Qatar : le prince Tamim Ibn Hamad Al Thani, un héritier méconnu
Défense, diplomatie, économie, sport… Au Qatar, il n’est pas un domaine où le prince Tamim Ibn Hamad Al Thani n’ait un pouvoir décisionnel. Le successeur de l’émir Hamad est prêt.
Depuis sa désignation, en 2003, comme prince héritier du Qatar, son portrait trône avec celui du monarque dans les souks et les palaces de Doha. De son père l’émir Hamad Ibn Kalifa Al Thani, le prince Tamim, 32 ans, a le regard perçant et le nez en bec d’aigle, mais il a le sourire doux et la grâce de sa mère, Cheikha Mozah. Entre les trois personnalités qui président aux destinées du minuscule mais influent émirat gazier – l’émir, son épouse et le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères Hamad Ibn Jassem -, il n’a cessé de s’affirmer ces dernières années. Selon son père, le jeune prince gérerait désormais « 80 % des dossiers du pays », ce que confirme Mathieu Guidère, qui enseigne l’islamologie à l’université de Toulouse-II et qui a été le professeur de l’un de ses frères : « Économie, finances, social, sécurité, il n’y a pas un seul domaine où Tamim n’ait un pouvoir décisionnel. »
Sur le site officiel de l’émir, son CV multidisciplinaire impressionne. « Il est particulièrement actif en politique intérieure sur les enjeux notamment sociaux, note François-Aïssa Touazi, cofondateur du think-tank Capmena et familier de l’émirat. Il veut inscrire le pays dans la modernité tout en demeurant respectueux des équilibres locaux, gagnant une véritable popularité parmi les Qataris. »
Francophile
En France, ce rôle politique de premier plan passe relativement inaperçu, bien que Nicolas Sarkozy ait reconnu l’importance de ce francophile et francophone en le faisant grand officier de la Légion d’honneur en 2010. Les archives de la presse hexagonale le recensent presque exclusivement comme l’homme qui a racheté le PSG en juin 2011 : on l’y trouve saluant ses joueurs dans les vestiaires du Camp des Loges en décembre 2011 et deux mois plus tard dans les tribunes du Parc des Princes. On le connaît aussi par sa marionnette aux Guignols de l’info de Canal+, qui semble se venger après qu’Al-Jazira lui a raflé la Ligue 1 avec sa nouvelle chaîne beIN Sport. Épaisses moustaches et bajoues sous un keffieh, il y apparaît en pétromilliardaire condescendant et impérieux, bien loin du portrait qu’en fait Mathieu Guidère : « C’est un homme joyeux et ouvert, assez peu porté sur la religion bien que respectueux des traditions. Il incarne cette nouvelle génération de princes du Golfe libéraux et éduqués en Occident. »
De son éducation anglaise (Sherborne School et l’Académie royale militaire de Sandhurst), il a notamment gardé un amour du sport qu’il a tenu à faire partager à ses concitoyens. Nageur, footballeur et tennisman, il est devenu, en 2003, le plus jeune membre du Comité international olympique (CIO). Et c’est sous son impulsion que le Qatar est devenu un haut lieu des compétitions internationales : Jeux asiatiques en 2006, championnat du monde d’athlétisme en salle en 2010, Coupe d’Asie de football en 2011, championnat du monde de handball en 2015 et, bien sûr, Coupe du monde de football en 2022. Rare échec du président du Comité olympique qatari, Doha a été recalé pour les JO de 2020, mais il compte bien remporter la flamme pour 2024.
Si Tamim doit en grande partie sa notoriété à son implication dans la promotion du sport, les missions qu’il se voit confier le positionnent comme le successeur de son père.
Si Tamim doit en grande partie sa notoriété à son implication dans la promotion du sport, les missions aussi importantes que symboliques qu’il se voit confier ces derniers temps le positionnent comme le successeur de son père. Sur le plan de la sécurité intérieure, c’est lui qui a diligenté l’enquête sur le drame du Villaggio, un centre commercial de Doha dont l’incendie a fait 19 morts le 28 mai. Sur le plan diplomatique, il se fait remarquer en janvier 2012 quand il accompagne Khaled Mechaal, le chef du bureau politique du Hamas palestinien, pour une visite officielle en Jordanie. Accusé « d’activités illégales », Mechaal avait été expulsé de Jordanie en 1999 et n’y serait sans doute pas retourné sans les bons offices de l’héritier qatari. « À l’échelle internationale, il apparaît plus comme un homme de consensus que comme un homme de coups et souhaite incarner une forme de nationalisme arabe éclairé à l’image de sa mère », commente François-Aïssa Touazi.
Charisme
En Tunisie, c’est lui qui se rend en juillet dernier à Tozeur, dans le Sud, pour poser, avec le Premier ministre, Hamadi Jebali, la première pierre d’un grand complexe touristique construit par le promoteur qatari Diar. Promise à la Tunisie de Ben Ali en 2010, la réalisation de ce projet estimé à 80 millions de dollars (près de 63 millions d’euros) a été présentée comme un soutien au développement de la Tunisie postrévolutionnaire après janvier 2011. Si la gestion des révolutions tunisienne et libyenne était revenue à l’émir et au Premier ministre, c’est maintenant le prince héritier qui se charge en grande partie des dossiers post-Printemps arabe dans ces pays.
Séduisant, intelligent et charismatique, Tamim semble approcher l’idéal du prince éclairé. Et se démène pour prouver sa compétence dans tous les domaines.
Certains s’interrogent : n’est-il pas risqué de donner tant de pouvoir à un héritier dont le père avait ravi de force l’État à son propre père, lequel lui-même s’en était emparé au détriment de son oncle ? « Contrairement au grand-père de Tamim, l’émir actuel s’est tellement affirmé sur le plan national et international qu’un coup d’État est devenu objectivement impossible », répond Guidère. Un facteur pourrait expliquer la mise en avant du prince héritier : les problèmes de santé de l’émir Hamad, susceptibles de le pousser à l’abdication. « Ils y pensent », affirme un bon connaisseur de l’émirat, sous le couvert de l’anonymat…
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