Rwanda : la vache et la lance
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 27 novembre 2012 Lecture : 3 minutes.
C’est du Kagamé pur jus, du Kagamé dans le texte, tout de colère glaciale. Vendredi 23 novembre, alors qu’il venait d’apprendre que le dernier rapport des « experts » de l’ONU mettait directement en cause la hiérarchie militaire rwandaise dans le soutien aux rebelles congolais du M23, l’Iron Man de Kigali a puisé ses références dans ce que son peuple considère comme le bien le plus précieux : la vache. « Nous ne sommes pas un troupeau de vaches que l’on conduit à l’aveuglette. Nous sommes les maîtres des vaches. Nous sommes un petit pays, mais nous ne sommes pas un petit peuple. Nous sommes pauvres, mais nous sommes riches de notre intelligence. Personne ne nous empêchera d’exercer nos responsabilités, sans peur, sans reproches. » La rhétorique est implacable, tout comme est inexorable la volonté du Rwanda de faire des deux Kivus une zone de souveraineté de facto partagée, à la fois glacis sécuritaire face aux désirs revanchards des ex-génocidaires, espace économique offert au dynamisme des entrepreneurs rwandais et terre d’élection pour les Tutsis congolais, ces frères de la diaspora que le pouvoir en place à Kigali ne saurait abandonner à leur sort au risque de se tirer une balle dans l’âme.
Rarement le fossé culturel entre ces deux voisins, le géant aux pieds d’argile et le nain aux bottes de Goliath, aura paru aussi profond. Car côté congolais, où la chute de Goma le 20 novembre a produit les mêmes effets que celle de Tombouctou pour les Maliens, l’heure n’est pas à l’union sacrée mais à la résignation sur fond d’autodénigrement. On chercherait en vain les prémices d’un sursaut patriotique, alors que la résignation, le défaitisme parfois, mais aussi la colère sont omniprésents. Une colère que les Congolais dirigent avant tout non pas contre « l’ennemi », mais contre les Casques bleus de l’ONU et surtout contre leurs propres dirigeants. Difficile de ne pas éprouver une forme de compassion pour Joseph Kabila, ballotté entre Charybde et Scylla. Négocier avec les mutins et se trouver aussitôt accusé de traîtrise et de bradage par une opposition féroce, qui trouverait là l’occasion de ressortir ses arguments les plus douteux sur la rwandophilie subliminale du président. Ou poursuivre la guerre avec une armée corrompue jusqu’à son état-major, au risque de tout perdre, voire de pratiquer la fuite en avant en appelant l’Angola à la rescousse. Ce n’est pas un choix, c’est l’alternative du diable.
Une fois de plus, alors que la RDC donnait ces derniers temps quelques signes de renaissance et de mise en ordre, reviennent à la une des médias les images de chaos d’un pays maudit des dieux. On aurait tort de croire, comme le pensent les Belges et les Français, que les clés d’une solution à la tragédie des Kivus se trouvent toutes à Kigali. Même s’il a sur le M23 une influence certaine et s’il peut trouver un avantage à une forme d’autonomie de l’est du Congo, le Rwanda n’en a aucun à la poursuite d’un conflit qui lui est nuisible en termes de réputation et d’investissements. Encore moins à la chute de Kabila et à l’arrivée au pouvoir à Kinshasa d’un régime xénophobe et belliciste. Quant aux rebelles, ils ont leur logique et leurs exigences propres, dont le niveau varie avec la fortune des armes, au point d’entrer en contradiction avec les intérêts de leurs tuteurs : on l’a vu, en 2008, avec Laurent Nkunda, on le reverra sans doute demain avec Sultani Makenga. Reste qu’il s’agit là de Congolais, issus de ce melting-pot ethnique qu’est la RD Congo. Tant que les autorités de Kinshasa ne reconnaîtront pas cette réalité avec tout ce qu’elle implique, la tragédie des Grands Lacs n’aura pas de fin.
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