Chine : Xi Jinping, au pied de la Grande Muraille
Le nouveau secrétaire général du PCC, Xi Jinping, qui ne sera porté à la présidence qu’au début de l’an prochain, est confronté à de redoutables défis. La lutte contre la corruption et la réduction des vertigineuses inégalités sociales ne sont pas les moindres.
Après la réélection de Barack Obama, Xi Jinping a officiellement été élu (ou faut-il dire nommé ? coopté ? désigné ?) par le comité central secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC). À quelques jours d’intervalle, les deux plus grandes puissances économiques mondiales ont donc choisi leur dirigeant. Hasard du calendrier, bien sûr, mais le moins que l’on puisse dire est que ces deux événements capitaux n’ont pas bénéficié de la même couverture médiatique.
Alors que l’élection américaine a provoqué l’admiration générale, la façon dont les Chinois ont choisi leur nouveau leader a suscité un flot de commentaires pour la plupart négatifs, non sur l’homme lui-même, mais sur le manque de transparence de sa désignation. C’est un fait, l’un a été élu par l’ensemble des Américains, l’autre coopté par son parti. Mais l’un et l’autre font face à de gigantesques défis. On verra si Obama réussit par exemple à réduire la dette colossale de son pays. Pour Xi Jinping, trois questions essentielles se posent. 1. Comment a-t-il été élu ? 2. Quel héritage reçoit-il ? 3. Quels « chantiers » va-t-il devoir mener à bien ?
Méritocratie
Le PCC compte plus de 83 millions de membres. À titre indicatif, ce chiffre est largement supérieur à celui de la population française. Les adhérents ont sélectionné 2 270 délégués au congrès, qui eux-mêmes ont élu les 205 membres et les 171 suppléants du comité central, ainsi que les 130 membres de la commission centrale de contrôle et d’inspection de la discipline, l’organe chargé de lutter contre la corruption au sein du Parti.
À son tour, le comité central a élu les 25 membres du bureau politique et les 7 membres permanents, au premier rang desquels le secrétaire général. Ce dernier, Xi Jinping, donc, sera l’unique candidat pour le poste de président de la République, qui sera désigné l’an prochain par l’Assemblée nationale du peuple. Comparé à son concurrent américain, le système chinois apparaît indiscutablement plus complexe et moins transparent. Mais est-il moins efficace ? Il est tout entier fondé sur la méritocratie, lointain avatar du mandarinat traditionnel.
Peng Liyuan et le panda
Xi Jinping a beau être l’un des hommes les plus puissants du monde, Peng Liyuan, son épouse, est plus connue que lui dans son pays. Diplômée du conservatoire national de Pékin et chanteuse de talent, cette dernière fut, des années durant, la vedette incontestée du gala du Nouvel An sur les antennes de CCTV, le programme le plus regardé de la télévision chinoise. « Je suis un trésor national au même titre que le panda », lança-t-elle un jour, sans modestie excessive. Devenue général de l’Armée populaire, elle remontait le moral des troupes et multipliait les concerts à travers le pays. Si elle quitta la scène en 2007, ce fut pour ne point faire trop d’ombre à son mari, déjà en route pour la présidence.
Cette Carla Bruni chinoise – à quelques décibels près ! – aura beaucoup servi la carrière de Xi Jinping en rehaussant son image austère d’une touche plus glamour – à la vérité fort éloignée de la réalité du pouvoir chinois. Dans l’une de ses dernières interviews, il y a cinq ans, elle se confiait : « Lorsqu’il rentre le soir à la maison, je ne pense pas à lui comme à un dirigeant, mais comme à mon époux. Et quand je rentre à la maison, il ne me voit pas comme une star, mais simplement comme sa femme. »
Reste à lui trouver une place dans le nouvel organigramme du Parti. Traditionnellement, l’épouse d’un président s’attache à rester dans l’ombre. Mais certains prêtent déjà à Peng Liyuan un rôle à la Michelle Obama, entre galas de charité et lutte contre le sida et la tuberculose. Ce serait une petite révolution dans la politique chinoise. Sébastien Le Belzic
Car Xi Jinping ne tombe pas du ciel. Depuis les années 1980, le PCC observe le comportement de ses jeunes cadres, dans tout le pays, afin de repérer des talents prometteurs et de former les quatrième et cinquième générations de dirigeants – dont Xi et Li Keqiang, le futur Premier ministre, faisaient l’un et l’autre partie. Les critères de sélection sont très nombreux et prennent en compte les qualités morales et les connaissances générales des postulants. Depuis cette époque, Xi a gravi tous les échelons, jusqu’au sommet. Il a notamment été gouverneur de deux des provinces les plus importantes, le Fujian et le Zhejiang, dont la population dépasse 120 millions d’habitants et dont la superficie est à peu près égale à celle de la France et de l’Allemagne réunies. À partir de 2006, il se fait remarquer par le bureau politique en remportant à trois reprises des votes internes au sein du Parti. Plusieurs sondages montrent qu’il est le mieux placé pour succéder à Hu Jintao. Deux ans plus tard, il devient officiellement le candidat au poste de numéro un. Élu membre permanent du bureau politique, il commence à participer à la gestion du pays et voyage à l’étranger. Il se rend dans une cinquantaine de pays et rencontre tous les grands leaders mondiaux. Bref, il est prêt à assumer son nouveau rôle.
