France : Grand-Guignol à l’UMP
Impossible de départager Jean-François Copé et François Fillon pour la présidence de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), qui porte de moins en moins bien son nom. Entre les deux camps, tous les coups, bas de préférence, sont désormais permis. Récit d’une course vers l’abîme.
Mis à jour le 28/11 à 9h25.
Quand au temps des rois les duellistes se battaient jusqu’à la mort sur le pré, le code d’honneur concluait qu’ils s’étaient « percés d’outre en outre ». Ainsi du duel Copé-Fillon. L’un a gagné, l’autre a perdu, mais pourront-ils se relever de tant de coups mortels ? Alain Juppé, le fondateur de l’UMP, avait prévu que l’obsession présidentielle de 2017 « pourrirait » la bataille pour la présidence du parti, et redoutait que l’unité de la famille gaulliste n’y résiste pas. Les faits lui donnent aujourd’hui raison au-delà de ses craintes. François Fillon promet d’aller jusqu’au bout de sa démarche et s’y oblige par sa menace d’action judiciaire. Jean-François Copé ne se laissera pas aisément déloger de la position enfin conquise de haute lutte : il sait qu’en tenant le parti il détient toutes les clés de l’accession au pouvoir.
La journée du scrutin avait commencé comme s’était achevée la campagne : par des échanges d’escarmouches qui auguraient mal de la suite. Premier à voter, à 11 heures du matin dans sa mairie de Meaux, Copé n’avait pas manqué l’occasion d’une ultime vanne : « Les Français ont compris qu’avec moi ce ne sera pas la langue de bois. » À Paris, en fin d’après-midi, Fillon enrageait d’avoir dû faire la queue pendant plus de une heure pour mettre son bulletin dans l’urne : « J’avais demandé plus de bureaux, mais cela nous a été refusé. » Et d’ajouter qu’il faudrait « tirer tous les enseignements de ce scrutin ». Il ne croyait pas si bien dire.
La paille et la poutre, par Jean-Michel Aubriet
On connaît la parabole de la paille – qu’on adore déceler dans l’oeil de son voisin – et de la poutre, qu’on feint d’ignorer dans le sien. Prompts à dénoncer, à juste titre, les irrégularités auxquelles les élections au Kenya, en Côte d’Ivoire, en RDC ou ailleurs ont, dans un passé récent, donné lieu, les Français, et les Occidentaux en général, seraient bien inspirés de balayer devant leur porte.
Le spectacle proposé par les dirigeants de l’UMP est encore plus affligeant que celui offert par leurs rivaux socialistes à Reims en 2008. On se souvient que, après l’avoir emporté sur Ségolène Royal dans des conditions plus que discutables, Martine Aubry put engager la rénovation de son parti et préparer le triomphe élyséen de… François Hollande, ce qui n’était peut-être pas le but recherché.
Bien sûr, comparaison n’est pas raison : il ne s’agit là que de scrutins internes réservés aux adhérents ou aux sympathisants d’un parti, fût-il de gouvernement, pas de l’élection d’un chef d’État. Peu rompus à la pratique des primaires, importée depuis peu des États-Unis, le PS et l’UMP ne maîtrisent qu’imparfaitement la technique des opérations de vote, l’établissement des fichiers électoraux notamment. Comment concevoir que la Commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales (Cocoe) puisse avoir oublié de comptabiliser les résultats de deux territoires et un département d’outre-mer – comme par hasard ! -, connus de tous dès le 16 novembre ? Comment croire que le président de cette instance puisse prêter le flanc à l’accusation des fillonistes d’avoir organisé les « magouilles » pour le compte de Copé ? Dans quelle République bananière est-on ? Faudra-t-il bientôt, comme le suggère plaisamment un confrère, envoyer des observateurs africains superviser les primaires des partis français ?
Il est vrai que la France n’a pas d’exclusivité en la matière. Beaucoup plus lourde de conséquences, l’élection de George W. Bush en novembre 2000 fut le résultat d’un authentique braquage électoral en Floride. Le pauvre Al Gore put ainsi se consacrer à plein temps au sauvetage de la planète. Et les Irakiens se préparer à enterrer leurs morts.
