Les Latinos, ces faiseurs de rois aux États-Unis
Ils ont largement contribué à la réélection de Barack Obama. S’il veut un jour reconquérir la présidence, le Parti républicain va devoir réviser de fond en comble sa politique à leur égard.
Ils sont quelque 50 millions, soit 17 % de la population, et sans doute 29 % en 2050. Et pourtant, depuis plusieurs années, le Parti républicain donne l’impression de n’en avoir cure. Tant pis pour lui. Alors qu’en 2004 les Latinos avaient accordé 44 % de leurs suffrages à George W. Bush, ils ont carrément viré leur cuti huit ans plus tard en votant à 71 % en faveur de Barack Obama. Un basculement fatal à Mitt Romney, en particulier dans des swing states comme le Nevada ou le Colorado. Au-delà même de cet échec, ce désamour soulève un problème de fond. Si le Grand Old Party veut avoir la moindre chance de reconquérir un jour la présidence, il lui faudra impérativement renouer avec cet électorat désormais faiseur de rois.
Or, durant la dernière campagne, la communauté hispanique a été maladroitement malmenée. Lors de la convention de Tampa, en août, sous la pression de son aile la plus conservatrice, le parti a opté pour une ligne dure sur le dossier ultrasensible de l’immigration. Il s’est opposé à toute forme d’amnistie pour les clandestins (entre 10 et 13 millions de personnes, dont les trois quarts d’origine hispanique). Il voulait aussi exiger des patrons qu’ils vérifient le statut légal de leurs employés, et interdire toute aide fédérale aux universités qui accordent des bourses aux sans-papiers. Un programme destiné à les écoeurer pour les inciter à repartir.
Malaise
« Il faut les pousser à s’autodéporter », avait préconisé Mitt Romney, suscitant un malaise chez les républicains d’origine hispanique, qu’ils soient simples électeurs, militants ou élus. Susana Martinez, la gouverneure du Nouveau-Mexique, a ainsi vertement critiqué ce concept nauséabond. Autre déçu, Brian Sandoval, le gouverneur du Nevada, qui n’a pas ménagé ses efforts pour aider son parti à conquérir le Sénat de l’État (il a collecté 800 000 dollars, dont 100 000 auprès des principaux casinos de Las Vegas) mais n’a soutenu Romney qu’à la dernière minute, et du bout des lèvres.
Marco Rubio s’est voulu plus constructif. « On ne peut pas se contenter d’être un parti anti-immigration. Nous devons devenir un parti pro-immigration légale », a lancé le sémillant sénateur de Floride, proche de la mouvance droitière du Tea Party, mais fier de ses origines cubaines et tout imbu de son statut d’étoile montante. « En adoptant des positions aussi tranchées, Romney s’est mis dans une cage dont il sera difficile de sortir », résume Jeb Bush, fils de George H. et frère de George W., qui juge cette orientation politique suicidaire : gouverneur de Floride (un État où le vote cubain est crucial) de 1999 à 2007, cet hispanophone a épousé il y a trente-huit ans une Mexicaine, Columba, avec qui il a eu trois enfants si typés que leur patricien de grand-père les surnomme « les petits basanés ».
Pendant que cette dérive droitière effarouchait les Hispaniques, Obama s’est adressé à eux dans un clip… en espagnol. Surtout, à quelques mois de l’élection, il a fait régulariser la situation de 1,5 million de dreamers – les jeunes sans papiers. Une mesure temporaire mais très habile qui a fait oublier que, pendant son premier mandat, le nombre des expulsions avait battu un record…
Las de cet immense gâchis, une poignée d’élus républicains tente de repartir à la reconquête d’électeurs qui ne sont finalement pas si éloignés de leurs valeurs. « Le Latino moyen est catholique, petit chef d’entreprise, et rêve d’accéder à la classe moyenne. Mais il faudra du temps pour le convaincre qu’il ne fait pas l’objet de discriminations », souligne le politologue Stuart Rothenberg. Pourtant, si les Hispaniques partagent le conservatisme social des républicains (ils sont majoritairement hostiles à l’avortement et au mariage gay), ils ne sont pas hostiles aux aides de l’État fédéral, qui permettent à nombre d’entre eux de sortir de la misère.
