Burkina Faso : l’heure du grand ménage au CDP
Officiellement, tout va bien. Le Congrès pour la démocratie et le progrès a choisi ses candidats pour les législatives et les municipales du 2 décembre. Pourtant, jamais sans doute le parti au pouvoir n’a été si divisé.
À quoi pourrait bien ressembler une « nuit des longs couteaux » au Burkina Faso ? Peut-être à ce qui se trame depuis neuf mois au sein du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti au pouvoir. Pas de sang, pas d’invectives (du moins pas en public), pas même de scission. Nous sommes à Ouagadougou : ici, le silence est d’or et la soumission au chef reste la règle. Mais tout de même, on assiste en coulisses à de féroces luttes d’influence, à quelques coups bas et à ce qui s’apparente à des mises à mort politiques.
Jamais peut-être le mouvement de Blaise Compaoré n’est parti aussi divisé à des élections. Certes, officiellement, tout va bien. Ses dirigeants affichent un large sourire : le CDP est une formidable machine à gagner. Il avait, dans l’ancienne Assemblée nationale, 82 députés sur 111 ; il bénéficie du soutien financier des principaux opérateurs économiques ; il peut compter sur une administration et des médias publics fortement politisés ; et il reste le grand favori du scrutin du 2 décembre, la première élection couplée (législatives et municipales) de l’histoire du pays. Mais c’est un sourire forcé. De ceux où l’on montre les dents pour tenter de masquer ses doutes. Au siège, avenue Kwame-Nkrumah, on reconnaît ne pas tout maîtriser. « Depuis quelque temps, c’est le flou, admet un membre du bureau exécutif. Mais, après tout, c’est normal. Nous le savions quand nous avons décidé de renouveler les instances dirigeantes. »
La plupart des barons historiques du CDP ont été écartés sans grand ménagement du bureau exécutif national.
Place aux jeunes
C’était il y a neuf mois. Le 4 mars, précisément. Ce jour-là, en clôture du cinquième congrès du parti, on assiste – selon les points de vue – à « une mue », à « une révolution de velours », à « une OPA hostile » ou tout simplement à « un putsch ». La plupart des barons historiques du CDP sont écartés sans grand ménagement du bureau exécutif national. Place aux jeunes, et si possible à ceux qui sont proches de François Compaoré, le frère du président, son conseiller économique depuis plus de vingt ans. Plutôt discret jusqu’à présent, il profite de cette révolution de palais pour faire son entrée dans le bureau exécutif.
Les mois suivants, le nouveau patron du parti, Assimi Kouanda (qui est aussi le directeur de cabinet de Blaise Compaoré), distille au fil des réunions les nouveaux mots d’ordre : place aux jeunes, aux femmes, à la société civile, et priorité au dialogue. Le chef de l’État souhaite renouveler les cadres du parti et élargir sa base. Pendant ce temps, les barons écartés s’enferment dans le silence. Pour autant, ils n’ont pas dit leur dernier mot. Les élections approchent, et le parti, guidé par un souci de transparence, a décidé d’organiser ce qui s’apparente à des primaires dans chaque province. On verra qui a le soutien de la base…
Machine de guerre
Nous sommes cette fois le 23 septembre. Les partis ont jusqu’à minuit pour déposer leurs listes au siège de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Le CDP est une machine de guerre, mais ce jour-là ses représentants frisent l’amateurisme en se présentant devant la commission vingt minutes à peine avant le gong final. Il s’agissait en fait d’une stratégie machiavélique, explique un cadre du parti en disgrâce. « En révélant les noms des candidats au dernier moment, les dirigeants ont voulu empêcher les recalés, dont certains ont une véritable assise populaire, d’aller voir ailleurs et de s’inscrire sur la liste d’un autre parti. Ils savaient qu’il y aurait des déçus. »
Et pour cause : près de 80 % des candidats sont des nouveaux venus. Dans le lot, « il y a des gens très compétents », estime le politologue Augustin Loada : des directeurs généraux, beaucoup de ministres, beaucoup de proches de François Compaoré aussi. Mais des doutes subsistent sur leur assise populaire. Au contraire, plusieurs barons, qui sont aussi des porteurs de voix, n’en sont pas. Simon Compaoré, le maire emblématique de la capitale, un des anciens du CDP : absent. Roch Marc Christian Kaboré, patron du parti jusqu’en mars et président de l’Assemblée nationale depuis dix ans : absent. Salif Diallo, l’ancien homme de confiance de Blaise Compaoré, revenu il y a peu d’un purgatoire de trois ans à Vienne, où il a officié en tant qu’ambassadeur, et à qui l’on a prêté un temps de grandes ambitions : absent. Et il y a en a d’autres, moins connus. Ils avaient recueilli les suffrages de la base lors des primaires, ils pensaient avoir gagné leur place. Mais ils ont été écartés par l’instance décisionnelle, un comité restreint au fonctionnement opaque. Ou ils se trouvent en fin de liste, là où rien n’est gagné. En coulisses, la colère gronde.