Chicayas
Au siège de l’UMP, rue de Vaugirard, où l’imprononçable Cocoe (traduisez : Commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales) recueillait les premiers résultats, Michèle Tabarot, numéro deux de l’équipe Copé, alertait déjà les journalistes contre les soupçons de fraude : listes coupées en trois, procurations fausses ou vierges et autres tripatouillages, surtout dans les circonscriptions les plus convoitées ou les plus sujettes à bascule. Riposte outragée d’Éric Ciotti, le directeur de campagne de Fillon : « Que ceux qui craignent les résultats n’essaient pas de les discréditer à l’avance. » Le ton de cette longue nuit d’empoigne était donné. Pourtant blasés par les chicayas politiciennes, les éditorialistes des médias avouaient, stupéfaits, n’avoir « jamais vu ça ».
Dès 20 heures, le député Patrick Ollier annonce qu’on s’avance « sereinement » vers une victoire de Fillon. Sereinement ? Il ignore qu’au siège de l’UMP Copé s’apprête à frapper le grand coup de la soirée en annonçant froidement que la majorité des militants, « déjouant les pronostics », l’avait élu à la tête du parti avec plus de mille voix d’avance. L’effet de surprise est d’autant plus fort qu’on s’attendait à une intervention imminente de l’ancien Premier ministre. Pris de vitesse, les fillonistes s’indignent de cette autoproclamation en forme de putsch, typique des méthodes à la hussarde du clan Copé. Et probablement manigancée de longue date, à en juger par la forme très soignée du discours qui l’accompagnait et par l’offre de travailler « main dans la main » avec les vaincus qui la concluait.
Les fillonistes ont, eux aussi, compté et recompté les bulletins transmis par les fédérations départementales. Et ils arrivent à un avantage de 224 voix en faveur de leur champion. Qui se hâte d’arriver pour confirmer sa « courte victoire » et prévenir qu’il ne la laissera pas « voler » aux militants. Voler, le mot est dur, moins cependant que ceux qu’il prononcera à 3 heures du matin, lorsqu’il réapparaîtra, la mine sombre et les traits creusés par la colère, pour une déclaration solennelle. L’ancien Premier ministre déplore en effet « la fracture manifeste qui traverse [l’UMP] ». Et enfonce le clou : « Cette fracture est à la fois politique et morale. »
"Grotesque"
On apprend alors qu’avant d’aller se coucher Copé avait laissé un message sur son répondeur pour lui offrir la vice-présidence de l’UMP – « c’est bien la moindre des choses ». La moindre, en effet, et c’est pourquoi le répondeur… ne répondra pas à cette proposition, aussitôt qualifiée de « grotesque » par Éric Ciotti. Fin de la tragicomédie. S’ensuivra une série de scènes qu’on ne peut qu’énumérer dans l’ordre – si l’on peut dire, car chacune va ajouter au désordre des précédentes.
Lundi 19 novembre. Alain Juppé demande aux deux adversaires de se rencontrer afin de constituer une instance de crise chargée de faciliter la réconciliation. Il obtient une première satisfaction avec l’assurance qu’ils accepteront la décision finale de la commission interne. Fillon y aurait-il consenti s’il avait su que l’écart, même aussi faible (98 voix), serait en sa défaveur ? Il envisageait si peu sa défaite qu’il avait confié à des amis qu’elle pourrait l’inciter à « tourner la page de la politique ». Le député Jacques Myard refusait d’y croire, car « ce serait un suicide ». De fait, la nuit portant conseil, Fillon rassure son équipe à l’issue d’un pot à son QG de campagne : « Je ne lâche pas. » Il estime toujours avoir gagné, mais renonce à contester le résultat pour ne pas nuire à l’unité du mouvement et préparer dans de bonnes conditions les combats futurs : nouvelle élection en 2015 pour la présidence de l’UMP ; grande primaire l’année suivante pour désigner le candidat à la présidentielle de 2017… « Il n’a jamais été aussi combatif et déterminé », souffle Ciotti.