Pour regagner la confiance d’une communauté qui, selon Bill Schneider, chercheur au think-tank Third Way, se sent « insultée dans sa dignité par les petits Blancs de l’Amérique profonde », le parti devra avant tout miser sur ses élus. Marco Rubio, Susana Martinez, Brian Sandoval – déjà cités -, mais aussi Raúl Labrador (originaire de Porto Rico et représentant de l’Idaho) ou Ted Cruz (sénateur du Texas, d’origine cubaine) sortent du lot.
À 41 ans, Marco Rubio s’est déjà imposé sur la scène nationale. Brun, athlétique et affichant un sourire étincelant, il brille de tous ses feux dans les médias, où il promeut son autobiographie et évoque les dossiers les plus épineux du moment. Né à Miami dans une famille cubaine, ce fils de barman a été élu à la Chambre des représentants de l’État de Floride en 2000. Il siège aujourd’hui au Sénat des États-Unis. Sa réussite, il la doit à son aptitude à travailler sur des sujets complexes (immigration, découpage électoral, etc.) et à se faire remarquer de personnalités plus âgées et influentes, comme Jeb Bush ou Jim DeMint, sénateur de Caroline du Sud et parrain du Tea Party, qui l’ont pris sous leur aile.
Qu’importent ses revirements : catholique, il est devenu mormon, puis baptiste, et de nouveau catholique. Qu’importent ses petits arrangements avec l’Histoire : il a prétendu que sa famille avait fui le régime castriste, alors que son départ pour les États-Unis est antérieur à l’instauration de celui-ci. Fan de football américain et époux d’une ancienne pom-pom girl des Miami Dolphins avec qui il a quatre charmants bambins, Rubio plaît aux électrices (et aux électeurs). En bon républicain, il prône la diminution des dépenses fédérales, a fait adopter une réforme fiscale et se dit hostile au mariage gay.
Présidentiable
Des valeurs que partage Susana Martinez, première femme hispanique élue gouverneur – du Nouveau-Mexique, en l’occurrence -, qui passe elle aussi pour une future présidentiable. Née il y a cinquante-trois ans à El Paso (Texas), cette blonde aux joues rondes ne manque pas de poigne. Elle a de qui tenir : l’un de ses ancêtres mexicains était un général révolutionnaire, et son père, boxeur dans les marines durant la guerre de Corée, a gagné trois Golden Gloves avant de devenir shérif. Procureure de 1997 à 2011, Susana a jugé des cas très difficiles – viols et meurtres d’enfants – et obtenu que, dans son État, on procède sur toute personne arrêtée pour crime à des prélèvements ADN destinés à figurer dans un fichier central. Cette pugnacité lui a valu en 2008 le titre de « femme de l’année » attribué par Heart Magazine. Son brushing impeccable, lui, n’est plus l’oeuvre de son ancien coiffeur : le styliste a lâché bigoudis et sèche-cheveux pour dénoncer bruyamment l’opposition de la gouverneure au mariage homosexuel !
Tout aussi ambitieux que Rubio, Brian Sandoval, 49 ans, d’origine mexicaine, a été l’un des plus jeunes magistrats du pays. Gouverneur du Nevada, où il recueille 68 % d’opinions favorables, il a promis de réduire le déficit budgétaire sans augmenter les impôts, et a diminué de 5 % le salaire des fonctionnaires. Pendant les primaires du Parti républicain, il n’avait pas misé sur le bon cheval en préférant Rick Perry à Mitt Romney. Un handicap qu’il devrait surmonter sans encombre aujourd’hui que ce dernier est hors course.
Mais déjà de nouvelles pousses s’apprêtent à prendre la relève. Parmi elles, un certain George Prescott Bush, 36 ans. Vice-président de la commission des finances du Parti républicain au Texas, le fils de Jeb et Columba Bush « communique bien avec les gens et a un bon instinct politique », explique l’un de ses donateurs. Jugeant son avenir compromis par le souvenir de la présidence désastreuse de son frère, Jeb ne songerait plus qu’à mettre son fils sur orbite. Avec son physique de ténébreux latino et sa parfaite maîtrise de l’espagnol, le jeune loup pourrait bientôt créer la surprise.
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