Maka Kotto : le comédien et le politique
Il y a cinq ans, ce Camerounais installé au Québec inaugurait la rubrique « Parcours ». Il était simple député, on le retrouve aujourd’hui ministre de la Culture.
« Ce ne sont que des mots », mais il les aime tant. Adepte de « l’enflure verbale », comme disent les Québécois, Maka Kotto prend un malin plaisir à travailler le verbe de sa voix suave. « Pour frapper l’inconscient collectif, faciliter la communication et mieux faire passer mes messages », dit-il. Mais la méthode n’est pas sans risque, car en politique chaque mot compte et peut provoquer l’incompréhension ou la polémique. Ce fut le cas en mai dernier. Confronté à une contestation étudiante sans précédent, le pays vacille. Inflexible et sans réponse, le gouvernement libéral majoritaire présente à l’Assemblée nationale une loi encadrant de manière très stricte les manifestations. Lui s’insurge. « En lisant ce projet de loi, monsieur le président, j’ai eu le goût de retourner en Afrique », lance-t-il en pleine séance parlementaire. La phrase choque. « Une blague, un mot d’esprit, dont certains n’ont pas saisi l’humour. Je trouvais ça tellement répressif », se défend l’intéressé, bouc grisonnant et regard charmeur. Reste que c’est surtout cela que l’opinion publique retiendra de son brillant réquisitoire.
Nommé ministre de la Culture et des Communications après la victoire du Parti québécois aux élections législatives de septembre, Maka Kotto n’entend pas arrondir les angles. Sans doute parce qu’il sait que son franc-parler a contribué à cette réputation d’homme proche des gens et sympathique qui le suit depuis son entrée en politique. Un homme caméléon qui aurait pu être prêtre, que son père rêvait en politicien quand lui se voyait artiste et qui est sans doute un peu des trois. Maka Kotto n’est finalement pas entré dans les ordres. Décelant rapidement chez lui une fibre artistique, les Jésuites français du collège Libermann de Douala l’en ont dissuadé. Mais l’éducation qu’il y a reçue a fait de lui un humaniste. « Mon plaisir est de servir les gens et de les satisfaire à la hauteur de leurs attentes, avec les moyens dont je dispose. »
Né au Cameroun il y a cinquante-deux ans (pays d’origine avec lequel il garde un « lien affectif et virtuel »), citoyen canadien depuis 1996 après quinze années passées en France, Maka Kotto aime dire qu’il a trois patries. Mais c’est bien au Québec qu’il se sent aujourd’hui chez lui. Pourtant, quand il a quitté la France, sa place était faite.
Il a 17 ans quand il débarque à Paris. Petit commerçant, son père souhaitait le voir quitter le Cameroun d’Ahmadou Ahidjo, son népotisme et sa corruption. Baccalauréat, études de droit, Sciences-Po Bordeaux suivront, « pour satisfaire [son] père ». Mais le désir artistique est trop fort. Études de cinéma, Cours Florent sous la direction de Francis Huster, le voici comédien. C’est dans Marche à l’ombre, de Michel Blanc, qu’il obtient son premier rôle, en 1984. Les propositions arrivent rapidement. Jusqu’à Lumumba, de Raoul Peck, dans lequel il jouera le premier président de la République démocratique du Congo. En 1989, il incarne Bouba dans l’adaptation au cinéma du roman de Dany Laferrière Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Le romancier haïtien lui propose alors de participer à un projet de l’autre côté de l’Atlantique, lui parle des Québécois, de leur côté « chaleureux, attachant et très ouvert ». Maka Kotto décide de s’y installer en 1996, « piégé par le facteur humain », par ce « peuple fragile » qui l’a aujourd’hui « adopté ». « Je ne fais plus partie de ceux et celles qu’on intègre », dit-il fièrement. De cette société d’accueil, il a adhéré aux valeurs et embrassé les idées souverainistes : « Le Québec, en tant que minorité de langue française en Amérique du Nord, se doit d’avoir la maîtrise de son destin pour sa propre pérennité. »
Aujourd’hui membre du gouvernement, c’est en défenseur de cette identité, de cette culture propre, qu’il souhaite s’ériger. « Mon rôle est de faire comprendre que nous avons des responsabilités qui échappent à toute arithmétique ou rentabilité financière. » Pas simple en temps de crise. Sa visite officielle en France (« notre allié le plus important »), à l’occasion du festival Cinéma du Québec à Paris, s’inscrit dans cette stratégie. « Je veux restaurer le pont de la coopération et de la collaboration culturelles entre nos deux nations », explique-t-il. La politique, Maka Kotto y est venu à l’invitation de Bernard Landry, ancien Premier ministre, puis de Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois à Ottawa. Aidé par son expérience de comédien, il s’adapte rapidement à un monde dont il vaut mieux « connaître les codes ». « Quand on travaille un univers, un personnage, on s’informe, on se documente. Ce réflexe a été très utile en politique. » Par deux fois, en 2004 et en 2008, il a été élu député de la circonscription du Bourget (banlieue de Montréal) à la Chambre des communes avant de prendre place, il y a quatre ans, sur les bancs de l’Assemblée nationale du Québec.
La suite ? Quand Jeune Afrique l’avait rencontré en 2007, celui qui fut le premier député canadien d’origine africaine disait ne pas avoir de plan de carrière. « C’est toujours le cas », assure-t-il, affirmant qu’il se contentera d’apporter sa pierre à l’édifice avant de « laisser la place à quelqu’un d’autre ». Mais qui parle ? Le politique ou le comédien ?
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