En piste avec Cirkafrika !
Jusqu’au 13 janvier 2013, le cirque Phénix présente un spectacle africain de la tête aux pieds pour célébrer le continent avec optimisme. Reportage dans les coulisses de Cirkafrika.
Il est 10 heures. Les froides brumes de novembre enlacent le chapiteau du cirque Phénix, installé pour quelques mois sur la pelouse de Reuilly (Paris). Sorties de nulle part, des silhouettes déformées par plusieurs couches de vêtements se dirigent vers une porte dérobée. Ce 15 novembre est un grand jour pour les 45 artistes venus de Tanzanie, d’Éthiopie, du Ghana, du Congo et d’Afrique du Sud afin de participer aux 74 représentations de Cirkafrika. En début de soirée a lieu la répétition générale. La tension monte…
Derrière un lourd rideau grenat, entourée de rangées de gradins vides, la scène se dévoile. Surélevée, vaste de 300 m2, surplombée par les feuilles métalliques d’un énorme baobab au tronc creusé, elle n’a rien de la traditionnelle « piste aux étoiles ». Quelques artistes l’arpentent. Ils s’échauffent sous le regard attentif de Magda, la directrice scénique. Il est encore tôt, les muscles doivent s’extraire du sommeil et chasser les rigueurs de l’automne. « Le froid, c’est difficile, confie Aidani Komba, un acrobate tanzanien de 27 ans, habitué des séjours en Europe. Je ne suis pas malade, mais quand le climat est différent de celui auquel vous êtes habitué, cela joue sur votre corps. Il faut porter des vêtements pour s’échauffer alors qu’on est habitué à rester torse nu. Cela prend du temps pour transpirer, mais si on ne le fait pas assez, cela peut être dangereux. » Patiemment, installé dans un coin de la scène, le maigre contorsionniste tanzanien Mohamedi Makuka assouplit ses articulations.
Photos Camille Millerand : www.camille-millerand.com
Alain Pacherie, le directeur du lieu, doit arriver sous peu afin de superviser les derniers préparatifs. C’est son directeur artistique, Pascal Jacob, qui explique : « Alain avait envie d’un spectacle africain depuis vingt-cinq ans. On a cherché un peu partout pour construire un programme avec des musiciens, des danseurs, des acrobates, mais tout est devenu possible quand nous avons rencontré Winston Ruddle, qui a créé une école de cirque à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Certes, il n’y a pas vraiment de tradition circassienne en Afrique, mais il existe dans ce domaine un véritable élan. » Et il ajoute : « L’idée était de monter un spectacle qui reflète l’Afrique d’aujourd’hui, avec des artistes jeunes, beaux, dotés d’un vrai savoir-faire. Bref, de montrer un continent qui s’éveille à une forme artistique longtemps considérée comme occidentale. »
Manqué ! Le diabolo jaune que l’Éthiopien Wubshet Sahale vient de rater rebondit sur scène avant d’atterrir dans les gradins. Installé en contrebas, son compatriote Abere Debebe le lui renvoie avec un sourire, avant de reprendre ses exercices. Sa spécialité à lui : jongler avec des balles blanches en les faisant rebondir sur une plaque de marbre noir (classique) ou… sur deux plaques de marbre noir disposées en V (moins classique…). Les muscles commencent à chauffer. Un micro à la main, Magda prend la direction des opérations en anglais. Si la plupart des numéros sont bien rodés, il reste à peaufiner la scène d’au-revoir au public.
Zip zap
10 h 45. Fine moustache à la Django Reinhardt, Alain Pacherie arrive sourire aux lèvres, mesurant d’un regard le travail qu’il reste à abattre avant « la générale ». C’est un habitué des grands spectacles populaires du genre. « Dans Cirkafrika, précise-t-il, on retrouve des numéros traditionnels – certains appartiennent même au répertoire chinois -, mais avec une énergie différente ! » « Bouleversé » par le cirque africain-américain UniverSoul Circus, Pacherie a multiplié les rencontres en Afrique pour sélectionner une quinzaine de numéros. Seul critère : « Être touché. » L’acrobate d’origine zimbabwéenne Winston Ruddle et le comédien sud-africain du Zip Zap Circus, José Batista do Rego, ont permis de réunir les talents. Coût du projet : 5 millions d’euros. Les artistes sont rémunérés selon la convention collective française du cirque. « C’est mon spectacle le plus cher, ne serait-ce qu’en matière de billets d’avion », signale Pacherie.
