Yemi Alade, une diva à l’Olympia
Cinq ans après son dernier passage en France, la reine de l’afropop a enflammé la plus mythique des salles de concert parisiennes. Une reconnaissance pour sa carrière et la scène nigériane actuelle.
La star nigériane débarque sur le vieux plancher de la salle de spectacle parisienne, majestueuse dans une combinaison en wax constellée de plusieurs rangées de perles, une coiffe de plumes de paon fièrement dressée sur la tête. Dans la salle éclairée à la lueur des smartphones, Yemi Alade lève les bras solennellement, d’un mouvement lent, pour accueillir ses danseurs sur les premières frappes de batterie de « My power », hymne célébrant l’empouvoirement du continent africain signé Beyoncé, auquel Yemi Alade a contribué sur la bande son de The Lion King, the Gift, en 2019.
Une ouverture conquérante qui annonce d’emblée la couleur du show que la « Mama Africa » s’apprête à livrer au public, majoritairement diasporique, venu plutôt en nombre en ce dimanche soir de novembre.
« La France a été le premier pays étranger à accueillir ma musique. J’ai fait mon premier concert à Paris au Palace, et mon dernier il y a cinq ans au Trianon, rappelle-t-elle quelques jours plus tôt sur le toit-terrasse d’un hôtel de la périphérie parisienne, tapant la pose avec son espièglerie légendaire face au Sacré-Cœur. Jouer à l’Olympia alors que l’une de mes idoles Angélique Kidjo y a fait la première partie d’une autre légende, Miriam Makeba, en 1989, c’est un honneur », s’émeut la chanteuse et compositrice de 33 ans, déjà plus de dix ans de carrière à son actif. Alors que quelques jours avant elle, une autre star nigériane, Rema, s’y produisait aussi à 22 ans seulement. « Tout cela prouve que nous avons du talent et que le monde est tombé amoureux de l’afrobeats », assure-t-elle.
Imaginaire wakanda
Pourtant, la couverture publicitaire et médiatique autour de ce concert n’aura pas été à la hauteur du phénomène aux 6 millions de vues sur YouTube qu’est l’« African baddie » (la dure à cuire africaine), du nom de son nouvel EP sorti début novembre. « Une question d’image sans doute, nous glisse une communicante. En France, les artistes africains doivent correspondre à la world music ou à la scène urbaine, Yemi Alade échappe à ces deux catégories ».
Un coffre puissant et une voix ample, jonglant des basses aux aigus, l’artiste a pourtant de quoi rivaliser avec les plus grandes divas africaines. Mais c’est surtout un show à l’américaine, de plus de deux heures, que la marathonienne livre ce soir-là sans jamais vraiment reprendre son souffle.
Sur l’écran géant, des séquences animées tendance Disney et des images de Massaï défilent derrière la chanteuse, pourtant de culture yoruba et igbo. Yemi Alade tape franchement dans l’iconographie tribale et la « wakandafication » véhiculée par son inspiratrice Beyoncé dans son film Black is King. C’est finalement lorsqu’elle s’affranchit de l’esthétique plébiscitée par la queen africaine-américaine que Yemi Alade peut porter fièrement sa couronne de reine de l’afropop.
Changement de décor, de costume et de registre pour la Nigériane, qui déboule cette fois-ci sur scène en total look léopard, moulée dans un cycliste et emmitouflée dans une doudoune à capuche. Elle quitte le high life pour le dancehall, les pas de danse sage pour une chorégraphie de twerk lascive. Et assume, loin du folklore, sa « badass » attitude, lunettes de soleil noires au bout du nez. On est désormais loin de la jeune femme mutine qui a fait danser des millions de personnes sur « Johnny », son hit sorti en 2014.
« J’ai changé, et c’est normal. Je défends aussi une image plus mondialisée », reconnaît la pop star, qui a également su se montrer plus engagée. Comme lorsqu’elle s’est attaquée au répertoire du roi de l’afrobeat en reprenant « Lady ». Et ce n’est pas un hasard si Yemi Alade a choisi ce titre louant l’égalité entre les genres et l’émancipation de la femme africaine.
Hommage à Fela
Sur scène, elle s’approprie le morceau en murmurant à l’oreille du public avec suavité et malice, entourée de son armada de bateleurs, tous poings levés en hommage aux Black Panthers. « De son vivant, personne n’a vraiment célébré Fela, il était bien trop controversé », estime la nigériane qui a profité de son escale parisienne pour découvrir l’exposition qui lui est consacrée à la Philharmonie. « Les gens préfèrent quand les artistes se conforment. Fela était un rebelle. Je suis une rebelle aussi, pas comme lui certes, mais parce que je ne me contente pas d’être la femme africaine que l’on attend que je sois, mignonne et douce. Je suis forte », revendique celle pour qui l’émancipation passe aussi par le capitalisme, comme lorsqu’elle clame sur le titre « Baddie » qu’elle peut couvrir son bien-aimé de cadeaux sans compter les dollars.
« L’argent, c’est le pouvoir, assure-t-elle. Mais le plus grand pouvoir est de savoir qui l’on est », lance celle qui vit loin des siens depuis des années, enchaînant les concerts et les escales tous les trois jours, pouvant toutefois compter sur une équipe solide pour ne « pas se perdre ».
Et si, malgré une reconnaissance de niche, le grand public français ne sait toujours pas qui elle est, peu lui importe. « Je suis la mama africaine, ne l’oublions pas, sourit-elle. Et c’est en Afrique que j’irai jouer après le Canada pour défendre ce nouvel EP », en attendant la sortie de son sixième album courant 2023.
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