gens-là [les islamistes, NDLR], ce ne sont pas des Maliens, s’insurge Oumou Sangaré, figure de la chanson malienne. La culture du Nord-Mali est extrêmement riche. On ne peut pas débarquer une journée et dire "stop, tout est fini". Ce n’est pas possible. » Malgré les protestations, la censure musicale est appliquée à la lettre. Aujourd’hui, les radios ne diffusent plus un seul morceau et aucun concert n’a eu lieu depuis de longs mois à Kidal, Gao ou Tombouctou. Seule la récitation de versets du Coran est autorisée.
Aucun concert n’a eu lieu depuis de longs mois à Kidal, Gao ou Tombouctou.
Au Mali plus qu’ailleurs, cette situation est un drame. La musique est ancrée depuis des siècles dans la culture populaire. Les grands artistes comme feu Ali Farka Touré, Salif Keita, Tinariwen, Toumani Diabaté ou encore Oumou Sangaré sont légion. Se produisant aux quatre coins du monde, ils ont, au fil des décennies, bâti une solide renommée internationale à la musique de leur pays. Certains ont même été récompensés aux prestigieux Grammy Awards, comme Ali Farka Touré en 1994 et en 2006, ou le groupe de blues touareg Tinariwen en 2012.
Aujourd’hui, la crise sans précédent que traverse leur pays est un traumatisme. Les artistes du Nord n’ont pas eu le choix : il leur a fallu tout quitter. C’est le cas de Fadimata Walett Oumar, chanteuse du célèbre groupe de femmes touarègues Tartit. Originaire de Tombouctou, elle a fui l’arrivée des groupes armés en janvier. Depuis, elle est exilée à Ouagadougou. Une moitié de son groupe est réfugiée en Mauritanie, l’autre est avec elle, au Burkina. Pas pratique pour répéter et continuer de faire des concerts. « C’est très difficile à gérer, confie Fadimata. On fait très peu de spectacles car on ne voyage plus facilement, notamment à cause des problèmes de visas. »
Mobilisation
Outre ces problèmes logistiques, les artistes doivent aussi faire face à des difficultés financières. La crise a eu un impact important sur les revenus de chacun, même pour les plus célèbres d’entre eux. Rokia Traoré avoue rencontrer des problèmes de trésorerie. « On fait nos répétitions en France plutôt qu’à Bamako, explique-t-elle. Chaque fois, cela fait dix personnes à héberger et à défrayer. Tout cela a un coût. »
Rokia Traoré et ses musiciens ne sont pas les seuls à délaisser provisoirement la capitale malienne. Depuis plusieurs mois, la scène bamakoise tourne au ralenti. Les expatriés et les habitants fortunés, qui faisaient en partie vivre le secteur culturel, ont quitté la ville après la crise institutionnelle du printemps dernier. Touchés par le marasme économique ambiant, ceux qui sont restés évitent les dépenses superflues. Résultat : la plupart des salles sont désespérément vides et les concerts se comptent sur les doigts d’une main.
Ma famille est dans le Nord. J’ai peur, mais je continue de chanter. Pour elle.
Fadimata Walett Oumar, Leader du groupe Tartit
À première vue, les artistes maliens semblent donc dans le creux de la vague. Pourtant, la plupart gardent espoir et refusent de baisser les bras. Beaucoup se mobilisent, à leur manière, pour le retour au calme. Lorsqu’on les interroge sur leur rôle dans ce contexte explosif, les mêmes mots reviennent, inlassablement. « Nous sommes la voix du peuple, son porte-parole, résume Oumou Sangaré. Nous sommes là pour exprimer le ras-le-bol des Maliens. Cette situation a trop duré ! » Tous affirment profiter de chaque concert, chaque tournée, chaque sortie médiatique pour alerter l’opinion publique.
Résistance
Les têtes d’affiche participent par exemple régulièrement à des spectacles de soutien aux populations du Nord : Salif Keita en juin à Bamako, Cheick Tidiane Seck en septembre à Paris, Oumou Sangaré début novembre dans les camps de réfugiés au Burkina… Quant aux artistes touaregs, la situation a pour eux une résonance particulière. « J’ai encore mon père et de la famille là-haut, souffle Fadimata Walett Oumar. J’ai peur de ce qui va leur arriver mais je continue de chanter, pour eux et pour tous mes frères du Nord. » Eyadou Ag Leche, bassiste du mythique groupe de blues Tinariwen, est un fervent défenseur de la cause touarègue. « Certains pointent les Touaregs du doigt, dénonce-t-il. Mais aujourd’hui, les vrais ennemis, ce sont les terroristes d’Aqmi et du Mujao. Ce sont eux qui font n’importe quoi ! Nous sommes face à une situation catastrophique qui touche tout le monde, Maliens comme Touaregs. »
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Benjamin Roger (@benja_roger)
Le festival de Tombouctou en exil
Pour sa 13e édition, le célèbre Festival au désert n’aura pas lieu sur son traditionnel site de l’oasis d’Essakane, à une soixantaine de kilomètres de Tombouctou. Contrôlée par les islamistes armés, la zone est trop dangereuse. Mais il se tiendra début février 2013, sous la forme inédite de deux « caravanes des artistes pour la paix et la réconciliation nationale ». Après être passées par des camps de réfugiés en Mauritanie et au Niger, elles se rejoindront le 20 février à Oursi, dans le nord du Burkina Faso, pour trois jours de concerts. « Tous les artistes contactés nous ont dit oui sans hésiter », se réjouit le fondateur, Mohamed Aly Ansar. Parmi les chanteurs et groupes qui participeront à ce festival itinérant figurent quelques grands noms de la musique malienne, comme Oumou Sangaré, Toumani Diabaté, Vieux Farka Touré, Tinariwen, ou encore Terakaft. B.R.
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