L’atmosphère se réchauffe. Disparaissant dans le tronc du baobab, les artistes rejoignent leurs loges. Au sol dans le couloir, un crocodile de caoutchouc noir semble dormir tandis que des oiseaux bariolés le surveillent d’un oeil. « Asante sana ! » : Magda remercie ses ouailles, des larmes dans les yeux. Anglais, swahili, amharique, les langues se mélangent tandis qu’une bonne odeur de nourriture se répand en coulisses. Il est midi, le cuisinier Yussuf Saïd est venu spécialement de Tanzanie pour permettre aux artistes de manger comme au pays (ou presque). Ce qui n’est pas vaine précaution au regard de ce que les uns et les autres font subir à leur corps…
Libre
En sueur, désormais torse nu, Aidani Komba revient sur son parcours : « Petit, je regardais les films de Bruce Lee et de Jackie Chan. J’aimais ce qu’ils faisaient et je m’entraînais à répéter leurs mouvements sur la plage, à Dar es-Salaam. Après, j’ai rejoint la Bagamoyo School of Art, puis l’école de cirque de Winston Ruddle pour réaliser mon rêve. » Depuis, son rêve l’entraîne du Liban au Qatar en passant par la France et l’Allemagne. « Je ne veux pas rester en Europe, dit-il. C’est bon d’être à la maison tout en restant libre de voyager. » Et ici, comme la plupart de ses collègues, il prend son travail très au sérieux. Pas de sorties tardives dans Paris, pas de soirées festives, il s’agit de « rester concentré ».
14 h 15. Le repas terminé, les lumières s’éteignent et le « filage » commence. Voix off : « Ce spectacle est dédié à la mémoire du clown Chocolat*, premier clown noir de l’Histoire. » Hurlements des fauves, fumigènes, lumières colorées éclaboussant le baobab, notes de la kora de Mamadi Diabaté, les numéros s’enchaînent à toute vitesse. Baraka Ferouz dompte des monocycles de toutes tailles, Evans Osah joue l’équilibriste avec des bassines, Charles Minah danse sur des échasses, les acrobates tanzaniens créent des pyramides improbables et José Batista do Rego et Arnold Kagisho rejouent une sorte de duo Footit-Chocolat. Quant à l’Éthiopienne Yetinayet Melese, elle attire les regards de tous les techniciens quand elle se met à onduler dans ses hula-hoops…
Bien sûr, il y a les inévitables clichés, notamment dans ces costumes moulants où les rayures du zèbre et les tâches du léopard reviennent un peu trop souvent. Mais Alain Pacherie s’en tire bien, notamment avec les animaux. « Il y en a, mais ce sont des faux ! Il faut bien que les petits s’y retrouvent. Je ne pouvais pas faire un spectacle africain sans au moins survoler cet aspect. » Ainsi le crocodile est en caoutchouc, la girafe réticulée devient girafe articulée, les femmes-oiseaux déploient leur plumage, et la grenouille, divinement habitée par le contorsionniste Mohamedi Makuka, est sans conteste l’un des clous du spectacle… Au bout de deux heures, quand les artistes regagnent leurs loges, le temps s’est figé en enfance. Enfin, pas pour le perfectionniste Alain Pacherie, qui annonce : « Il reste huit minutes à gagner sur la seconde partie ! »
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- À Casablanca, la Joutia de Derb Ghallef en voie de réhabilitation
- Mali, Burkina, RDC, Afrique du Sud… Haro sur le néocolonialisme minier !
- Gabon : 10 choses à savoir sur la première dame, Zita Oligui Nguema
- Sénégal : à quoi doit servir la nouvelle banque de la diaspora ?
- En RDC, la nouvelle vie à la ferme de Fortunat Biselele