En mars, François Compaoré et ses proches ont intégré les instances dirigeantes du parti.
C’est le cas de Saran Sérémé, dans le Sourou. Après deux mandats, cette figure emblématique du parti qui avait été portée à la vice-présidence du Parlement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) en août 2011 pensait rempiler pour une troisième législature. Lors des primaires, elle affirme être arrivée en tête. Mais le 23 septembre elle est recalée à la deuxième place sur la liste. Auparavant, des militants du CDP opposés à sa candidature avaient incendié sa villa. « Elle est victime de la nouvelle direction, juge un proche. Elle n’a jamais renié son amitié avec les historiques, elle l’a payé cher. » Aujourd’hui, elle a quitté le CDP.
« Que l’on cautionne cela à l’intérieur du parti, je ne pouvais pas l’imaginer », se désole-t-elle. À ses amis, elle parle d’un « retour en arrière » en pensant très fort à la douloureuse période de la « rectification » (1987 à 1991), au cours de laquelle elle avait connu la prison.
Preuve de la tension qui règne au sein du parti, d’autres localités ont été le théâtre de violences entre différentes factions. Le CDP est même devenu l’objet de risée dans la province du Gourcy, où deux listes se réclamant du parti au pouvoir ont été déposées. L’une, menée par le beau-frère de François Compaoré, était jugée proche de l’actuelle direction ; l’autre était fidèle à Salif Diallo.
Sorcières
Est-ce tenable ? « Les gens se taisent pour l’instant. Ils attendent de voir, explique un cadre. Si le CDP l’emporte facilement, ils rentreront dans le rang ou partiront. Sinon, ils prendront leur revanche. » « Il y a une fracture assez franche », confirme Augustin Loada, selon qui « les anciens n’ont pas dit leur dernier mot ». En privé, certains dénoncent « une chasse aux sorcières » qui a pour objectif d’« imposer un camp à la tête du parti » et de faire primer « les intérêts individuels » en vue de la présidentielle de 2015. Dans leur viseur : François Compaoré.
Après des années passées dans l’ombre, le frère cadet du président a décidé de sortir du bois. Certes, ce n’est pas la première fois qu’il se présente aux urnes. En 1992 (il s’agissait alors des premières élections législatives de la IVe République), il était un obscur candidat suppléant. Mais à l’époque il ne représentait pas grand-chose. Vingt ans plus tard, candidat dans la province du Kadiogo, il est au centre de toutes les attentions. Dans l’opposition et jusqu’au sein de son propre parti, on lui prête l’ambition de succéder à son frère, auquel la Constitution interdit de briguer un nouveau mandat dans trois ans. Lui s’en défend.
Dans une interview accordée au mensuel Notre Afrik ce mois-ci, il reconnaît que les changements au CDP peuvent « créer des frustrations » et « des résistances », mais il assure qu’ainsi « le parti ne fait que se renforcer ». Verdict le 2 décembre.
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