États-Unis : vaudeville à la CIA
Le patron de l’agence entretenait une liaison avec sa biographe. Laquelle adressait des courriels menaçants à une rivale présumée qui entretenait une correspondance « sexuellement explicite » avec le patron de l’Otan en Afghanistan.
Il figurait en trente-troisième position sur la liste des personnalités les plus influentes de la planète établie par le magazine Time. Depuis la guerre d’Irak, l’ancien élève de l’Académie militaire de West Point était un héros. En 2007, lorsque George W. Bush l’avait appelé à la rescousse dans ce pays endeuillé par des attentats quotidiens, il était parvenu à retourner la situation grâce à son surge (l’envoi de renforts) et à sa technique de contre-insurrection (négocier avec les insurgés – quitte à les acheter – et gagner le coeur de la population). En Afghanistan, où Barack Obama l’avait nommé en 2010 commandant des forces alliées, le succès aura été moindre, mais qu’importe ! On le comparait à Eisenhower et on lui prédisait un destin présidentiel, surtout depuis qu’il avait pris la tête de la CIA, en septembre 2011.
Las, après trente-sept années de carrière et de mariage, les quatre étoiles du général David Petraeus ont pâli d’un seul coup. L’Amérique, sidérée, et Holly, son épouse, furieuse, ont découvert que sous l’armure du théoricien de la guerre battait un coeur d’artichaut. Succomber à près de 60 ans au démon de midi est un symptôme sans gravité pour le commun des mortels, mais plaie fatale lorsqu’on est le patron d’une agence de renseignements et que l’on risque d’être victime d’un chantage mettant en péril la sécurité nationale ! Petraeus a tiré les conséquences de son « comportement inacceptable » en démissionnant le 9 novembre, quelques jours après avoir été interrogé – ultime humiliation – par les enquêteurs du FBI, l’agence rivale…
Étrange destin pour cet homme de devoir à la raideur toute néerlandaise (son père a émigré du plat pays dans les années 1940). Durant sa vie aventureuse, il a survécu à une grave blessure au thorax, à un saut manqué en parachute et à un cancer de la prostate. Mais il n’a pas résisté au charme de Paula Broadwell, son ambitieuse biographe. Il aurait pourtant dû se méfier…
Dominatrice
Grande, sculpturale, chignon strict et regard vert laser, Broadwell a des airs de maîtresse dominatrice. De vingt ans la cadette du général, elle a fait un parcours sans faute : élève de Harvard et de West Point, réserviste de l’armée, spécialiste de stratégie militaire, elle a effectué trois missions de contre-terrorisme depuis les attentats du 11 septembre 2001 et traîné ses guêtres dans soixante pays. Sportive forcenée, cette adepte de triathlon et de kickboxing rencontre Petraeus en 2006 à Harvard, où il donne une conférence. Elle prépare une thèse sur la contre-insurrection. Il lui propose de l’aider dans ses recherches. La thèse se transforme en biographie du « héros », que Paula interviewe au cours de joggings menés à un rythme infernal. Elle impressionne son partenaire en le distançant. Admiratif, il la convie en Afghanistan. Elle a accès à lui à tout moment, voyage à bord de son avion. « Je trouvais leur relation déconcertante », confie un ancien collaborateur du général.
All In: The Education of General David Petraeus devient un best-seller. Son auteure se pavane sur les plateaux des grandes chaînes de télévision, étalant son admiration pour « Peaches » – son surnom de garçonnet aux joues roses. Nul n’y voit malice : aux yeux de tous, Paula, son mari médecin et leurs deux jeunes fils, installés à Charlotte (Caroline du Nord), forment une famille parfaite.
"Mon Mec"
Le vent tourne lorsqu’une habitante de Tampa (Floride) demande au FBI d’enquêter sur une rafale d’e-mails menaçants que lui adresse un correspondant anonyme. La victime, Jill Kelley, née Khawam, est d’origine libanaise. Ses parents, des maronites originaires de Jounieh, ont émigré aux États-Unis dans les années 1970 et réussi dans la restauration. Ultramaquillée et moulée dans des robes aux couleurs éclatantes, la pulpeuse brune de 37 ans est friande de mondanités. Elle joue les hôtesses de charme auprès de la bonne société de la ville, et les dames patronnesses – « agent de liaison social » – sur la base aérienne de MacDill, qui abrite le Centcom, le commandement américain pour le Moyen-Orient et l’Asie centrale. « Tiens-toi éloignée de mon mec », lui ordonne le corbeau. Le FBI le démasque : c’est… Paula Broadwell. Et le « mec » en question, David Petraeus !
Abracadabrant ? Pas tant que ça : Jill Kelley et son mari chirurgien sont des amis du couple Petraeus. D’après tous les témoignages, les relations entre Jill et le général sont « purement amicales ». Il n’empêche, Paula est follement jalouse de celle qu’elle perçoit comme une rivale. Car la biographe et le haut gradé sont devenus amants deux mois après la prise de fonctions de Petraeus à la CIA – ce que les enquêteurs du FBI découvrent en fouillant dans la boîte e-mail de Paula. Pis, les amants (qui ont rompu en juillet) ont correspondu sur un compte Gmail commun.
En tant qu’officier de réserve au sein des services de renseignements, Broadwell avait accès à certaines données confidentielles. Reste à savoir si elle en a obtenu d’autres, plus sensibles encore, en profitant de sa liaison avec le patron de la CIA. Des propos qu’elle a tenus en octobre à l’université de Denver sur l’affaire du consulat de Benghazi laissent planer le doute. Elle y expliquait que la détention de miliciens libyens dans une annexe de la CIA proche du bâtiment avait peut-être provoqué l’attaque qui a coûté la vie à l’ambassadeur Chris Stevens le 11 septembre. Le 14 novembre, lors d’une conférence de presse, le président Obama a cependant déclaré qu’en l’état actuel de l’enquête aucune information classée « secret défense » n’avait été divulguée.
Les agents du FBI qui ont perquisitionné le domicile des Broadwell ont aussi épluché la messagerie de Jill Kelley. Et découvert 30 000 pages d’échanges « sexuellement explicites » entre la jeune femme et le général John Allen, patron de l’Otan en Afghanistan. Des échanges sans doute uniquement virtuels, mais qui font des dégâts. Pour les rieurs, on nage en plein vaudeville. Plus inquiet, le Washington Post prétend que Jill Kelley jouait un rôle officieux dans les relations des États-Unis avec le Liban et certains pays du Proche-Orient. Pour ne rien arranger, la belle Orientale se flattait d’être « consul honoraire de la Corée du Sud » : un rôle de simple intermédiaire que la coquette montait en épingle pour se faire passer pour une ambassadrice. En attendant l’issue de l’enquête, Obama a suspendu Allen de ses fonctions et a reporté sa nomination au poste de commandant suprême des forces de l’Otan en Europe.
Lui qui doit déjà remanier son administration et remplacer Hillary Clinton (par Susan Rice ?) au secrétariat d’État et Leon Panetta (par John Kerry ?) à la Défense devra s’atteler à la restructuration d’une CIA qui se serait bien passée de ce déballage aux allures de pièce de Labiche, où les généraux quatre étoiles se font avoir comme des bleus par d’aguicheuses Messaline.
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