Mariama et Y’akoto, soul sisters
Elles sont jeunes, elles sont séduisantes et elles ont une voix inimitable. Les dernières représentantes de la vague afro venue d’Allemagne offrent un mix tantôt pop, tantôt jazzy.
Cheveux courts, peau caramel, rouge à lèvres carmin et tenue savoureusement vintage, Mariama semble surgir d’une autre époque. Celle des années folles, marquée à jamais par l’une de ses idoles, Joséphine Baker. Elle qui a la voix d’une jeune fille, encore un peu timide, reprend d’ailleurs « J’ai deux amours », un standard de la star américaine, dans son premier album, The Easy Way Out. « Depuis toujours, c’est ma chanson française préférée », déclare-t-elle. « Ce qui m’ensorcelle, c’est Paris, c’est Paris tout entier », dit la célèbre chanson. Une façon pour Mariama de déclarer elle aussi sa passion pour cette capitale, où elle habite depuis quelques mois en fashion addict sophistiquée.
Y’akoto, elle, a une voix beaucoup plus posée, rieuse. Il est vrai que sa grande taille, rallongée par les deux énormes chignons qu’elle arbore comme coiffure, notamment sur la pochette de son premier album, Babyblues, laisse présager un fort caractère. « Je mesure 1,78 m, mais je veux être plus grande ! Mes cheveux peuvent servir à ça, donc je n’hésite pas », dit-elle dans un grand éclat de rire. Son époque dorée à elle : les seventies. « J’aime le caractère excessif de ces années », glisse celle qui aurait adoré rencontrer Janis Joplin, Jimi Hendrix ou James Brown. Depuis son studio de Hambourg, elle raconte passionnément, avec un brin de nostalgie, une période qu’elle est pourtant loin d’avoir vécue.
Métissage
À 25 ans et 23 ans, ces deux artistes sont les dernières représentantes de la nouvelle vague de chanteurs afro-germaniques qui envahit depuis quelque temps les ondes internationales, en particulier françaises. Ayo, Patrice ou encore Nneka, ils sont aujourd’hui nombreux à être issus de ce métissage entre l’Afrique et l’Allemagne. S’ils ne se connaissent pas forcément les uns les autres, ils sont pourtant tous originaires – et exclusivement – de Cologne ou de Hambourg. Les deux jeunes femmes sont d’ailleurs les premières à s’en étonner. « Je ne sais pas si les autres seront d’accord avec moi, mais je dirais qu’en Allemagne, contrairement à la situation en France ou aux États-Unis, nous, les métis, ne sommes pas très nombreux, remarque Y’akoto. On devient donc très vite attentifs à ce qui nous entoure, à nos sentiments. Cela nous pousse à être créatifs. » « En France, constate pour sa part Mariama, on est plus habitué au métissage et aux apports culturels extérieurs. Ici, on s’étonne que je parle bien allemand alors que c’est ma langue maternelle ! »
Leur voix est leur plus grand atout. Très pop, à la limite du folk d’une Tracy Chapman pour Mariama ; plus jazzy et soul pour Y’akoto.
Née à Freetown en 1986, Mariama a quitté le pays alors qu’elle était âgée de moins de 1 an et n’y a plus jamais mis les pieds. Sa mère allemande et son père sierra-léonais se sont rencontrés lors des études de ce dernier à Cologne. N’ayant pu s’y marier pour des raisons administratives, ils s’installent en Sierra Leone, mais n’y resteront que très peu de temps. « Je crois savoir que la vie y était très dure. Pour ma mère surtout, qui cherchait du travail et était quand même habituée aux standards européens. » C’est donc en Allemagne que Mariama a grandi, dans un savant mélange de cultures européennes – elle a aussi des origines françaises, tchèques, et norvégiennes – et africaines. « Mon père a toujours été là. Il était très strict sur le plan des valeurs et concernant le respect des aînés. Mais je regrette, par exemple qu’il ne m’ait pas transmis sa langue, le peul », confie-t-elle. Un père qui a assez mal vécu sa passion pour la musique. Lui, l’intellectuel qui a suivi des études d’économies, la voyait plutôt avocate, bardée de diplômes. Certes, sa mère écoutait Miriam Makeba, Cat Stevens ou Jacques Brel, mais c’est presque toute seule que la jeune fille a fait son éducation musicale. Étudiante, elle chante dans différents groupes. Même si sa famille ne l’encourage guère dans cette voie, elle arpente la scène allemande et commence à se faire un nom.
Highlife
La scène, Y’akoto l’a connue dès l’enfance. De son vrai nom Jennifer Yaa Akoto Kieck, elle est née à Hambourg d’un père ghanéen et d’une mère allemande. « Mes parents, des gens très fiers, m’ont éduquée dans les deux cultures et ça n’a jamais posé de problème à la maison. » Très vite, ils s’installent au Ghana où elle grandit et est scolarisée. « C’est en Afrique que j’ai été introduite au monde, c’est pour cela que j’y retourne souvent, pour garder ce lien vivant », explique-t-elle, avant d’ajouter : « Aujourd’hui, je ne sais pas vraiment où je vis, en fin de compte. Je suis souvent en Afrique de l’Ouest, notamment au Ghana, au Bénin, au Togo ou au Sénégal, mais aussi en France et, bien sûr, en Allemagne. Dans le meilleur des cas, je reste trois semaines au même endroit. »
Son père est un musicien de highlife. « Et c’est au cours de l’un de ses voyages qu’il a rencontré ma mère, qui était à l’époque l’une de ses groupies », confesse-t-elle en riant. Incitée très tôt à jouer du piano, elle se passionne rapidement pour la musique. Elle intègre des groupes, se met à écrire et à composer. Mais elle tiendra à finir ses études pour obtenir un diplôme de professeur de danse, avant de se lancer dans une carrière de chanteuse.
De ce brassage culturel, les deux femmes ont acquis une capacité à créer librement, presque avec culot. Sans se poser de questions sur leur légitimité ou non à s’inspirer d’artistes en tous genres et de monstres sacrés de la musique comme Billie Holiday ou Nina Simone. L’une des raisons pour lesquelles elles chantent en anglais. Si les thèmes abordés dans les chansons (amour, adolescence, tolérance) sont universels chez Mariama, ils sont plus influencés par l’Afrique chez Y’akoto, nourrie des rencontres qu’elle a faites au cours de ses nombreux voyages sur le continent. Leur plus grand atout est incontestablement leur voix. Très pop, à la limite du folk d’une Tracy Chapman pour Mariama ; plus jazzy et soul pour Y’akoto, qui jusque dans les tics scéniques et vocaux se rapproche de Macy Gray ou d’Amy Winehouse. C’est peut-être insuffisant pour se démarquer complètement de la nouvelle génération de chanteuses du genre – comme les francophones Irma, FM Laeti, ou encore Inna Modja -, mais c’est plus que prometteur.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Stevie Wonder, Idris Elba, Ludacris… Quand les stars retournent à leurs racines af...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- Bantous : la quête des origines