Mardi 20 novembre. Dans son style très personnel, Copé se pose en « mec collectif » et met en garde son groupe de l’Assemblée contre les risques de débauchage de l’Union des démocrates et indépendants de Jean-Louis Borloo, qui revendique déjà plus de mille adhésions en une nuit. Juppé lui apporte son soutien, car, « à bien l’écouter, il partage nos valeurs ». C’est aussi l’avis d’Henri Guaino, l’ancien conseiller de Sarkozy, même s’il regrette que l’UMP ne se soit toujours pas donné « un chef charismatique capable d’entraîner tout le monde ».
On avait "simplement" oublié de compter les suffrages de Nouvelle-Calédonie, de Wallis-et-Futuna et de Mayotte.
Mercredi 21 novembre. Devant le bureau de l’UMP, Copé affirme que, contrairement aux caricatures de son programme, il n’a jamais voulu « incarner une ligne à droite contre une ligne au centre », l’une et l’autre étant, à l’en croire, « complémentaires ». Au début de l’après-midi, nouveau coup de théâtre. L’état-major de Fillon annonce qu’on s’est bel et bien trompé dans l’addition des votes. Le résultat proclamé, et finalement accepté par les deux camps, est faux. On avait « simplement » oublié de compter les suffrages de Nouvelle-Calédonie, de Wallis-et-Futuna et de Mayotte. Résultat du nouveau décompte : 88 004 voix pour Fillon, 87 978 pour Copé. Le président de la Cocoe reconnaît son erreur « manifeste et grave » lorsque l’ancien Premier ministre lui téléphone le lendemain, en fin de matinée.
À partir de cet instant, une sorte de vertige incontrôlable semble entraîner les protagonistes et les événements vers le pire. Une course folle que nul ne parvient plus à freiner. « À l’UMP, explique sévèrement l’ancien ministre Benoist Apparu, plus personne ne fait confiance à personne. » Il aura suffi de quelques heures pour passer d’un laborieux compromis aux pires divisions de la campagne, puis de la division à l’implosion, enfin de la rupture politique à la rupture « morale », pour reprendre le mot de Fillon.
Coup double
C’est encore sur le plan moral que se place l’ancien chef du gouvernement quand il demande que la direction de l’UMP soit retirée à son rival et confiée, à titre intérimaire, à Juppé. Pour prouver qu’il n’agit pas par intérêt personnel, il déclare renoncer à la présidence du parti. Il fait ainsi coup double : en refusant sa nouvelle légitimité de 26 voix, il répudie celle de son adversaire. Copé reste au contraire sur le plan politique et s’accroche aux statuts, qui prévoient la mise en place d’une Commission nationale des recours. Fillon s’y oppose puisque, statutairement, c’est Copé qui serait chargé de la présider, et menace de saisir la justice civile. Comment prévoir la suite d’une initiative sans exemple dans l’histoire du régime ?
C’est alors que Juppé (en photo ci-contre, © Sipa) entreprend la médiation de la dernière chance en proposant la création, sous sa présidence, d’une instance collégiale et indépendante formée de représentants des deux camps et de personnalités n’ayant pas pris parti pour l’un ou pour l’autre. Fillon s’empresse d’accepter, c’est son intérêt. Copé tergiverse, puis accepte à son tour. Est-ce la fin du feuilleton ?
Dernières nouvelles du front
Depuis la publication de cet article dans J.A. n° 2707 (le 25 novembre), Juppé a jeté l’éponge, ses conditions préalables ayant été rejetées par le clan Copé, et il a passé le témoin à… Nicolas Sarkozy. L’ancien chef de l’État a conseillé aux deux protagonistes d’organiser un nouveau scrutin, ce que Copé a refusé. Dernière idée pour sortir du marasme : un référendum des sympathisants de l’UMP sur l’éventualité de revoter… « Les conditions n’en sont pas réunies », a finalement estimé le député-maire de Meaux. Il faut dire qu’entre temps, mardi 26 novembre, Fillon a constitué un groupe parlementaire indépendant à l’Assemblée nationale, nommé Rassemblement-UMP.
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