Heureusement, parce que le contexte national et international est plus complexe que lors de l’arrivée au pouvoir de Hu Jintao, il y a dix ans. Dans son « discours d’adieu », ce dernier a d’ailleurs reconnu que la corruption était aujourd’hui un péril majeur qui menaçait « de détruire le Parti et d’entraîner le pays dans la catastrophe ». Et puis il y a les inégalités sociales. L’indice Gini, qui mesure le degré d’inégalité dans la distribution des revenus, attribue à la Chine la note de 0,49. Un niveau jugé très dangereux. Or, pour la première fois depuis trente ans, la croissance économique ralentit, tandis qu’une bulle immobilière est en cours de formation – et inquiète nombre de jeunes Chinois. Certains sinologues français ou américains en tirent des conclusions exagérément pessimistes, certains allant jusqu’à envisager un effondrement du régime sous la pression du mécontentement populaire.
Grand ouest
La réalité est bien différente. Hu Jintao a certes échoué à transformer l’économie, qui reste fondée sur les exportations et non sur la consommation : c’est le cas de tous les pays en développement. Mais Xi Jinping hérite d’une tout autre Chine, désormais semi-industrielle et qui commence à consommer, comme naguère les petits « dragons » asiatiques. D’ailleurs, de très ambitieux projets de développement du Grand Ouest sont en cours. Dans ces onze provinces (Guizhou, Hunan, Shanxi, etc., jusqu’à Gansu), le taux de croissance devrait avoisiner 12 % au cours des cinq années à venir. S’agira-t-il de la nouvelle locomotive de l’économie ? Sur ce point, Xi a toutes les raisons de se montrer optimiste.
Reste la corruption, ce cancer qui ronge le PCC. Le nouveau numéro un ne devra pas ménager ses efforts pour tenter de contenir, sinon d’éradiquer, ce fléau et de restaurer la confiance de la population. À la vérité, il existe deux sortes de corruption : celle des « tigres », les hauts fonctionnaires friands de pots-de-vin, et celle des « mouches », autrement dit des petits fonctionnaires. Sous Hu Jintao, 72 ministres ont été condamnés à des peines de prison. Mais les gens ordinaires ont le sentiment que la société reste très corrompue, parce que le gouvernement, faute d’un État de droit suffisamment bien établi, n’est pas parvenu à lutter efficacement contre les « mouches ». Xi Jinping peut-il faire mieux ? Il dispose pour cela d’un certain nombre d’atouts.
L’émergence de la Chine nouvelle sera le fruit de trois processus irréversibles : industrialisation, urbanisation et démocratisation. Les deux premiers (ne parlons pas du troisième) ne peuvent s’engager sans la mise en place d’un État de droit. Tout le passé récent des pays industrialisés en témoigne, et la Chine ne devrait pas faire exception. De nombreux juristes, souvent formés en Occident, y travaillent déjà. Les dix années à venir devraient donc être celles de la démocratisation. Xi Jinping a toutes les chances de devenir le premier président d’une Chine réellement industrialisée, avec une vraie classe moyenne très majoritairement urbaine dont les membres aspireront à une vie politique plus juste et équitable.
Paradoxe
Les Occidentaux se demandent souvent s’il sera un « Gorbatchev chinois ». La question n’a aucun sens. La démocratie chinoise sera forcément différente des démocraties occidentales en raison de son histoire, de sa démographie et du poids de sa culture traditionnelle.
La vérité est que Xi Jinping va devoir relever un autre défi beaucoup plus sérieux. Et urgent. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Chine deviendra la première puissance économique mondiale d’ici six à dix ans. Mais d’un point de vue militaire et/ou politique, elle sera loin de pouvoir rivaliser avec les États-Unis. Il n’y aura pas, dans un futur proche, de Pax Sinica.
De toute façon, le défi va bien au-delà, car même si la prévision de l’OCDE se réalise, la Chine continuera de se situer en termes de PIB et de revenu par habitant aux alentours du centième rang mondial ! Paradoxe inouï : elle serait alors tout à la fois la première puissance économique mondiale et un pays en développement !
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* Correspondant en France du Wen Hui Bao, le grand quotidien de Shanghai, et auteur des Chinois sont des hommes comme les autres (Denoël, 304 pages, 22 euros).
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